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Le mardi 28 avril 2020, Jean-Luc Mélenchon répondait au Premier ministre Edouard Philippe qui présentait le plan du gouvernement pour un déconfinement le 11 mai. Le président du groupe « La France insoumise » à l’Assemblée nationale a listé les ordres et contre-ordres du président Emmanuel Macron depuis le début de la crise du coronavirus sur le confinement, les masques et les tests.
Jean-Luc Mélenchon a critiqué l’impréparation concernant la planification du déconfinement alors que la France insoumise alertait sur le sujet depuis la fin du mois de mars 2020. Il a expliqué que, dans ces conditions, une deuxième vague de propagation du virus était certaine. Il a également dénoncé les injonctions « odieuses » faites aux parents de décider eux-mêmes s’il fallait ou non remettre leurs enfants à l’école le 11 mai.
Retrouvez ci-dessous le discours de Jean-Luc Mélenchon retranscrit (seul le prononcé fait foi).
Discours de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 28 avril 2020
Nous n’allons pas voter ce qui nous est proposé. Non en raison de votre personne, monsieur le Premier ministre, ni même de l’idée que nous nous faisons de votre action. Nous sommes certains que vous faites pour le mieux. Mais nous ne partageons ni vos diagnostics, ni le système d’actions que vous avez choisi. Au demeurant, on voit bien que vous êtes aujourd’hui le bouc émissaire de confort de toutes sortes de gens, à commencer dans votre propre majorité.
Ce n’est pas notre état d’esprit. Notre état d’esprit, c’est de discuter les contenus, les faits, d’une manière rationnelle car nous croyons que c’est la raison qui peut nous tirer des difficultés dans lesquelles la patrie se trouve. Au demeurant, vous n’êtes pas le responsable des diagnostics erronés.
En première ligne, comment oublier, à propos de l’épidémie, le 24 janvier, ces déclarations de Mme Agnès Buzyn, de triste mémoire dans l’hôpital public : « Le risque d’importation de cas depuis Wuhan est modéré. Il est maintenant pratiquement nul parce que la ville est isolée. Les risques de cas secondaires autour d’un cas importé sont très faibles et les risques de propagation du coronavirus sont très faibles » ? On pourrait lui faire porter la responsabilité de cette déclaration et de celle qu’elle a fait ensuite en prétendant vous avoir informé du danger. Ce qui ne se voit pas à cette déclaration. Mais comment alors comprendre le Président de la République le 3 mars – le 3 mars ! – Déclarant : « Il est encore trop tôt pour dire si la France passera au stade de l’épidémie » ?
Les masques, dont tout le monde convient à présent qu’ils sont indispensables et font partie, en quelque sorte, des instruments barrières élémentaires, dont vous dites vous-même, M. le Premier ministre, qu’il faudra en faire porter dans les transports – et vous avez raison de dire qu’il le faudra, notamment quand vous verrez qu’il ne sert à rien de dire aux gens de ne pas prendre le métro pour leur plaisir, car ils sont forts rares ceux qui sont dans cette situation et je vous invite à aller voir comment ça se passe sur la ligne 13. Les gens font ce qu’ils font parce qu’ils y sont obligés, non parce qu’ils sont déraisonnables. En attendant sur ce masque, le 13 avril M. Macron déclarait : « Je refuse aujourd’hui de recommander le port du masque pour tous et jamais le gouvernement ne l’a fait. Si nous le recommandons ce serait incompréhensible ». Le 13.
Les tests, dont l’OMS a dit dès le 15 mars qu’il fallait « tester, tester et tester encore ». Formule qui a été reprise entre-temps par d’autres, après que l’on nous ait dit dans cet hémicycle que cela ne servait à rien. Le président Macron, le 23 avril déclare – le 15 mars l’OMS dit qu’il faut que tout le monde le fasse – le 23 avril, le président Macron déclare « Nous n’allons pas tester toutes les Françaises et tous les Français, ça n’aurait pas de sens ».
Et enfin le confinement, acquis de haute lutte après combien d’efforts de conviction faits, et bien le Président, lui encore, le 6 mars, sortait du théâtre et déclarait : « La vie continue, il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sorties ».
Voilà dans quel état d’esprit cette terrible crise a été abordée par ceux qui commandaient. Ordres et contre-ordres se sont succédés, tant et si bien que s’est brisé – et c’est pour cela que je mentionne toutes ces citations – tant et si bien que s’est brisé le ressort fondamental de la lutte : la confiance. Car en démocratie, il n’y a pas de consentement à l’autorité sans confiance dans la légitimité des consignes qui sont données. Et cette confiance est morte.
Je ne suis pas sûr, M. le Premier ministre, qu’il faille vous en rendre vous responsable. Mais celui qui a pris toutes ces décisions et tenu ces propos alors qu’il occupe la plus éminente place dans la République, lui, doit en être tenu pour responsable. Et je me risque à cette critique en prenant la mesure des menaces qu’il a proféré contre ceux qui comptaient le critiquer. Le président Macron en effet, le 31 mars a dit : « Quand cette crise sera passée, on aura tous à rendre des comptes. Tous sans exception ». La majorité bien évidemment, je crois que ça va être pour vous M. le Premier ministre, et c’est normal. Vous savez avec quels mots vous êtes traités dans un quotidien de droite qui, dans le passé, vous a été favorable. Mais aussi, dit le président Macron, « tous ceux qui ont joué à un certain moment un jeu dangereux pour déstabiliser le pays dans une période où l’unité prévalait ».
Nous n’avons jamais, pour notre part, joué aucun jeu dangereux, ni personne sur ces bancs. Nous avons juste joué le jeu de la démocratie qui consiste à dire, avec sens des responsabilités et plus de mesure que vous ne le croyez, ce qu’il était nécessaire de dire pour mettre en garde. Et si vous n’y croyez pas alors vous ne pouvez pas croire un seul jour à la démocratie parce que l’essence de la démocratie c’est justement d’entendre des gens qui disent des choses désagréables parce qu’ils ne sont pas de votre avis.
À présent nous voici rendus, après une gestion calamiteuse, à une sortie hasardeuse.
Nous avons alerté le 30 mars, par une tribune collective de tous les parlementaires insoumis, vous disant : « Il est temps de parler déconfinement ». Certains commentateurs considérant le peuple français comme une assemblée bruyante de jeunes gens instables, disaient qu’il ne fallait pas prononcer le mot, de peur que les gens n’en viennent à en conclure qu’ils pouvaient tous sortir de chez eux et partir aller faire la fête, comme si ce peuple n’avait pas fait la démonstration, au milieu de tous ces ordres et contre-ordres, au contraire, d’une magnifique et terrible discipline, dont il faut lui rendre tout l’hommage et toute la grâce, quand bien même tant de fois il aura été montré du doigt par ces mêmes commentateurs.
Sortie hasardeuse : il faut planifier, planifier et non pas croire que le libre marché, la libre motivation des individus va suffir à remplir les conditions qu’il faut remplir pour que ce 11 mai puisse être autre chose qu’une aventure. D’ailleurs les observateurs attentifs auront remarqué que cette décision a été prise par le président de la République et lui seul. Sans tenir compte du gouvernement, sans tenir compte de l’Assemblée nationale, sans tenir compte du comité scientifique qu’il a pourtant lui-même nommé. Et nous avons entendu avec la délicatesse qu’on apporte à ce genre de moments, le Premier ministre nous dire que lui-même n’est pas bien sûr que le 11 mai on lèvera le confinement, parce que si certaines conditions que l’on observerait, venaient à le pousser à décider autrement, on déciderait autrement. Heureusement que vous le dites, Monsieur le Premier ministre, parce que sinon nous aurions très peur. Le 11 mai, hélas, il est possible que le déconfinement ne puisse pas se produire. Car nous savons depuis le début que le déconfinement est indispensable. Mais encore, comme il est indispensable, faut-il le préparer avec tout le sérieux nécessaire.
Voici venu le moment des injonctions odieuses. Vous n’avez pas été précis sur ce point Monsieur le Premier ministre : les enfants doivent-ils aller à l’école obligatoire le 11 mai, ou bien sur la base du volontariat, comme l’a dit votre ministre de l’Éducation nationale ? Parce que ça, c’est anxiogène. Des millions de familles se sont dit « Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je dois faire ?». Voilà ce que les gens viennent de vivre. Comment peut-on demander aux parents d’évaluer le risque d’exposer leurs enfants au danger ? C’est odieux ! Oui, c’est odieux ! Ils ne savent que faire, les braves gens, et surtout quand leur décision n’est pas libre. Parce qu’on leur dit : il faut maintenant retourner au travail, c’est d’ailleurs pour ça qu’on commence par les plus petits. Parce qu’il ne sont pas capables de se surveiller eux-mêmes, alors que les plus grands pourraient le faire. Et pour les enseignants, n’est-ce pas odieux de mettre en balance leur conscience professionnelle, leur attachement aux enfants qu’ils éduquent, et leur propre risque, leur évaluation du risque pour eux et pour leur famille ?
Voilà ce que j’appelle les injonctions odieuses. Et pour les travailleurs, qui vont aller sur leur poste de travail, sans qu’on leur garantisse qu’ils aient un masque pour se protéger, et sans que vous ayez ordonné, comme c’est votre responsabilité de le faire – ordonné, pas suggéré – ordonné que les travailleurs puissent avoir des réunions de collectifs de sureté sanitaire sur les lieux de travail pour décider de contrôler d’un point de vue sanitaire la production et les conditions de la production. Voilà, maintenant ce qu’il faut dire, monsieur le Premier ministre, et qui fait que je m’étonne qu’autant de gens dans votre propre camp envient votre place.
C’est que la deuxième vague de l’épidémie est inéluctable. Le deuxième pic est inéluctable, et il sera d’autant plus violent que les conditions n’auront pas été réunies pour réussir la sortie du 11 mai.
Il n’y aura ni la quantité de masques suffisante, c’est-à-dire celle qui permet à chaque personne de disposer d’un masque efficace, sans qu’il lui en coûte un euro parce qu’il s’agit de sa propre survie et que si on trouve 3 milliards pour Air France, on peut en trouver autant pour tous les Français, et que leurs masques soit donnés gratuitement comme on dit. Parce qu’il n’y aura pas la quantité de tests, parce qu’il n’y aura pas la capacité d’hébergement en quarantaine qui nécessiterait des réquisitions dans le système hôtelier, des réquisitions de la totalité de l’industrie textile pour qu’ils produisent les masques dont nous avons besoin, à l’image du Maroc que nous devrions imiter dans ce domaine parce qu’il parvient à cette performance. Oui, le Maroc c’est très bien, c’est mon pays natal, et je pense qu’il mérite votre admiration.
Le plan des insoumis, nous l’avions préparé Monsieur le Premier ministre pour vous le soumettre et pour en parler avec vous. Il était prévu une discussion le 5 mai. Bien sûr nous n’avons pas les moyens dont vous disposez, c’est normal, qui sont ceux de l’État. Finalement, il aura fallu le publier alors même que cette rencontre n’est plus possible. Alors, vous en connaissez les principes, je les ai rappelés.
Mais, mes derniers mots seront pour vous dire que si la planification doit être celle des besoins, des moyens matériels, ce doit être aussi celle de certains moyens. Vous avez évoqué sur tous les tons la Grande Guerre, mais pendant la Grande Guerre, ils ont décidé qu’il y aurait un moratoire des loyers. Faites-le ! Pendant la Grande Guerre, ils ont décidé qu’il y aurait un impôt sur les profiteurs de guerre, faites-le ! Et, monsieur le Premier ministre, élu de milieu populaire, comme d’autres ici, je veux à tout prix que vous entendiez cette parole : la faim menace dans certains quartiers, en France. Et c’est l’organisation admirable spontanée des habitants qui fait que cette faim ne fait pas d’avantages de dégâts parmi nous. Mais quand même elle travaille les masses.
J’achève. Nous vivons un évènement global, Monsieur le Premier ministre. Au départ un évènement écologique, il est devenu un évènement biologique, il devient un évènement économique, il sera un évènement social maintenant avec des millions de chômeurs, et pour finir ce sera un évènement politique. Nous n’échapperons pas à cet enchaînement puisque la patrie vient de redécouvrir la valeur des mots souveraineté, indépendance, relocalisation, État, service public.
En crise sanitaire Monsieur le Premier ministre, j’espérais recueillir au moins le sérieux de l’attention, en crise sanitaire, c’est la mobilisation populaire qui est la clé. Comme toujours, le peuple n’est pas le problème mais la solution. Il faut qu’il ait confiance.