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Vu depuis l’hémicycle

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Il me semble que, dans ces deux premières semaines de la session parlementaire, beaucoup de choses se sont joués durablement. Le congrès de Versailles, le vote de la motion confiance au gouvernement d’Édouard Philippe puis la discussion sur la prolongation de l’état d’urgence, tout cela a dessiné un paysage assez clairement campé. On voit bien que la logique générale de la ligne politique de la nouvelle équipe, c’est le passage en force. La manœuvre peut réussir. Mais elle se heurte à un état d’esprit du pays qui n’y est pas propice. L’abstention massive aux élections législatives n’est pas un signal d’inertie politique, tout au contraire. Je m’en suis déjà expliqué, je n’y reviens pas.

La base sociale de la politique affichée est très étroite tandis que les populations qu’elle affronte sont nombreuses et rageuses. Quoiqu’il en soit, l’équipe au pouvoir n’est pas le seul protagoniste de la scène. Il faut regarder tout autour comment chacun se positionne et quelle place il finit par occuper. Car si le pouvoir est clairement identifiable, ce qui est frappant c’est de constater à quel point l’identité de l’opposition est confuse. Le premier ministre a donné acte du fait qu’il y avait plusieurs oppositions. Soit. Les médias ont estimé que la question était posée de savoir qui serait la « meilleure » opposition. Puis la victoire pour ce rôle nous fut attribuée assez unanimement. Certes, ce fut assorti de fiel comme en chaque circonstance. Mais à vrai dire, cette compétition ne nous concerne pas.

Car la question posée est plutôt de savoir qui est réellement dans l’opposition ! Il est dommage que les commentateurs n’aient pas trouvé d’intérêt à décrypter le contenu des discours de réponse au premier ministre. Si l’on se demande « qui est l’opposition », ils exprimaient si bien la confusion qui règne sur presque tous les bancs à ce sujet. Quant aux premières joutes, comme elles furent également éclairantes ! On a bien vu Christian Jacob (LR) remuer bras et jambes pour faire valoir son titre de « principale opposition », ou de « groupe le plus nombreux de l’opposition ». Il a même contesté qu’un autre groupe, en l’occurrence celui nommé « les constructifs », puisse prétendre être dans l’opposition. À quoi le président du groupe « la République en marche » a répliqué en disant que s’il pouvait dire qui est dans la majorité, il ne lui appartenait pas de définir qui est dans l’opposition.

Dans le contexte, cette saillie prend un sens plus profond qu’il n’y paraît. Comment le groupe « les Républicains » peut-il s’autoproclamer opposition quand 75 des 100 membres qui le composent ne refusent pas par leur vote de confiance au gouvernement ? Mais la remarque vaut aussi pour le groupe socialiste. Il ne s’y est trouvé que cinq membres sur 32 pour voter contre le gouvernement. Trois d’entre eux ont même voté pour. Dans ce cas, à vrai dire, la scène était stupéfiante. Car dans les réponses au discours du Premier ministre, le président du groupe socialiste avait choisi une figure rhétorique sidérante. Il reprenait comme un refrain « vous voulez faire ceci… nous aussi ». Et cela après avoir fait tout une analyse des plus hors-sol sur le sens de la modernité et de la rénovation. Tel était, ce jour-là, le discours fait au nom de ce qui a été le parti dominant de la gauche pendant plus de 40 ans !

Mais j’y reviens et je veux insister. Au total, que sont ces « oppositions » qui ne s’opposent pas à l’installation du gouvernement auquel elles affirment s’opposer ? Car, ne l’oublions pas, le vote sur la confiance à un gouvernement est celui qui fonde toute la scène politique. Dans ce cas seuls comptent les faits, c’est-à-dire les votes. Et alors il faut le constater comme un fait : le groupe « la France insoumise » est le groupe dont tous les membres sans exception ont voté contre la confiance. On doit ajouter à ce groupe la composante communiste du groupe « GDR » dont quatre membres ultra-marins se sont, eux aussi, abstenus. Là est l’opposition. Elle se constate par le seul acte qui permet de le faire : le vote contre la confiance au gouvernement ! Il n’est donc pas étonnant que les « enquêtes d’opinion » concluent qu’aux yeux des sondés la « France insoumise » est la force d’opposition. Le désarroi des commentateurs acquis à la hargne ordinaire qui nous entoure était frappant à constater. Comme il leur en cuisait trop de rendre compte de la débandade de ceux qui les inspiraient hier, ils auront continué leur pauvre besogne de dénigrement permanent en réduisant cela à des « coups de com », « mise en scène médiatique » et ainsi de suite.

Ils auraient dû se contenter de faire un constat simple : le projet politique d’Emmanuel Macron, celui de composer une « grande coalition » de la droite et du PS comme dans le reste de l’Europe, ce projet est en voie d’accomplissement. La frontière avec l’opposition ne peut être dans ce cadre qu’avec ce qu’il appelle « les extrêmes », c’est-à-dire tous ceux qui ne sont pas d’accord avec cette « grande coalition ». Plus rien ne peut briser la contagion de ce projet. Plus rien, sauf si le sol se dérobe trop vite sous les pieds de l’équipe Macron. De ce point de vue, le faible niveau des opinions positives sur l’équipe gouvernementale en place fonctionne comme un signal très intéressant. La volatilité de la situation est extrême.

Du coup « La France insoumise » a peut-être un groupe limité à 17 personnes, mais la cohérence et la cohésion de celui-ci lui donne une force sans commune mesure avec ses effectifs. Et ceci parce qu’elle a en face d’elle la poussière politique des « oppositions » inconsistantes et des plus instables. De ce fait, le moment venu, leur action pourrait être celle d’utiles supplétifs. Si Macron dévisse, tous les groupes politiques « d’opposition/abstention » lui tomberont dessus à bras raccourcis, dans une volte-face pleine de soulagement. Pour autant, elles ne seront d’accord ni entre elles ni en leur sein sur quoi que ce soit puisqu’elles n’auront rien tranché auparavant. Le déblayage devant nous sera donc gratuit ! Je n’expose ici aucun secret de tactique. Toute la scène est entièrement sous les yeux de chacun.

Un autre aspect du tableau ne doit pas être négligé. Il s’agit des premiers pas du groupe parlementaire « la République en marche ». Ce groupe est certes dirigé par le véritable numéro deux du régime, Richard Ferrand. Mais les 315 personnes qui constituent ce groupe sont si diverses, et si peu homogénéisées, qu’elles ne constituent pas réellement une force, quand bien même elles forment une masse ! On leur a reproché d’être des novices. Ce n’est pas un argument acceptable en République ! On ne peut protester sans fin contre la professionnalisation de la politique et ensuite se plaindre de trouver dans l’hémicycle des « amateurs ». Le procès qui leur est fait n’est donc pas placé sur le bon motif.

En fait, voici ce qui est frappant. Un nombre considérable des personnes qui siègent dans ce groupe n’ont eu auparavant aucune pratique de l’engagement politique, syndical ou associatif. Dans ces conditions, tout est nouveau pour eux : s’intéresser à un sujet qu’ils ne connaissent pas, décortiquer un texte de loi d’après une grille d’analyse, faire une intervention en pour ou en contre, et ainsi de suite. De plus, aucune vision du monde n’organise entre eux un code commun de décryptage et de principe. Par exemple, quand Macron célèbre la république « girondine » ou la république « contractuelle », il n’est pas sûr que ce soit vraiment leur référence évidente.

Les 17 membres du groupe « la France insoumise » sont construits sur le modèle exactement inverse. Même très jeunes, tous ont une longue expérience de l’engagement et de l’action politique sous toutes ses formes. Le résultat était spectaculairement visible à la commission des affaires sociales. Trois tout nouveaux députés « LFI » ont pu tenir tête pendant des heures : Adrien Quatennens, Caroline Fiat et Jean-Hugues Ratenon. Pendant ce temps, la masse des présents membre de « la République en marche » demeuraient cois ! À la fin, la victoire morale fut acquise aux trois combattants « LFI ». Cela autant pour leur constance que du fait du comportement robotique des députés de la majorité. À quoi s’ajouta le ricanement méprisant de la présidente de la commission contente d’avoir fait rejeter tous les amendements par une armée d’automates muets.

Même scenario en séance plénière dans le débat sur le rétablissement de l’état d’urgence. Après deux interventions démonstrativement très construites de Ugo Bernalicis et Danièle Obono, les prises de parole roulante des membres de « LFI » ne reçurent aucune contre-argumentation de la masse muette et d’ailleurs clairsemée les députés de la majorité ! Là encore, la victoire morale nous resta. Et cela pas seulement en raison de la qualité des interventions des membres de notre groupe. Mais parce que là de nouveau, il y avait le contraste. En effet, ceux-là même qui nous avaient méprisé et accablé d’accusations de laxisme, les donneurs de leçons qui s’étaient gargarisé sans trêve du caractère décisif de la reconduction de l’état d’urgence n’étaient, à l’heure du vote, que moins de la moitié des membres de leur groupe présents en séance ! Un absentéisme incroyable pour le premier vote de la mandature.

L’image de ces moments si particuliers ne doit pas être négligée. Elle atteste de la fragilité politique de cette majorité. Cette fragilité peut avoir un contenu positif pour nous. Pour l’instant tout semble baigner dans une atmosphère d’évidence et de griserie du succès. Mais à la première difficulté sérieuse avec l’opinion, le conformisme, la gêne des débutants, tout cela prendra fin. La nécessité de répondre aux problèmes qui se poseront et à l’atmosphère d’hostilité du pays qui deviendra bientôt perceptible dans les permanences comme dans les rues. Tout cela ouvrira les bouches. Au demeurant, compte tenu de l’origine sociale des députés de la majorité il est peu probable qu’ils supportent longtemps l’image ridicule qu’on leur demande de donner quand ils doivent applaudir au sifflet, se lever de leurs bancs en simulant l’enthousiasme, se taire pour raccourcir le temps des débats et lever la main en cadence parce qu’il faut que le gouvernement ait le dernier mot. On peut penser qu’une partie de cette masse confuse ne s’alignera plus systématiquement sur les consignes qui lui seront données. Mon intuition est que si le déniaisement des députés de la majorité se combine avec l’émergence prévisible de nouvelles « affaires » dans un contexte de tensions sociales et de désamour sondagier et médiatique, le cocktail sera explosif. La question qui sera alors posée sera de savoir si nous nous serons rendus capables aux yeux du plus grand nombre d’être la relève. Tel est notre défi.

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