Intervention de Jean-Luc Mélenchon le 15 juillet 2020 pour répondre au discours de politique générale de Jean Castex. Seul le prononcé fait foi.
Président, ministres, collègues,
Cette après-midi, ni la solennité du lieu ni celle des circonstances ne devraient effacer le cocasse de la situation. Vous êtes nommé, monsieur le Premier ministre, depuis une semaine, mais vous avez été aussitôt condamné au pain sec du silence politique. Vous avez occupé le temps en faisant une tournée des commissariats. Il fallait vous taire parce que Jupiter allait tonner. Il l’a fait le 14 juillet. Mais il n’a rien dit. Sinon son acte de contrition. Et vous voici monsieur Castex ! Douze jours après votre nomination, vous assumez enfin la responsabilité minimum qu’on attend d’un Premier ministre dans une démocratie parlementaire. Vous sollicitez un vote de confiance pour être autorisé à rester sur votre banc, car c’est nous qui décidons de cela.
Cela se fera, sans doute, mais sans nous. Ce n’est pas votre personne monsieur Castex qui est en cause. Car sachez que nous la respecterons toujours. Mais pourquoi vous ferions-nous confiance politiquement ? La Constitution nous dit à l’article 20 : le Premier ministre « détermine et conduit la politique de la Nation ». Vous n’êtes pas concerné. Il n’y a pas une personne en France qui croit que vous déterminerez quoi que ce soit s’agissant de la politique de la Nation. Jupiter nous a rappelé, bien des fois déjà, qu’il s’occupe de tout et même du reste, du montant des primes pour les voitures au nombre des contrats d’apprentissage. Tout est déjà dit. De toute façon le monarque présidentiel ne supporte pas que le Premier ministre fasse mieux que lui, raison pour laquelle votre prédécesseur a été renvoyé, car sinon nous n’en voyons pas d’autres puisqu’il s’agit de faire dorénavant comme auparavant.
Donc vous êtes condamné à faire moins bien que le monarque. Ça vous laisse, finalement, peu d’espace.
Personne ne croit non plus que vous « conduirez » la politique de la Nation. Monsieurs Castex, comme nous, vous seriez déjà bien heureux d’arriver à la suivre. Car Jupiter varie souvent et bien fol qui s’y fie. Ordres et contre-ordres sont devenus la règle. Le masque, par exemple, hier inutile pendant la crise sanitaire sera désormais obligatoire. Oui mais pas tout de suite, seulement dans un mois. Le Covid est prié de rester confiné. Macronie et absurdie sont limitrophes. Comme le sont, le long du fleuve Oyapoc où vous êtes allés récemment, le Brésil et la Guyane qui ne parvient pas à devenir une île, même après que Jupiter et vous l’ayez proclamé. La Guyane abandonnée, la Guyane qui réclame des moyens et du respect. La Guyane, toutes tendances confondues qui réclame maintenant l’arrivée des médecins cubains puisque la patrie n’y répond pas.
Bref, pour finir, le président vous demande de réparer en 600 jours les dégâts qu’il a occasionné en trois ans.
C’est votre feuille de route. Nous ne pouvons y croire. Nous ne pouvons avoir confiance.
Comptez-vous rétablir les comité d’hygiène et de sécurité qui protégeraient la santé des travailleurs menacés par le Covid sur les lieux de travail ? Non.
Allez-vous enfin nationaliser Luxfer pour produire les bouteilles d’oxygène de nos hôpitaux ? Non.
Le glyphosate sera-t-il finalement interdit à la fin de l’année 2020 ? Non.
Préparez-vous la sortie des accords de libre-échange CETA et JEFTA, pourtant acceptés par le Président ? Non.
Après avoir prolongé 10 réacteurs nucléaires, déciderez-vous de leur fermeture ? Comment l’organiserez-vous ? Non.
Rétablirez-vous la ligne de fret de Perpignan-Rungis ? Non.
Et le monopole de la SNCF ? Non. Où est l’argent d’ailleurs pour le rail ?
Comptez-vous prendre la part qui revient au bien commun et à tous les Français dans les poches de tous ces nouveaux millionnaires qui se sont gavés sur la spoliation du peuple ? Non. L’impôt sur la fortune ne sera pas rétabli et pourtant les 3 milliards qu’il y a là-dedans suffiraient pour payer les 60 000 soignants dont nous avons besoin dans nos hôpitaux.
Avez-vous enfin compris que l’eau va devenir une ressource rare ? Et qu’il s’agit d’engager dès maintenant, avec fermeté, la rénovation de nos canalisations en ruines ? 20 % de l’eau se perd en France et elle se perd au point et au prix de l’indignité. Rendrons-nous aux populations de Mayotte, de la Guadeloupe, de la Guyane qui en sont privées, l’accès à l’eau courante ? Et j’en oublie sans doute d’autres. Non.
Allez-vous réparer les dégâts infligés à la santé publique depuis le ministère de Xavier Bertrand dont vous étiez le directeur de cabinet ? Non.
Car le premier acte de votre gouvernement c’est d’aggraver le désordre à l’hôpital. L’accord Ségur désorganise le temps de travail hospitalier. Quelle sotise de penser que l’annualisation du temps de travail peut apporter une réponse quelconque à l’organisation des services. Le Ségur ne revient pas sur les fermetures de lits, ni sur celle des services, le manque de moyens humains. Il renforce le modèle de gestion des hôpitaux comme entreprises à but lucratif.
Avons-nous définitivement, tous autant que nous sommes, pris conscience du mascaret social qui s’avance vers nous ?
La France va connaitre une récession de 11 points de sa production cette année. Pour y faire face, le gouvernement précédent n’a injecté que 2% de l’équivalent du PIB dans l’économie. L’Allemagne, qui, elle, n’avait que 6 points de recul, injecte 20 points de sa richesse pour le redémarrage. Si vous laissez faire ce décalage, monsieur le Premier ministre et oublions un instant tout ce qui peut nous séparer, si vous laissez faire ce décalage, la zone euro explosera. Et en toute hypothèse la France est menacée de déclassement. Il faut intervenir massivement de manière organisée, c’est-à-dire planifier.
Le saupoudrage d’argent public sans conditions sociales ou écologiques ni d’emploi va-t-il cesser ? 7 milliards ici, 15 milliards là-bas. Tout cela est inutile si l’on compte sur la magie du marché pour les investir au bon endroit.
L’État doit assumer la planification. Non comme un gadget que l’on va manier pour faire taire les insoumis et les communistes qui en sont d’ardents partisans. Il doit le vivre comme un moyen qui définitivement donne au pays et aux citoyens la propriété collective du temps long là où le marché ne peut gérer que le temps court. Il faut planifier pour redevenir les meilleurs. Il doit organiser, l’Etat, l’ancrage de cette nouvelle planification qui ne sera pas celle d’avant dans la vie des communes qui sont la structure de base de la démocratie française et de la République depuis sa naissance. Le plan doit être l’instrument d’une démocratie participative - telle que l’on peut l’imaginer et la vouloir - au 21ème siècle. Sinon comment réaliser la bifurcation écologique ? C’est impossible. Comment tenir la règle verte ? C’est impossible. Comment éradiquer la précarité ? C’est impossible. Le plan est la solution.
Vous en êtes loin. Vous ne ferez rien de tout cela. Vous n’en avez ni le programme ni les moyens politiques.
Car voici le sommet du cocasse d’aujour’hui : dans la pratique de la cinquième République, monsieur Castex, que je n’aurais pas l’insolence de vouloir vous enseigner puisque vous avez fait parti d’une organisation politique qui l’a beaucoup pratiquée, vous êtes le nouveau chef de la majorité parlementaire. Et je vois que vous m’approuvez. Mais cette majorité ne vous connaissait pas la veille de votre nomination. Elle a une excuse, car la veille vous étiez encore membre d’un parti d’opposition qui compte dans cette salle cent députés.
Finalement, le président du groupe LREM, notre estimé collègue Gilles Legendre, avait bien raison. Il a reconnu lui-même que sur les trois cent quinze membres que comptait son groupe pas un n’était capable d’être Premier ministre après trois ans de présence dans cet hémicycle. Quel genre de parti de gouvernement êtes-vous donc ? Je vous assure que parmi les dix-sept députés insoumis qui se trouvent là, il y a de quoi faire plusieurs Premiers ministres et nous ne serons pas en manque le moment venu.
Monsieur Castex, vous comptez sur une majorité qui s’est déjà divisée en trois groupes sans qu’on sache pourquoi ces gens ne se supportent plus. Ils s’ajoutent à deux autres qui soutiennent déjà le président de la République quoiqu’il dise. Du coup, nous voici à dix groupes dans l’Assemblé nationale c’est-à-dire la quantité qu’il s’y trouvait sous la quatrième République. D’ailleurs la durée des ministres ne vaut pas mieux qu’alors. 24 fois reformée, cette Constitution est à bout de souffle. C’est le palais constitutionnel du facteur Cheval. Il faut que le peuple en redevienne le propriétaire.
Mais ni l’abstention suffocante constatée aux municipales, ni l’insurrection morale contre l’accumulation des richesses dans quelques mains, ni l’indignation du pays devant les violences policières, ni la révolte des féministes face à l’indifférence ou le mépris de leur vigilance à propos des violences faites aux femmes, rien ne vous aura parlé.
Il me faut conclure. Vous devez organiser un référendum et une réforme des retraites. Le premier « dans les meilleurs délais » et la seconde « ni tout de suite ni aux calendes grecques ». Comprenne qui pourra.
Méditez le philosophe Sénèque, monsieur Castex, et dites en un mot de ma part et de notre part à monsieur Macron : « il n’y a pas de vents favorables pour qui ne sait pas où il va ».