Pour vous abonner à la chaîne de Jean-Luc Mélenchon, cliquez ici :
Discours de Jean-Luc Mélenchon prononcé le mardi 3 mars 2020 pour défendre la motion de censure contre le gouvernement après l’utilisation par ce dernier de l’article 49.3 de la Constitution.
Le président du groupe « La France insoumise » à l’Assemblée nationale a décrit le projet de réforme des retraites comme une « loi BlackRock » qui pousserait au développement des retraites par capitalisation. Il a dénoncé les méthodes brutales et autoritaires du gouvernement pour museler progressivement l’opposition et pour faire passer en force ce texte avec le 49.3.
Jean-Luc Mélenchon a expliqué que les insoumis continueraient à incarner dans l’Histoire ceux qui militent pour la réduction du temps de travail. Et qu’ils obtiendraient le retrait du texte, soit dès maintenant, soit en 2022 en abrogeant ce que la macronie ferait d’ici-là.
Voici la retranscription de ce discours (seul le prononcé fait foi) :
Président, Ministres, collègues,
Le gouvernement, le Président de la République, ont sous-estimé notre capacité de résistance parlementaire à leurs caprices. Ils ont sous-estimé, plus que tout, le rejet profond dans notre peuple du projet qu’ils portaient. Et s’ils l’ont fait, c’est parce qu’ils n’ont pas compris quel ancrage a, dans le peuple, la notion d’égalité et le désir de liberté de sa propre vie, de disposer de soi.
Le peuple sait que cette loi est une loi BlackRock. Ce peuple sait que cette loi est une loi contre sa liberté personnelle de disposer de sa vie.
Une loi BlackRock. La finance fait déjà son marché librement en France et vous êtes ses commis.
En atteste aujourd’hui le passage sous pavillon USA du leader mondial français de la vision de nuit, après Alstom, après le chantier naval, après Latécoère et combien d’autres.
Et ce soir, en refusant de rejeter ce texte, vous allez offrir à la finance le marché de 312 milliards d’euros de la retraite des Français. Toutes les portes sont ouvertes, toutes les voies d’accès sont organisées par cette loi. La retraite par capitalisation est le destin promis de cette réforme. Pour y parvenir, vous avez mobilisé les pires ressorts de la monarchie constitutionnelle. « La dictature, a dit Emmanuel Macron, c’est quand un clan ou une personne décide des lois ». Aujourd’hui, on a le sentiment que vous testez vos talents dans ce domaine. Car décidément, vous êtes prêt à tout, et sans vergogne.
D’abord, le choix de la procédure accélérée, une étude d’impact dont vous brandissiez les milles pages dont nous aurions à être régalés en 4 jours. 1 000 pages pipeautées, 29 ordonnances inconnues dans le texte. Et comment oublier au bout de deux jours la réduction de moitié du temps de parole de l’opposition dans la commission spéciale ? Et le rejet préalable de tous les amendements propositionnels des insoumis fondés sur le contre-projet de retraites que nous avons présenté 10 jours avant l’ouverture des débats ici. Enfin, une tentative pour annuler plus de 1000 amendements du groupe communiste. L’obstruction parlementaire, c’est vous, les marcheurs : vos odieuses méthodes, vos provocations, vos grossiertés, votre acharnement contre nous, vos ragots, quand vous avez décidé de faire croire que nous avions déposés plus de 700 000 sous-amendements, et vos répondeurs automatiques dans les médias qui l’ont répété sans se donner 30 secondes pour aller vérifier si c’était vrai ou pas. Et à présent, le 49.3. Et quel 49.3 ! Décidé sournoisement, au déboté, entre deux coronavirus examinés en Conseil des ministres. Comment osez-vous parler de la défense de la dignité du Parlement ? Vous ne vous êtes pas contentés de nous faire perdre du temps en incidents et en provocations, vous ne vous êtes pas contenté de n’avoir rien à dire interminablement, et aujourd’hui, les grands rénovateurs, qui libérez les énergies, vous allez accepter de laisser passer, sans débat, un texte que vous n’avez jamais lu, puisque le gouvernement l’a augmenté, lui tout seul, de 200 amendements et de 7 ordonnances tout d’un coup transformées en articles de lois.
Et vous êtes là, à lui cirer les chaussures. « Ah, merci notre bon maître, vous avez pris quelques amendements. Ah, merci notre seigneur, vous nous avez écoutés ». Et vous voici vous gargarisant du fait que les oppositions aient été écoutées. Alors nous, nous sommes une case à part, parce que nous sommes à la fois l’opposition, mais aucun de nos amendements n’est pris en compte. Vous serez dès demain matin la risée du monde civilisé démocratique. Oui, parfaitement, les grands rénovateurs. Où ailleurs qu’en France et sous votre gouvernement, une loi au contenu inconnu, aux dispositions inconnues et réecrite par l’exécutif tout seul avant d’être adopté sans vote, dans quel autre pays une chose pareille est-elle possible ? Enfin, pour terminer le tableau de ces violences, mentionnons cet instant lui-même. Là encore, vous avez décidé de réduire d’un tiers le temps de parole des groupes insoumis et communiste. Faut-il qu’on leur fasse peur, mes camarades, pour que 5 minutes leur paraissent interminables.
Cette ultime mesquinerie est la signature de cette équipe. Le 49-3, chez eux, n’est pas un article de la Constitution, c’est une profession de foi, que dis-je, un code génétique.
Aujourd’hui, la monarchie présidentielle assume une métamorphose, un régime autoritaire se consacre nous nos yeux. Et déjà nous voyons des pulsions extrémistes qui nous déplaisent. Vous prétendez dicter à l’opposition quels sont les bons amendements, comment elle doit se comporter, ce qu’elle doit dire, ce qu’elle ne doit pas dire… Bref, une opposition qui ne s’opposerait pas, mais qui viendrait à la rescousse de la pensée du chef. C’est le moment de vous dire : quoi que vous fassiez, vous ne viendrez jamais à bout de ce que nous représentons dans l’Histoire de notre pays. Nous prolongeons dans le présent le destin proposé par le mythe de Prométhée et celui de l’humanisme de la Renaissance. Que la machine et l’intelligence soient entièrement au service du soulagement de la peine humaine. Que la contrainte du temps travaillé diminue et se relâche au point que l’esprit et le corps puissent trouver leur épanouissement. Qu’ils viennent libérer les humains de la nécessité de produire toujours davantage, sans aucun autre horizon que l’épuisement de la nature et des corps.
Qu’aux temps contraints par des horaires imposés et des tâches choisies par d’autres succède la liberté du temps choisi. Cette liberté, c’est celle que permettrait un autre partage de la richesse produite, une réduction de l’accumulation du travail gratuit par le capital. Tel est une fois de plus l’enjeu du moment. Depuis le premier des premiers mai décidé par la Première Internationale ouvrière, la lutte pour la réduction du temps de travail dans la journée, dans la semaine, dans l’année et dans la vie, est au centre de nos programmes.
La journée de 8h, la semaine de 40 h puis de 35h, les congés payés et la retraite à 60 ans sont les acquis des luttes du salariat. Il ne lui a jamais rien été donné sans luttes et sans rapport de force. Et aujourd’hui, nous reprenons cette tâche. À la liberté de disposer de soi, vous opposez la liberté de continuer à travailler, comme si c’était un choix quand un malus viendrait vous priver d’une part substantielle de votre revenu.
Voyez-vous, dans ce contexte, je me réjouis de l’immense école civique qu’aura été cette lutte depuis le 5 décembre et qui va maintenant continuer dans une guérilla populaire et parlementaire, qui va durer aussi longtemps que vous vous obstinerez. Une guérilla pacifique, une guerilla pacifique, car la violence ne sert que vous. (En réponse à un député macroniste qui hurle) Vous allez faire une crise d’apoplexie, vous ne savez pas crier et respirer en même temps. Parce que la violence ne sert que vous. Je me rejouis de voir que le peuple français, poussé cent fois dans le dos, à des conflits de genre, de couleur de peau, de religion, a ressourcé l’unité nationale, dans la seule qui vaille : par l’unité sociale. Lorsque chacun se préoccupe de l’autre, de son bonheur, des bienfaits qui peuvent améliorer sa vie, alors le peuple français oublie toutes les mesquineries dans lesquelles vous vouliez l’enfermer.
L’objectif reste le retrait de votre réforme et nous allons y arriver. Ça prendra le temps qu’il faut, mais nous allons y arriver. Je vais vous dire, en toute hypothèse… (Réponse à un député macroniste qui l’invective) Non Monsieur, ça s’appelle de l’art oratoire et la parole c’est une fonction sacrée du Parlement. Si vous ne croyez pas non plus à l’art de la parole, si vous voulez dicter aux autres ce qu’ils doivent dire, mais alors pourquoi faire un Parlement ? Ça ne sert à rien. L’un d’entre vous a dit « faites taire ces bavards»… les bavards c’est vous, les gens ! L’autre là a dit que ça coûtait trop cher de se réunir. À quoi bon un Parlement ? À quoi bon un gouvernement ? Vous êtes d’esprit dictateur, vous ne supportez pas la contradiction. Vous êtes des technocrates allucinés par leur vérité, vous ne croyez pas à la vertu du dialogue. En toute hypothèse, et quoi qu’il arrive, en toute hypothèse, et quoi qu’il arrive, si jamais nous venions à trébucher – ce qui ne se produira pas, croyez moi – alors, dès 2022, nous annulerons tout ce que vous avez fait !