Intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le 15 octobre 2019 pour expliquer le vote du groupe « La France insoumise » sur le projet de loi bioéthique. Voici la retranscription de son discours :
« On peut dire que c’était un débat extrêmement exigeant pour nous tous, puisque chacun d’entre nous a été conduit aux frontières de ses certitudes et de ses principes, pour en imaginer les prolongements sur des territoires nouveaux, où la loi n’avait pas encore sa place. Nous avons été des défricheurs et des arpenteurs, et je crois pouvoir dire que chacun tâchait de faire du mieux qu’il le pouvait. Sachant que nous étions dans un moment moment extrêmement fondamental où, ensemble, on va définir des règles, nous allons définir, par nos votes, des règles qui vont s’appliquer dans des domaines où il n’y en avait pas.
Alors, quand on fait le bilan, parfois, c’est douloureux. Il a fallu prendre des décisions dans nos groupes alors que nous n’étions sûrs ni d’un point de vue ni de son contraire ; mais pourtant, il fallait décider. C’est pourquoi j’ai dit que c’était certaines fois douloureux. Ensuite parce que dans le mouvement de la discussion, on voyait bien que les objections qui étaient présentées l’étaient toujours de bonne foi et appuyées sur des certitudes morales, philosophiques ou religieuses, qui forçaient le respect de chacun d’entre nous.
Au total, il faut décider. Nous avons choisi une méthode. Nous sommes comme tout le monde :partagés sur certains sujets. Nous avons choisi de soutenir tous les amendements que l’un ou l’autre d’entre nous voulait présenter pour que tous puissent être entendus. Et pour finir, en examinant le texte dans son ensemble, nous avons pris la décision de le voter. C’est assez rare pour que je le signale.
Mais ça n’enlève pas qu’il puisse y avoir des fois des regrets, mais ce ne sont pas des regrets comme d’habitude. Ce sont des regrets d’un autre ordre. Nous aurions aimé qu’on mette l’intelligence artificielle, les questions du brevetage du vivant, ou encore celle qui concerne la manipulation génétique des animaux dans le champ de compétence de ce type de lois. Nous y serons bientôt conduits, parce que tout ceci va déterminer des développements inouïs des sciences et des techniques dans les prochaines années.
Si bien que c’est aussi un élément très positif que d’avoir raccourci le cycle de ces grandes revues sur ce sujet [la bioéthique]. Nous allons de sept ans à cinq ans. C’est court, cinq ans ; mais c’est toujours trop long par rapport au rythme auquel les choses vont. Il faut espérer que les principes que nous aurons établis en amont, par exemple avec cette loi, puissent nous servir de jurisprudence morale et philosophique pour trancher dans le futur.
Ça, c’est dit pour la partie proprement bioéthique. La vérité est que la PMA n’avait rien à voir avec le sujet. Car en vérité cette technique est connue et approuvée ; et, en fait, la PMA n’avait qu’un sujet : établir une nouvelle forme de filiation, et nous sommes d’accord, à la condition de l’assumer totalement. Oui, la société humaine établit par ses règles, ses rites, ses lois, les formes de la filiation, et nous venons de créer une nouvelle forme de famille – on va voir le vote, il semble entendu.
Mais je dirais qu’il n’enlève pas toutes nos responsabilités. Demain, qu’on ait été d’accord ou pas, c’est le regard que nous porterons sur ces familles et sur ces enfants qui permettront qu’en définitive, ils puissent accomplir les devoirs d’amour qui sont prévus par cette forme familiale.
J’ai entendu avec intérêt et respect les arguments qui ont été pris et empruntés aux « vérités biologiques », auxquelles je ne crois pas, comme nombre des matérialistes qui constituent mon groupe. Mais, puisqu’on se réclame de la tradition, alors je vous invite à relire le jugement de Salomon : et vous verrez qu’il ne se fie pas à la vérité biologique. Il ne se fie qu’à une chose ; au geste d’amour de la femme, qui dit : « je préfère lui donner mon gosse plutôt que de le voir coupé en deux ». Et cette même vérité d’amour s’applique dans « Le Cercle de craie caucasien ».
J’achève. Je regrette que l’on n’ait pas respecté la plus stricte égalité entre les formes de familles, et notamment pour ces familles composées de deux femmes avec les autres familles. Ça ne sert à rien : un jour ou l’autre, il faudra supprimer ces mentions qui continuent à discriminer. Si l’on va dans un sens, il faut y aller jusqu’au bout et non pas s’arrêter à mi-chemin avec des choses qui, peut-être, vont être des sources de souffrance demain.
Oui, j’achève en vous disant : Épiméthée nous avait oubliés quand il a distribué les vertus à tous les animaux ; Prométhée nous a sauvés en nous rendant maîtres de nous-mêmes et de notre propre auto-construction. En choisissant de réaffirmer notre droit à établir qui sont les pères, mères, qui sont les parents, qui sont les enfants, nous donnons une leçon d’humanisme et de Lumières. »