Le procès LuxLeaks : deux lanceurs d’alerte sur le banc des accusés !

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Jeudi 23 novembre s’est ouverte à Luxembourg l’audience en cassation des lanceurs d’alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet. Ces deux anciens salariés du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC) sont à l’origine du scandale Luxleaks.

Grâce aux informations transmises par les deux hommes, le Consortium international des journalistes d’investigation révélait en novembre 2014 les pratiques d’évitement fiscal conclues par 340 multinationales avec l’administration fiscale luxembourgeoise. Les accords fiscaux en question, conclus entre 2002 et 2010, ont permis à des groupes internationaux tels qu’Apple, Amazon, BNP Paribas ou encore Ikea d’économiser plusieurs milliards d’euros. Les rescrits autorisés par le Luxembourg ont ainsi privé plusieurs Etats européens d’une ressource fiscale totale de centaines de milliards d’euros.

En mars dernier, Antoine Deltour et Raphaël Halet ont été condamnés en appel à respectivement 6 mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende pour violation du secret d’affaires et blanchiment d’informations volées et 1 000 euros d’amende pour copie initiale des documents au détriment de l’employeur ; des peines allégées en comparaison avec la première instance. Néanmoins, les prévenus, bien qu’ils reconnaissent la matérialité des faits, déclarent avoir agi en citoyens et demandent à la justice luxembourgeoise d’être acquittés. Antoine Deltour a déjà annoncé qu’en cas de confirmation de l’arrêt en appel par la Cour de cassation, il saisirait la Cour européenne des droits de l’Homme.

Il est urgent de protéger les lanceur.se.s d’alerte des « poursuites bâillons »

Le procès Luxleaks révèle l’insuffisance criante des législations nationales et européennes existantes pour protéger les lanceuses et lanceurs d’alerte, et prévenir l’auto-censure face à la crainte d’un licenciement abusif et de poursuites judiciaires longues et coûteuses.

En France, l’un des six pays de l’UE à avoir adopté une définition des lanceurs d’alerte, les cas d’acquittement sont encore trop rares ; il faut un courage immense aux lanceur.ses.s d’alerte pour aller au bout de leur démarche. On peut saluer à ce titre le jugement du tribunal correctionnel de Toulouse qui a relaxé mardi dernier (21 novembre) la lanceuse d’alerte Céline Boussié. Le statut de lanceur.se.s d’alerte prévu par la loi Sapin II de 2016 est extrêmement restrictif et impose une procédure graduée de signalement encore trop contraignante. Les dispositifs prévus auprès du Défenseur des droits sont également trop faibles pour assurer une réelle protection.

Au niveau de l’UE, la disparité des régimes nationaux entre Etats membres rend nécessaire une harmonisation à l’échelle de l’Union. Au printemps 2017, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a promis une loi européenne sur le statut de lanceur l’alerte. Une consultation publique a été lancée auprès des citoyens européens suite aux appels répétés du Parlement européen , mais la promesse reste pour l’instant lettre morte. Remarquons d’ailleurs que le même Jean-Claude Juncker était Premier ministre du Luxembourg entre 1995 et 2013, période à laquelle des centaines de rescrits fiscaux ont été concédés aux multinationales. L’ancien responsable fiscalité d’Amazon avait même déclaré que Juncker s’impliquait dans les négociations fiscales… Quoi qu’il en soit, les révélations d’Antoine Deltour et Raphaël Halet auront donné à Margarethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, l’occasion d’enquêter sur les rescrits fiscaux illégaux accordés par le Luxembourg à Amazon entre 2003 et 2014 et grâce auxquels les trois quarts des bénéfices du géant américain n’étaient pas imposés. En octobre dernier, la Commission a condamné Amazon à rembourser 250 millions d’euros au Luxembourg !

Une urgence prise en compte par les eurodéputés, mais qui attend toujours une validation de Bruxelles

Le 24 octobre dernier, le Parlement européen a voté un rapport sur la protection des lanceurs d’alerte dans lequel il demande à la Commission « une proposition législative qui garantisse un niveau de protection élevé (…) à tous les niveaux des secteurs publics et privés ». Les eurodéputés ont proposé une définition plus précise et plus étendue des lanceurs d’alerte. Elle ne se limite pas au contexte professionnel, ce qui permet d’investir l’ensemble de la société civile d’une mission d’alerte. Le rapport rappelle également la primauté de l’intérêt général sur le caractère privé ou la valeur économique des informations concernées ; rappel primordial qui réaffirme les limites de l’application des dispositions de la directive sur le secret des affaires lorsqu’il est question des lanceurs d’alerte.

Enfin, soulignons que le Parlement européen a proposé deux nouveaux dispositifs de protection : la création d’une plateforme institutionnelle européenne, semblable à celle de Wikileaks, permettant la transmission anonyme et protégée des informations, ainsi que la création d’une institution européenne indépendante d’accompagnement et de protection des lanceuses et lanceurs d’alerte. Reste à savoir si ces propositions seront suivies par la Commission européenne de Juncker…

Le procès Luxleaks est l’occasion de rappeler nos droits et d’appeler à la reconnaissance du statut de ceux qui se battent pour nous informer et nous permettre de comprendre les méthodes et les choix de ceux qui nous gouvernent. Il est urgent de protéger les citoyens et les salariés lanceurs d’alerte, qui prennent des risques considérables au nom de l’intérêt général, et qui subissent encore, au nom d’intérêts privés ou financiers, des licenciements abusifs, des procédures judiciaires à répétition et de trop nombreuses discriminations dans le monde du travail.

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