Au nom de la France insoumise, Manuel Bompard a répondu au président de la République après sa nouvelle déplorable opération de communication.
Voici la lettre qu’il lui adresse ce jour.
Monsieur le Président de la République,
Vous m’avez transmis ce jeudi 7 septembre un projet de relevé de conclusions de la réunion organisée le mercredi 30 août à Saint-Denis en y invitant les responsables de partis politiques.
Contrairement à ce que vous indiquez dans votre courrier, nous n’avons jamais convenu que le contexte national et international nécessitait la mise en place d’un tel format de discussion. Opposés à la monarchie présidentielle, nous considérons au contraire que les débats politiques indispensables pour faire face aux crises qui frappent notre pays doivent avoir lieu dans les Assemblées parlementaires. Nous sommes donc totalement hostiles à la multiplication de ces opérations de contournement du débat démocratique dans ses formes institutionnelles. Ce sont pour nous de déplorables campagnes de communication sans effet auxquelles vous pensez avoir habitué le pays.
En ce qui concerne le projet de relevé de conclusions que vous nous avez transmis, il appelle de ma part les remarques suivantes.
1- Sur la situation internationale
La France insoumise, par la voix de son candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon, a été la première force politique à condamner l’agression russe de l’Ukraine. À ce titre, nous accueillons positivement le fait que vous preniez acte de la dénonciation unanime parmi les forces politiques de cette offensive militaire, et nous espérons donc, en cohérence, que vous cesserez d’attribuer à ma formation politique une complaisance mensongère avec le régime russe. Vous êtes bien placé pour le savoir puisque vous avez apporté votre aide personnelle pour que nous puissions accueillir des refugies opposants russes anti-guerre et nous vous en avons remercié publiquement.
Sur la politique de la France vis-à-vis de ce conflit, nous réaffirmons qu’il n’y a pas d’issue militaire à cette guerre et que notre pays doit jouer un rôle diplomatique actif pour permettre un retour le plus rapide possible à la paix, dans le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et du droit international.
D’ici là, nous considérons que tout doit être fait pour empêcher une catastrophe plus grande encore que celle que nous avons sous les yeux. Nous vous avons d’ailleurs indiqué que nous souhaitions que la France prenne une initiative à l’ONU pour la protection des centrales nucléaires présentes sur le territoire ukrainien, comme l’a demandé le parlement ukrainien et comme nous le proposons depuis plusieurs mois.
En ce qui concerne la situation en Afrique, nous mettons en cause la responsabilité de votre politique dans la dégradation des relations entre les peuples africains et la France. Vous y avez même une responsabilité directe puisque plusieurs de vos actions personnelles lors de vos déplacements ont été considérés comme un mépris tout simplement insupportable. Votre refus de tirer la leçon de ces attitudes n’augure rien de bon pour le moment troublé que nous vivons. Vous avez mis la France dans l’impasse en Afrique. En ce qui nous concerne, nous voulons bâtir une relation nouvelle avec l’Afrique, débarrassée des logiques de domination et s’appuyant sur le respect de la souveraineté des peuples. A ce titre, nous demandons encore un débat à l’Assemblée nationale pour faire le bilan des opérations militaires françaises et de leurs conséquences politiques dans la zone.
Sur d’autres sujets que vous avez abordé rapidement, nous vous rappelons que nous avons demandé une action plus forte de la France pour la paix en Arménie et pour une solution politique durable dans le conflit israélo-palestinien. D’un point de vue plus général, nous avons pointé la nécessité d’une stratégie de la France basée sur le non alignement et une diplomatie altermondialiste à l’heure d’évolutions géopolitiques et climatiques majeurs à l’échelle du globe.
2- Sur la vie démocratique du pays
Contrairement à ce que vous indiquez, nous ne sommes pas retrouvés autour de l’idée que le problème principal du pays était le manque de clarté et de lisibilité de l’action publique. Nous vous avons indiqué au contraire que la crise démocratique qui frappe le pays aujourd’hui provient en grande partie du refus des différentes formations politiques qui se sont succédées au pouvoir de respecter la souveraineté populaire.
A ce titre, l’action qui a été la vôtre depuis plusieurs années, en particulier ces derniers mois autour de la réforme des retraites, porte une très lourde responsabilité dans l’aggravation de la fracture entre le peuple et sa représentation politique. Cette réforme, imposée par 49.3 contre l’ensemble des syndicats et sans vote de l’Assemblée nationale, ne dispose d’aucune légitimité populaire. C’est pourquoi nous vous avons dit que si vous étiez désormais favorable à des référendums, c’est sur la réforme des retraites qu’il fallait d’abord consulter les Français. Mais vous l’excluez, en ne faisant pas mention de notre demande dans votre relevé de conclusions.
Il n’y aura pas de rétablissement de la confiance politique par des mesurettes ou des bricolages. C’est une refonte complète de nos institutions qui est à l’ordre du jour. C’est pourquoi nous défendons l’idée d’une assemblée constituante pour bâtir une 6ème République permettant d’accorder des droits nouveaux aux citoyens. Dans ce cadre, nous sommes favorables au mode de scrutin à la proportionnelle, à la mise en place du référendum d’initiative citoyenne ou encore au droit de révoquer les élus comme j’ai pu l’exprimer lors de notre échange.
3- Sur les urgences du pays
Vous avez souhaité intituler ce temps de travail « Faire nation », en réaction aux révoltes populaires qu’a connues le pays au mois de juillet. À ce titre, nous vous avons rappelé qu’il était tout simplement incompréhensible de prétendre tirer des enseignements politiques d’une telle période sans s’attaquer à ce qui a été le fait générateur de ces évènements.
Vous retirez à nouveau toute référence à ce sujet, malgré les interventions sur ce point de plusieurs représentants politiques lors de la réunion. Nous vous rappelons donc que nous avons demandé une condamnation sans équivoque du communiqué du syndicat Alliance Police, une remise en cause de la loi de 2017 sur l’usage des armes, un remplacement de l’IGPN par une autorité réellement indépendante et une action contre les problèmes structurels de racisme dans la police, pointés par l’ONU ou par le Défenseur des Droits. Votre silence sur ces questions, que vous effacez du compte-rendu de nos échanges, en dit long sur votre refus sans motif d’engager les transformations indispensables pour améliorer le rapport entre la police et la population.
De manière plus générale, nous déplorons que l’urgence sociale qui frappe le pays, tout comme l’urgence climatique qui menace la survie de l’humanité, n’aient pu être abordées que par effraction après près de 10 heures de discussion.
Nous vous rappelons la gravité de la situation en cette rentrée : l’inflation sur les produits alimentaires dépassent 20% en deux ans ; les salaires ont régressé sur ces deux dernières années si l’on tient compte de l’inflation dans la même période ; les privations frappent une grande majorité de la population et la consommation populaire est en chute libre.
Dans le même temps, les profits des grandes entreprises ont atteint des niveaux historiques. Selon le Fond Monétaire International (FMI), l’augmentation de ces profits est la première cause de l’inflation à l’échelle mondiale. En France, les marges de l’industrie agroalimentaire ont augmenté de 70% en deux ans. Les dividendes versés aux actionnaires ont atteint un record historique en augmentation de 13% sur un an. Et notre pays détient désormais le record d’Europe du nombre de millionnaires. Cette situation d’inégalités criantes est la conséquence de votre politique.
Depuis des mois, vous refusez toute action de l’État pour mettre à contribution les profiteurs de crise et pour intervenir sur les marchés par des mesures de blocage des prix et d’encadrement des marges. Vous faites le choix à nouveau de balayer cette demande légitime. Elle est pourtant soutenue par une très grande majorité des français.
Depuis des mois, vous refusez toute action volontariste de l’Etat pour permettre une augmentation générale des salaires, par une hausse exceptionnelle du SMIC ou par le rétablissement de l’indexation des salaires et des pensions de retraite sur l’inflation. Vous rejetez à nouveau ces propositions.
Vous prétendez que notre échange permettra d’aboutir sur une conférence sociale sur les minimas de branches situés en dessous du SMIC. Nous vous rappelons que vous avez déjà pris cet engagement le 22 mars 2023 et que, depuis cette date, rien n’a été fait sur ce sujet. Pire encore, le nombre de minimas de branche en dessous du SMIC est aujourd’hui supérieur à ce qu’il était en mars de cette année. Nous défendons un changement de la loi, comme le demandent plusieurs syndicats, pour que la revalorisation des minimas de branche soit automatique à chaque hausse du SMIC. Et nous demandons de faire respecter le SMIC dont l’application est un droit et non une faveur.
Depuis des mois, vous refusez toute action sérieuse à la hauteur de l’urgence climatique. C’est sous votre responsabilité que la France est à la traîne de ces objectifs de développement des énergies renouvelables et qu’elle a reçu plusieurs condamnations pour inaction climatique. Mais ici aussi, vous balayez d’un revers de la main nos propositions pour un plan d’urgence pour l’eau, pour des investissements massifs en faveur de la rénovation thermique des bâtiments ou pour une transition agricole compatible avec nos limites planétaires.
Enfin, je vous rappelle également que nous avons été plusieurs à intervenir pour dénoncer la répression féroce que vous faites subir aux associations, aux syndicats et aux collectifs qui se mobilisent contre votre politique. Vous avez refusé de prendre l’engagement d’abandonner cette honteuse dissolution du collectif des Soulèvements de la terre ou de cesser vos politiques d’intimidation des syndicalistes engagés dans la mobilisation contre votre réforme des retraites.
Voici donc quelques-unes des remarques que je voulais vous faire à la lecture de votre courrier. Elles reprennent des éléments que nous sommes plusieurs à vous avoir déjà indiqué à l’oral et dont vous n’avez pas souhaité tenir compte. Nous prenons donc acte du fait que vous préférez reprendre à votre compte les propositions de la droite et de l’extrême-droite.
Mais nous n’avons pas l’intention de vous accompagner dans cette évolution dangereuse et aveugle des urgences du pays. Je vous confirme donc que nous combattrons fermement cette politique.
Recevez, monsieur le Président de la République, des salutations républicaines les plus déterminées.
Manuel Bompard,
Coordinateur de la France insoumise