Dans le cadre de la future loi sur l’Orientation et la réussite des étudiants, Michel Larive est intervenu dans l’hémicycle mardi 12 décembre 2017.
33% des jeunes de 18 à 23 ans sont nés dans une famille ouvrière. Ils ne sont qu’1 sur 10 parmi les étudiants. 17.5% des enfants ont des parents cadres supérieurs et ils représentent 30% des étudiants. Les sociologues nous alertent depuis des décennies sur ce constat de la “reproduction sociale”, pour citer Bourdieu. Pourtant, la première mesure de votre ministère est la mise en place d’une sélection qui ne dit pas son nom à l’Université. Madame la Ministre, sous couvert d’orientation et de réussite des étudiants, vous êtes en marche vers une accentuation des inégalités !
Le premier constat que nous devons faire, c’est le manque de moyens incontestables alloué à l’enseignement supérieur. Le mois dernier, vous avez annoncé une hausse de 700 millions d’euros pour l’enseignement supérieur et la recherche dans le PLF 2018. Il s’avère que ce chiffre n’est pas exact ! Avec 330 millions d’euros d’annulation de crédits, l’augmentation réelle avoisine les 370 millions d’euros. Nous sommes loin des ambitions annoncées pour une des priorités révélées du quinquennat. Corrigé de l’inflation, le budget de l’enseignement supérieur est passé de 12.4 milliards à 13.4 milliards d’euros en 10 ans. Il y a 20% d’étudiants en plus sur la même période. Le budget par étudiant a donc chuté de 10% en 10 ans ! La France à la chance de voir sa population augmenter de façon significative. Cette démographie s’accompagne inéluctablement de l’accroissement du nombre d’étudiants sur les bancs de la fac. Face à cette évolution, les pouvoirs publics ont le devoir de s’adapter à la situation. Les moyens et les infrastructures d’aujourd’hui ne permettront pas d’accueillir les quelques 45.000 étudiants supplémentaires annuel, tout en assurant un enseignement supérieur de qualité. Il faudra bien qu’un jour votre ministère prenne conscience que les moyens alloués à l’université doivent être corrélés à l’augmentation du nombre d’étudiants. Vous ne semblez pas avoir pris la mesure de la situation.
La politique d’austérité que vous menez, participe pleinement à la réussite de la stratégie de Lisbonne. Cette logique entrepreneuriale, qui est soumise aux injonctions libérales, répond au livre blanc du Conseil européen de mars 2000. Votre “plan étudiant” se calque sur un modèle d’outre-Atlantique, élitiste et sélectif, où étudier rime avec s’endetter. L’université est un service public. Elle doit donc rester ouverte à toutes et à tous. L’étudiant ne doit pas être la variable d’ajustement des dysfonctionnements de l’université. Il faut abolir le tirage au sort, il faut résorber les tensions de certaines filières. Pour se faire, la seule solution c’est d’augmenter les moyens alloués à l’université pour en garantir la plus large accessibilité.
Madame la Ministre, le projet de loi que vous appelez « Orientation et réussite des étudiants » n’est autre que le prolongement des politiques antérieures menées par vos prédécesseures : Mesdames Pécresse et Fioraso. C’est une politique de désengagement de l’état au profit d’une marchandisation du savoir. Ainsi, vous serez à la tête d’un ministère qui persévère dans l’offre de logements étudiants insalubres, d’un service de bourses dégradé, d’une protection sociale dédiée inexistante et d’un service public en voie de privatisation. La jeunesse de notre pays mérite mieux !
L’individualisation des parcours via le contrat de réussite étudiant fait perdre au diplôme son cadre national, qui lui donne sa valeur. Ainsi, il est créée une échelle de valeurs qui n’existait pas. Celle-ci générera forcément une sélection pour la continuité des études. Nous aurions préféré un service public d’orientation et le renforcement des dispositifs pédagogiques en premières années afin de garantir la réussite du plus grand nombre.
Pour être conforme à l’esprit du Conseil National de la Résistance et au bloc de constitutionnalité de notre pyramide des normes, l’université devrait être gratuite. Le préambule de 1946 prévoit la gratuité de l’enseignement public à tous les niveaux. Nous considérons que l’accès à l’enseignement supérieur doit être le plus large possible pour permettre l’émancipation par le savoir du plus grand nombre.
Nous estimons que la sélection existe aujourd’hui au sein des établissements d’enseignements supérieurs. Elle est conditionnée à l’acquisitions de compétence. Il s’agit du contrôle continu, des partiels, des travaux dirigés, d’une obligation d’assiduité, des mentions, de l’organisation des rattrapages… Bref, les étudiants et les étudiantes sont déjà évalués au sein même de l’université, par l’université, sur leur action à l’université. Nous n’avons pas besoin d’ajouter des difficultés d’accès au diplôme aux portes de l’institution.
Ce projet fait l’objet d’une concertation lacunaire. À titre d’exemple, la suppression du RESS, le régime de sécurité sociale étudiant, a été décidé sans même consulter les organisations étudiantes ! Nous estimons qu’en agissant ainsi, le Gouvernement se déconnecte des véritables besoins estudiantins. Vous ne répondez pas aux problématiques d’accès aux soins. L’inscription des étudiants au régime général de la sécurité sociale ne solutionnera pas le problème : Un tiers d’entre eux renoncera toujours à se soigner pour des raisons financières ! La mise en place d’un droit commun pour nos étudiants en matière de santé aurait pu être satisfaisante. Mais vous n’anticipez pas le manque d’autonomie et les inégalités qui en résulteront ! Beaucoup préféreront être rattachés au régime de sécurité sociale de leurs parents. Ceci ne résoudra en rien les inégalités existantes, elles seront peut-être accentuées.
Dans le même état d’esprit, l’année sabbatique que vous proposez aux étudiants pose un problème d’équité. Vous établissez la possibilité qu’un étudiant suspende sa présence dans l’établissement afin qu’il réalise un projet professionnel ou personnel. Ceci est viable pour un étudiant financièrement aisé. Mais comment voulez-vous, qu’un étudiant boursier ou dans une situation financière précaire puisse avoir le loisir de bénéficier d’une année sabbatique ? Ces étudiants travailleront nécessairement et s’ils le faisaient déjà, évolueront d’un temps partiel vers un temps plein. Ils ne seront alors plus du tout étudiant, mais travailleurs. Vous nous proposez donc une année sabbatique de classe, où seuls celles et ceux qui pourront se passer de l’aide de l’État, pourront en profiter.
Madame la Ministre, le projet que vous présentez est pernicieux. Nous veillerons à mettre ses failles en lumière tout en étant force de proposition. Orienter ce projet vers une réussite de tous les étudiants est, je le crois, notre objectif commun. Ce plan étudiant ne reflète en rien l’avenir auquel aspire la jeunesse ! Après les ordonnances sur la loi travail et autres sessions extraordinaires, voici que vous nous proposez la procédure accélérée. Vous décidez seule, sans concertation avec les organisations étudiantes de passer une nouvelle fois en force sur ce texte. Pourtant, un sujet tel que la sélection à l’université mérite le temps de la réflexion et surtout celui du débat avec l’ensemble de la représentation nationale.
La majorité des jeunes électrices et électeurs s’est exprimée en avril en faveur d’un avenir en commun. Ils n’ont pas choisi la sélection, la privatisation de l’université, la discussion de la gestion de la misère. Ils ont privilégié le choix du savoir émancipateur.