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Paris-Bruxelles : l’axe des lobbies

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La fin de semaine a été particulièrement chargée. L’activité du parlement est rarement détaillée et encore moins mise en valeur. Il y aurait pourtant eu matière : on discutait de la loi agriculture et alimentation, et les débats ont duré jusqu’à environ six heures du matin le samedi. Le vote sur l’abandon du glyphosate, refusé par les marcheurs, a eu lieu à 4h30 du matin ! Qui le signale ? Ne serait-ce que pour alerter sur les conditions dans lesquelles on légifère dans ce pays. Qui peut penser qu’on a l’esprit au clair au bout d’une nuit blanche ? Est-ce là la façon dont les Français·e·s veulent qu’on fasse les lois ? Bien sûr que non ! Mais ne comptez pas sur les journalistes pour leur apprendre que c’est pourtant le cas. Il est plus facile de recopier les dossiers de presse du gouvernement que de suivre les débats dans l’hémicycle et d’en faire un résumé convenable. Cela demande du temps et quelques efforts. Au contraire, les dossiers envoyés par les communicants du gouvernement sont brefs, clairs et joliment maquettés. Il ne faut pas s’étonner ensuite que toute la presse dise la même chose, parfois au mot près. Je montrerai un jour ce genre de dossiers qui transforment en ventriloques celles et ceux qui font pourtant profession d’informer.

Les ventriloques de l’Assemblée

Mais pour l’instant, je voudrais raconter comment dans l’hémicycle nous avons affaire à d’autres ventriloques. La loi sur l’agriculture et l’alimentation a été un festival en la matière. Le gouvernement et les députés de la majorité se sont succédés pendant des heures pour prononcer les mots que d’autres avaient écrits pour eux. Quels autres ? Les lobbyistes bien sûr !

Il faut le voir pour le croire : pour empêcher le vote de chaque amendement que la France insoumise avait déposé, la majorité se mettait à ânonner des fiches visiblement écrites par des professionnels de l’influence. C’était si visible que la députée Perrine Goulet, a même repris, mot pour mot, des formules entendues dans Cash investigation dans la bouche d’un lobbyiste du plastique.

J’ai personnellement défendu nos amendements concernant notamment l’abandon du glyphosate, la lutte contre les plastiques, l’amélioration de la condition animale, des sujets qui me tiennent particulièrement à cœur. À vrai dire beaucoup de nos amendements avaient déjà été rejetés en première lecture et nous n’avions plus la possibilité de les déposer à nouveau.

En finir avec la maltraitance animale

Pour les animaux il fallut se contenter de demander l’interdiction de l’élevage des poules en cage. En réalité, ce sont des mesures simples et de bon sens que nous demandons depuis des années : l’abandon immédiat d’un produit nocif comme le glyphosate, la fin des productions de plastiques devenus surabondants, l’abandon des pratiques de pure maltraitance à l’égard des animaux comme la castration à vif des porcelets, leur caudectomie (amputation de la queue), le broyage des poussins vivants, l’élevage des lapins encagés, avec pour vivre un espace grand comme une feuille de papier A4.

Pour une société harmonieuse

Ce sont des transformations impératives si l’on veut enfin ramener un peu d’harmonie dans la société. Le degré de violence qui imprègne notre société est encore si élevé. On ne la montre pas mais tant de personnes sont contraintes de prendre part à ces pratiques industrielles. Elles sont traumatisantes pour les bêtes mais aussi pour les hommes. C’est le paradoxe de notre lutte : nous obliger à bagarrer si constamment pour rendre un peu de douceur à notre monde, pour faire cesser l’exploitation des hommes et de la nature, qui brutalise tout sans distinction.

Dans cette entreprise, les puissances d’argent sont des ennemis farouches et déterminés à ne rien céder. Les débats au parlement ont reflété cette humeur quasiment belliqueuse qui anime l’industrie de l’agro-alimentaire. Ceux-là ont des plans de bataille bien rôdés. Ils se dissimulent derrière des organisations soi-disant représentatives, des fédérations de professionnels fantoches ou manipulés, des pseudo ONG de défense de la planète, ils font parler de petits producteurs à leur place, ils mettent en scène un ou deux cas particuliers dans la presse qu’ils font ensuite passer pour des cas généraux, ils font fuiter un sondage bidon, ils paient des « spécialistes » véreux et subventionnent des études truquées, proposent des amendements clés en main aux députés fainéants et au gouvernement, ils font acheter des encarts publicitaires par leurs commanditaires et au bout du compte, il leur arrive même de mettre leurs réseaux au service d’un candidat à l’élection présidentielle…

Des absents notables

Pris au milieu de ce marigot, j’aimerais simplement dire ce que j’ai vu durant ces débats. J’ai d’abord remarqué certains absents notables : Aurore Bergé et Matthieu Orphelin. La première s’était tant vanté dans Paris Match de défendre les animaux ; je pensais qu’elle apporterait une contribution à la lutte « commune »… Le deuxième est souvent présenté comme le représentant de Nicolas Hulot au parlement. Ayant déposé un amendement sur le glyphosate, on pouvait aussi imaginer qu’il prendrait la peine de le défendre dans l’hémicycle. Apparemment, une cause plus importante l’avait retenu ailleurs…

Mais sur les bancs de l’assemblée, j’ai vu surtout l’agitation de nos adversaires suite à mon discours sur la condition animale rappelant de simples faits. Elle était impressionnante. L’empressement à nous refuser toute avancée avait quelque chose de frénétique et de malsain. On croyait voir des employés inquiets à l’idée de ne pas remplir les objectifs du patron. Et il faut bien admettre que les lobbies sont vis-à-vis du gouvernement et de la majorité dans cette situation.

Des lobbyistes députés…

Bien des députés servent la stratégie des lobbyistes en pleine conscience. Eux-mêmes l’ont été avant d’être députés. Aujourd’hui, ils font le même métier mais par d’autres moyens. Inutile de faire une recherche approfondie pour trouver leurs noms. Leur liste est longue. J’en donne quatre, emblématiques et consternants.

Voyez par exemple, une des trois questeurs de l’Assemblée : Laurianne Rossi. Son CV indique qu’elle a été chargée de mission à SNCF Réseau. Cette entreprise est une filiale de la SNCF créée sous la pression de Bruxelles. En dissociant gestion du rail et exploitation du rail, la création de cette filiale était un premier pas vers la privatisation. Au printemps dernier, qui croyez-vous que le gouvernement a chargé de sa réforme de la SNCF, nouveau pas vers la privatisation ? Laurianne Rossi bien entendu. À vrai dire, la nature de son travail au sein de SNCF Réseau n’est pas clair ; au vu de ses emplois passés, le plus vraisemblable est qu’elle avait pour mission de gérer les relations avec les pouvoirs publics : un travail de lobbyiste en somme…

Un autre marcheur lobbyiste, le très jeune vice-président de la commission des affaires économiques, Mickaël Nogal. Celui-ci n’a pas la prudence de sa collègue. Tout faraud, il se vante d’avoir été le responsable du lobbying du groupe OranginaSuntory. Quel titre de gloire ! Il avait auparavant travaillé pour la fédération professionnelle des produits d’épicerie sucrée et de nutrition spécialisée. Comme cela est bien dit ! Cela lui avait valu d’être le benjamin des personnes décorées du mérite agricole. Stéphane Le Foll lui-même s’était chargé de le récompenser…

… À l’Élysée…

Un troisième exemple, au plus près d’Emmanuel Macron : sa « plume », Sylvain Fort. Désormais responsable de la communication de l’Elysée, ce Monsieur Fort avant d’exercer pour le président de la République avait créé un cabinet de conseil en communication. Si l’on en croit le journal Le Monde, parmi ses clients, il avait eu, ni plus ni moins, que le royaume d’Arabie Saoudite ! La monarchie avait eu recours à ses services pour redorer son blason en France. Voilà qui explique peut-être le silence coupable de la France quand il s’agit de condamner les atteintes aux droits humains dans ce pays. Voilà qui explique peut-être que le gouvernement ne répondent pas à notre demande de suspension des ventes d’armes françaises aux pays en guerre au Yémen.

….et à Matignon…

Un dernier lobbyiste et pas des moindres, le Premier ministre lui-même : Edouard Philippe ! Celui-ci, c’est au service d’Areva qu’il travailla pendant trois ans, de 2007 à 2010. Il officiait alors comme « directeur des affaires publiques », soi lobbyiste en chef. Il fallait beaucoup d’indulgence, voire de naïveté, pour imaginer qu’entre Nicolas Hulot et lui il y aurait un accord pour sortir du nucléaire. Tout cela est relativement facile à savoir, pour peu qu’on prenne un peu de temps. Tout se fait en « toute transparence » comme ils disent. Mais leur transparence de toute façon ne prête pas à conséquence : la lumière est allumée mais tout le monde regarde ailleurs.

…et bien sûr à Bruxelles !

Et tout ça n’est pas seulement vrai en France. Au niveau de l’Union européenne, la goinfrerie des lobbies n’est pas moindre. L’argument fallacieux selon lequel la sacro-sainte « transparence » permettrait d’éviter les « dérives » ne trompe personne. Tout au plus quelques scandales émergent, un individu est sacrifié et la noce reprend. J’ai évoqué plus haut le dernier numéro de Cash Investigation sur la catastrophe écologique causée par le plastique. On y voit notamment un certain Gérald Bocken.  L’individu est un des responsables de l’ONG « Clean Europe Network » et sur la liste des Verts aux élections en Belgique. Mais quand on fouille un peu il apparaît que le secrétaire général de « Clean Europe Network » et aussi secrétaire général de  Pack2Go Europe », le lobby des fabricants d’emballage. Les deux associations travaillent dans le même bâtiment.  Son parti l’a exclu suite à l’émission mais le récit donne la mesure de l’impunité qui règne aux abords des institutions européennes. Pour tout dire, à Bruxelles, le lobbying est chez lui. Les intérêts privés sont si choyés par la Commission que leurs représentant·e·s sont comme des poissons dans l’eau. Dans la ville, de nombreux bars et restaurants ont l’habitude de voir en fin de journée débouler des groupes de lobbyistes accompagné·e·s de haut-fonctionnaires de la Commission, d’assistant·e·s parlementaires, voire de député·e·s. La confusion entre intérêt général et intérêt générale est plus qu’ignorée, elle est acceptée et même revendiquée. La doctrine est la suivante : « quand big business va tout va ! ». Laboratoires pharmaceutiques cherchant le moyen d’étendre leur emprise sur le marché du médicament, industriels de la chimie cherchant à faire oublier que leurs produits sont toxiques, banquiers soucieux de poursuivre leurs magouilles dans les paradis fiscaux, agro-industriels déterminés à continuer à gaver enfants et adultes de sucre et de sel, négociants de matières premières polluantes en tout genre, les vautours ont table ouverte dans l’Union européenne. Et Paris n’est qu’une dépendance de l’empire du lobby ; la ville n’offre encore qu’une petite idée du genre de rapaces que nos député·e·s vont devoir déplumer quand ils arriveront au Parlement européen. Notre député Younous Omarjee a la technique et nos candidat·e·s ont la volonté pour l’apprendre et l’appliquer. Prendre pied à Bruxelles sera une condition pour mettre fin au gavage de ces oiseaux-là, là-bas mais aussi en France. C’est cela l’enjeu de l’élection. On comprend que nos adversaires préfèrent organiser la diversion en parlant des migrant·e·s. Ne nous laissons pas détourner de notre cible.

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