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Loi séparatisme : La France insoumise participe au recours collectif devant le Conseil constitutionnel

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71 députés dont ceux des groupes Gauche démocrate et républicaine, La France insoumise, et Socialistes et apparentés ont déposé un recours pour contester devant le Conseil constitutionnel le projet de loi « confortant le respect des principes de la République ».

Nous estimons que cette loi est manifestement contraire à plusieurs principes à valeur constitutionnelle et notamment :

- Elle porte une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’association (articles 6, 7 et 8). Avec cette loi, une autorité administrative pourrait refuser l’octroi d’une subvention ou exiger son remboursement à une association qui ne respecterait pas un « contrat d’engagement républicain ». Mais le contenu même de ce « contrat d’engagement républicain » étant caractérisé par le flou, cet article risque de conduire à de très sérieuses atteintes à la liberté d’association.

- Elle porte atteinte au droit à la sûreté et fait peser une grave menace sur la liberté d’expression et plus particulièrement sur la liberté d’informer (article 18). Cette loi pourrait faire obstacle à une enquête journalistique concernant une personne ne serait-ce qu’en publiant le nom de l’entreprise qu’elle dirige ou dans laquelle elle travaille ou pourrait servir de prétexte pour placer en garde à vue toute personne filmant une intervention policière par
exemple lors d’une manifestation.

Nous demandons au Conseil constitutionnel de censurer ces dispositions ainsi que
les articles 4 et 14 bis AA.

Retrouvez ci-dessous le texte complet du recours :


Recours devant le Conseil Constitutionnel sur le projet de loi « confortant le respect des principes de la République »

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l’honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l’article 61 de la Constitution, l’ensemble du projet de loi « confortant le respect des principes de la République » tel qu’adopté le 22 juillet 2021 par l’Assemblée nationale et le Sénat. Les députées et députés, auteures et auteurs de la présente saisine, estiment que cette loi est manifestement contraire à plusieurs principes à valeur constitutionnelle puisqu’elle porte notamment une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’association (articles 6, 7 et 8). Son article 18 porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu’au droit à la sûreté. Il fait en outre peser sur la liberté d’expression ainsi que sur la liberté de la presse une grave menace.

Sur l’article 4

Pour votre Conseil, le principe de proportionnalité des peines, découlant de celui de nécessité, n’est pas méconnu « lorsque plusieurs dispositions pénales sont susceptibles de fonder la condamnation d’un seul et même fait, les sanctions subies ne peuvent excéder le maximum légal le plus élevé ». Mais un doublon législatif doit être examiné au regard du principe de clarté de la loi pénale. D’ailleurs, selon votre jurisprudence « le principe de clarté de la loi [···] et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi [···] imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (Cons. const., n° 2005-514 DC, 28 avr. 2005, cons. 14). Il découle du principe de clarté que la qualité rédactionnelle est donc, non seulement, un rempart contre l’arbitraire mais encore contre une procédure qui serait appliquée de manière critiquable à une personne.

L’article 4 crée un nouveau délit. Il est ajouté après l’article 433-3 du code pénal, un article 433-3-1 prévoyant et réprimant les menaces, violences ou intimidations quelconques à l’égard d’un agent public ou, plus largement, de toute personne chargée d’une mission de service public, afin d’obtenir l’exemption totale ou partielle, ou encore une application différenciée, des règles régissant le fonctionnement du service public.

Le nouvel article créé par le projet vient à la suite de l’article 433-3 du code pénal. Celui-ci punit dans son dernier alinéa (alinéa 6) le fait d’user de menaces, de violences ou de commettre tout acte d’intimidation pour obtenir d’une personne chargée d’une mission de service public qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ». Cette infraction est punie de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. La clarté est un indispensable pour l’aspect concrétisable de la règle.

La nouvelle infraction créée par l’article contesté est par conséquent susceptible d’entrer dans le champ du dernier alinéa de l’article 433-3 (alinéa 6) et ce, alors même qu’un alinéa dudit article précise qu’il « ne s’applique pas aux faits mentionnés à l’article 433‑3‑1. ». Comment appliquer une telle disposition lorsque des faits seront susceptibles d’entrer dans le champ de la qualification de ces deux articles ? Cela crée une incertitude juridique non souhaitable. D’autant plus que les peines prévues par l’article du présent projet sont deux fois moins sévères que celles du dernier alinéa de l’article 433-3. Ainsi ces deux infractions partagent les mêmes éléments constitutifs et protègeraient les mêmes valeurs sociales, et pourraient ainsi punir des faits identiques, ce qui permettrait aux autorités de poursuite de choisir discrétionnairement l’une ou l’autre de ces incriminations, l’une étant beaucoup plus sévèrement punie que l’autre.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État constatait d’ailleurs « le code pénal comporte de nombreuses incriminations relatives aux menaces, intimidations ou violences contre des personnes, sans que celles-ci soient toujours claires et bien articulées entre elles » et suggérait « au Gouvernement d’engager une réflexion afin de leur donner plus de lisibilité et de cohérence ».

Face à la violation du principe de clarté et le risque d’arbitraire qu’il fait peser, cet article appelle votre censure.

Sur les atteintes manifestes à la liberté d’association (articles 6, 7 et 8)

Plusieurs articles de la loi qui vous est déférée portent une atteinte manifeste à la liberté d’association. Il s’agit des articles 6, 7 et 8.

Cette liberté constitutionnelle est d’autant plus précieuse que notre système démocratique dépend consubstantiellement de son respect. Elle permet, en effet, de s’organiser collectivement pour défendre une cause ou des valeurs et de former ce que l’on appelle la « société civile ». Nul hasard dans le fait qu’il s’agisse de la première liberté dont la valeur constitutionnelle a été reconnue par votre juridiction. A l’occasion de votre décision du 16 juillet 1971, vous l’avez érigé en Principe fondamental reconnu par les lois de la République :

« Considérant qu’au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d’association » (cons.2). C’était il y a cinquante ans exactement.

Sur l’article 6

Cet article vise à créer un « contrat d’engagement républicain » auquel devra souscrire toute association ou fondation sollicitant une subvention auprès d’une autorité administrative. Cette autorité (qui pourra être une collectivité territoriale, une administration déconcentrée, une institution publique ou un organisme chargé de la gestion d’un service industriel et commercial) pourra donc non seulement refuser l’octroi d’une subvention en cas refus de souscrire à un tel contrat » ou de non-respect de son contenu mais également fonder une demande de restitution d’une subvention déjà versée à l’association visée.

À titre liminaire, il faut remarquer que la possibilité existe d’ores et déjà pour les autorités publiques de refuser une subvention ou d’en retirer le bénéfice à une association. Si l’octroi ou le refus d’octroyer une subvention constitue un pouvoir discrétionnaire, le retrait d’une subvention doit être justifié par le non-respect « des conditions mises à son octroi » en vertu de l’article L 242-2 du code des relations entre les particuliers et l’administration. L’article visé vient donc ajouter un motif de refus d’octroi ou de retrait de subvention l’engagement à respecter le « contrat d’engagement républicain ».

Ce contrat d’engagement républicain et le régime qui lui est associé risquent de conduire à l’exercice de pressions sur certaines associations manifestement incompatibles avec la liberté d’association. En premier lieu, l’article 6 est entaché d’incompétence négative en raison de son manque de clarté qui confère aux autorités publiques compétentes un pouvoir d’appréciation confinant à l’arbitraire et manifestement incompatible avec le régime protecteur de la liberté d’association. Il résulte de votre jurisprudence constante « qu’il appartient au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution ; qu’il doit, dans l’exercice de cette compétence, respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle et veiller à ce que le respect en soit assuré par les autorités administratives et juridictionnelles chargées d’appliquer la loi ; qu’à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle de l’article 34 de la Constitution, et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (Décision 2001-455 DC, du 12 janvier 2002, cons. 9). Or, les éléments de ce « contrat », tels qu’ils résultent de la loi, sont particulièrement flous et pourront en conséquence fonder des interprétations excessives allant bien au-delà de ce que peut souffrir la liberté d’association. Ainsi en est-il de l’engagement à respecter le principe de dignité de la personne humaine qui est l’un des principes les plus fondamentaux mais également les plus polysémiques du droit constitutionnel contemporain1. Un maire, un président de conseil départemental ou régional pourra ainsi se fonder sur cette disposition législative pour refuser l’octroi d’une subvention ou demander son remboursement à une association dont l’activité lui semblera contraire au principe de dignité. Ce principe permettrait ainsi de fonder une décision portant atteinte à la liberté d’association sans que le législateur ait fixé des bornes à un tel pouvoir d’interprétation. C’est à propos de l’interprétation de ce principe que les débats de société ont souvent lieu, chacun ayant sa propre définition de la notion de « dignité de la personne humaine » pour appuyer des positions contradictoires. Ainsi que le constatait le Conseil d’Etat, à propos du principe de dignité, dans son avis n°401549 du 3 décembre 2020 « des débats publics récents, notamment en matière éthique, illustrent le fait qu’il s’agit d’un principe qui revêt une dimension morale qui peut faire l’objet d’interprétations antagonistes ». Il en va de même s’agissant de la référence aux symboles de la République » qui soulève d’innombrables questions relatives au droit à l’irrévérence face au drapeau tricolore ou à La marseillaise. Nulle borne ici encore n’a été fixée par le législateur afin d’exclure la possibilité pour une autorité administrative d’estimer que l’accrochage d’un autre drapeau ou le détournement de l’hymne national, constituent une marque d’irrespect vis-à-vis des symboles de la République. Enfin, l’engagement de s’abstenir de tout action portant atteinte à l’ordre public » manque singulièrement de clarté. Elle pourrait de ce fait être interprétée de manière particulièrement extensive afin de fonder un refus de subvention ou son remboursement à toute association qui appellerait à manifester, par exemple contre les violences policières ou en faveur de la protection des personnes en situation irrégulière sur le territoire français ou à mener des opérations de désobéissance civile.

Parce que le contenu même de ce « contrat d’engagement républicain » est caractérisé par le flou, cet article risque de conduire à de très sérieuses atteintes à la liberté d’association. En amont, l’association qui sollicitera l’octroi d’une subvention s’exposera à un contrôle de ses activités et des valeurs qu’elle défend par l’autorité administrative qui pourra alors s’appuyer sur les éléments du contrat défini par la loi afin de conditionner l’octroi de la subvention à une modification de tout ou partie des activités de l’association. En aval, de nombreuses associations risquent de se trouver dans des situations délicates en cas de changement de majorité politique d’une collectivité ou du Gouvernement : telle association précédemment soutenue par l’autorité publique pourra se voir exiger de rembourser les subventions perçues sur le fondement de critères dont nous avons pu constater le caractère flou et imprécis.

Eu égard au droit existant, qui permet d’ores et déjà de refuser ou de retirer une subvention aux associations, cet article introduit une rigueur non nécessaire et disproportionnée qui pourrait conduire à de graves atteintes à la liberté constitutionnelle d’association.

Non seulement le législateur a négligé d’édicter les garanties de nature à préserver la liberté des associations, mais il s’est en outre contenté de renvoyer à un décret le soin de préciser les modalités d’application de cet article.

Sur l’article 7

Cet article modifie les conditions d’agrément pour obtenir la qualité d’association « reconnue d’utilité publique ».

En l’état actuel du droit, l’article 25-1 de la loi du 12 avril 2000 prévoit 3 conditions pour bénéficier de cette qualité :

  • œuvrer dans l’intérêt général ;
  • présenter un mode de fonctionnement démocratique ;
  • respecter les règles de nature à garantir la transparence financière.

En ajoutant une quatrième condition consistant à respecter le contrat d’engagements républicains, cet article introduit des éléments subjectifs qui placent les associations concernées face au risque de décisions arbitraires de l’administration. En amont pour l’obtention de cette qualité comme en aval dans la perspective d’un retrait de ce statut, les associations se trouveraient à la merci d’interprétations variables selon le bon vouloir de l’administration en place.

Ici encore et pour les mêmes motifs que ceux évoqués concernant l’article 6, les dispositions de cet article 7 sont manifestement contraires à la Constitution.

Sur l’article 8

Dans votre décision précitée n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, vous avez considéré que la liberté d’association, en qualité de principe fondamental reconnu par les lois de la République, « est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; qu’en vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d’une déclaration préalable ». La liberté de s’associer (ou de ne pas s’associer) sans autorisation préalable bénéficie de ce fait d’une protection constitutionnelle particulière. Ainsi, si la liberté d’association ne comporte pas de garantie constitutionnelle de pérennité de l’association, il est certain qu’un motif de dissolution imprécis ou trop lâche porterait atteinte à cette liberté.

Au regard de votre jurisprudence, les dispositions de l’article L. 212-1 actuellement en vigueur qui constituent le régime de droit commun de dissolution administrative ne portent pas atteinte par elles-mêmes à la liberté de constituer des associations mais à leur maintien lorsque par leurs buts ou leur agissements elles portent gravement atteinte à l’ordre public. Ces dispositions n’ont « ni pour objet ni pour effet d’interdire la constitution d’une association ou de soumettre sa création à l’intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire » (Décisions n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, cons. 7. & n° 2016-535 QPC du 19 février 2016, cons. 5.). Mais ces dispositions permettant la dissolution administrative sont susceptibles d’entraîner des restrictions disproportionnées à l’exercice de cette liberté et d’autres libertés constitutionnellement protégées : d’expression et de communication, de conscience et de culte.

L’analyse conjointe de votre jurisprudence, combinée avec celle du Conseil d’État permet d’admettre le principe de la dissolution administrative d’une association ou d’un groupement de fait, pour peu qu’elle soit justifiée par des motifs ayant trait aux préventions des atteintes à l’ordre public ou à la sécurité publique, qu’elle soit proportionnée, et qu’elle ne constitue pas une atteinte excessive à la liberté d’association.

Les motifs de dissolution listés dans l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont des mesures de police administrative spéciale permettant rapidement aux pouvoirs publics de rétablir ou de maintenir l’ordre public. Ces mesures sont placées sous le contrôle du juge administratif, statuant notamment en référé. Il en résulte notamment que la dissolution ne peut être justifiée que par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et doit répondre à un triple impératif de nécessité, d’adaptation et de proportionnalité.

En effet, toute mesure restreignant un droit fondamental que la Constitution garantit doit, pour être proportionnée, satisfaire à une triple exigence d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité au sens strict. Plus précisément :

  • Elle doit être adéquate, c’est-à-dire appropriée, ce qui suppose qu’elle soit a priori susceptible de permettre ou de faciliter la réalisation du but recherché par son auteur ;
  • Elle doit être nécessaire, autrement dit, elle ne doit pas excéder – par sa nature ou ses modalités – ce qu’exige la réalisation du but poursuivi ; et ensuite que l’auteur ne doit pas la préférer à d’autres moyens appropriés qui affecteraient de façon moins préjudiciable les personnes concernées ou la collectivité ;
  • Elle doit enfin être proportionnée au sens strict : elle ne doit pas, par les charges qu’elle crée, être hors de proportion avec le résultat recherché. Or la disposition contestée est ni adéquate, ni nécessaire, ni proportionnée.

Or, s’agissant de l’article 8 du projet de loi dans son entièreté, il apparaît que les modifications apportées aux motifs de dissolution administrative ne sont pas justifiées. Le Gouvernement avance en effet qu’il s’agit d’actualiser certains motifs de dissolution « dont le caractère obsolète ou complexe est source de difficultés d’application », de compléter et préciser certains des motifs légaux existants, et d’ajouter de nouveaux motifs de dissolution dans le but d’adapter la législation aux agissements contemporains des associations et groupements de fait concernés, soit selon l’étude d’impact, ceux liés aux agissements de l’islam radical. Ces justifications interrogent, le pouvoir exécutif n’a-t-il pas pu dissoudre de nombreuses associations et groupements de fait récemment ? Que n’aurait-il pas pu dissoudre sans les nouvelles dispositions prévues par le projet de loi confortant le respect des principes de la République ? L’étude d’impact est bien silencieuse à cet égard. Est mentionnée la nécessité de réduire les cas où une telle mesure ne peut être mise en œuvre en raison d’un défaut de base légale » L’étude d’impact ajoute « Le caractère relativement restrictif des motifs invocables, énumérés par une liste limitative, tend à exclure de son champ d’application des associations ou groupements de fait dont l’activité constitue objectivement un risque pour la sauvegarde de l’ordre public mais dont la nature n’avait pas été anticipée par le législateur ou qui reflète de nouvelles formes de troubles à l’ordre public ». Aucun exemple n’est donné. Ainsi, le

Gouvernement étend des motifs de dissolution au prétexte qu’ils sont restreints au cas où de nouvelles formes de troubles à l’ordre public pourraient apparaître, nouvelles formes de troubles qu’il est incapable de caractériser, et justifiant la mesure par une volonté « d’anticiper ». Le but poursuivi par le Gouvernement est par conséquent d’étendre des motifs de dissolution administrative déjà suffisamment étendus pour avoir une base légale suffisante visant à dissoudre à sa guise des associations ou groupement de fait qui ne lui conviendrait pas.

D’ailleurs, en moins d’un an, plusieurs associations et groupement de fait ont été facilement dissous en Conseil des ministres, illustrant ainsi l’absence de nécessité de faire évoluer la loi

[Le « Collectif Cheikh Yassine », par un décret du 21 octobre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait / L’association « Barakacity », par un décret du 28 octobre 2020 portant dissolution d’une association / Les « Loups Gris », par un décret du 4 novembre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait / L’«Association de défense des droits de l’homme - Collectif contre l’islamophobie en France » par un décret du 2 décembre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait / L’association « Génération identitaire » par décret du 3 mars 2021 portant dissolution d’une association.]

Il convient également de rappeler que le droit en vigueur prévoit la dissolution judiciaire : en application des dispositions de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; sur le fondement de l’article 1er de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales modifié par ordonnance n°2019-964 du 18 septembre 2019 ; et enfin tant que sanction pénale, sur le fondement des dispositions de l’article 131-39 du code pénal. Aux motifs de dissolution administrative, à la fois prévus par l’article 6-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, modifiée par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 en cas d’état d’urgence, et les dispositions de l’article L.212-1 du code de la sécurité intérieure, s’ajoute donc la capacité d’opérer des dissolutions d’association par la voie judiciaire. Par conséquent, l’État n’est aucunement démuni lorsque apparaît la nécessité de dissoudre associations et groupements de fait pour des motifs principalement liés à la prévention ou à la répression des atteintes à l’ordre public.

Dès lors, en l’absence de nécessité de légiférer et face au risque que fait peser cet article sur la liberté d’association, ce dernier appelle votre censure dans sa totalité.

Sur les nouveaux motifs de dissolution apportés par l’article 8 :

Sur la modification du 1°) de l’article L.212-1 du code de la sécurité intérieure.

Le 1°) de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure est modifié. Officiellement, les justifications apportées dans l’étude d’impact pour modifier la possibilité de dissoudre une association ou un groupement de fait « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue » est son caractère trop restreint (impliquant un critère géographique « dans la rue » et des manifestations « armés ») et obsolète. Ainsi, les entités violentes qui « provoquent à des manifestations armées » n’est plus circonscrite aux violences commises « dans la rue », cette mention étant abrogée par le projet de loi. L’article acte par conséquent la disparition de la disposition anti-ligues votée en 1936. Mais il instaure un nouveau motif plus large qui englobe le précédent. Il serait dorénavant possible de dissoudre les associations ou groupements de fait qui provoquent à « des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». La disposition permet de passer d’une dissolution pour une atteinte très grave à l’ordre public (associations ou groupements de fait « Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ») à une dissolution justifiée par les atteintes à des intérêts matériels, à fortiori ! Cette nouvelle rédaction de l’article L.212-1 marque donc un glissement sémantique : en droit, les violences visent les personnes et les dégradations concernent les biens. En légitimant l’expression de violences contre les biens, l’article opère un basculement idéologique dangereux qui aurait des conséquences très graves sur des mouvements ou actions de protestation nécessaires et légitimes dans une société démocratique. La modification du 1°) de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure est par conséquent disproportionnée et appelle votre censure.

2) Sur l’ajout de la possibilité d’attribuer à une association la responsabilité d’agissements commis par un de ses membres agissant en cette qualité, si elle en avait connaissance et s’est abstenue de les faire cesser pour justifier une dissolution administrative prévue par l’article L. 212‑1‑1 créé par le projet de loi.

L’article 8 prévoit la création d’un nouvel article L. 212‑1‑1 dans le code de la sécurité intérieure. Ce dernier prévoit qu’il sera possible, pour dissoudre une association, de lui attribuer la responsabilité d’agissements commis par un de ses membres agissant en cette qualité, si elle en avait connaissance et s’est abstenue de les faire cesser. Cela soulève une réelle difficulté technique. Comme l’a souligné la Défenseur des droits dans son avis sur le projet de loi rendu le 12 janvier 2021, le moyen introduit à cette fin, qui s’apparente à un renversement de la charge de la preuve, est excessif. En effet, les dirigeants d’associations, même de bonne foi, peuvent légitimement éprouver des difficultés à identifier des agissements problématiques. D’autant plus que leurs moyens sont souvent limités, de nombreuses associations ne prévoyant comme motif d’exclusion que l’absence de paiement des cotisations. Ce dispositif ferait également courir le risque que des associations fassent l’objet de tentatives de déstabilisation de la part de personnes qui, prenant la qualité de membre ou se faisant passer pour tel, agiraient d’une façon qui mettrait l’existence de l’association en difficulté. La Défenseur des droits et le Haut Conseil la vie associative, alliés au mouvement associatif sont d’ailleurs opposés à la rédaction de la présente disposition contestée.

Le Haut Conseil à la vie associative a d’ailleurs mis en exergue que ce nouveau motif de dissolution est incompatible aux principes de notre droit pénal. La responsabilité pénale des personnes morales est en effet régie par l’article L.121-2 du code pénal, en vertu duquel : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. ». Cet article énumère les conditions d’imputabilité à une association, personne morale, d’infractions commises par une ou plusieurs personnes physiques : il est nécessaire que l’infraction soit commise par un organe de l’association ou par un représentant de celle-ci. Or, avec le nouvel article L.212-1-1, il s’agit de l’hypothèse où l’infraction serait commise par de simples membres pouvant être ni président, ni administrateur, soit une entorse aux principes fondateurs de l’article L.121-2 du code pénal.

Pour parvenir à une incrimination, il convient alors de déplacer l’infraction sur la tête de l’association, laquelle, bien qu’ayant été informée des agissements de ses membres – agissements en relation avec l’activité de l’association - (on songe à une association cultuelle et non à une association sportive ou culturelle), n’aurait pu l’empêcher. Cela constitue une infraction par omission. Cela se heurte à une deuxième difficulté résidant dans le fait que les agissements commis par les membres (à l’origine de l’imputation de ceux-ci à l’association) doivent avoir été réalisés « pour le compte » de l’association. Or la preuve de cet élément est très difficile à rapporter.

Le nouvel article L.212-1-1 contesté constitue une entorse aux principes gouvernant la responsabilité pénale des personnes morales. Il instaure une présomption de responsabilité du fait d’autrui susceptible d’entraîner la dissolution d’une structure pour le comportement de ses membres. Cette mesure est clairement disproportionnée et appelle votre censure.

2) Sur l’ajout d’une suspension à titre conservatoire de tout ou partie des activités des associations ou groupements de fait qui font l’objet d’une procédure de dissolution

Le nouvel article L. 212‑1‑2 du code de la sécurité d’intérieure prévoit, en cas d’urgence, la suspension de tout ou partie des activités des associations ou groupements de fait qui font l’objet d’une procédure de dissolution sur le fondement de l’article L. 212‑1. Celle-ci peut être prononcée, à titre conservatoire et pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois, par le ministre de l’intérieur. Ainsi, l’autorité administrative pourrait dorénavant suspendre les activités d’une association pendant six mois alors même que la procédure de dissolution ne serait pas terminée ! Toute violation de cette mesure prise à titre conservatoire serait punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. D’une mesure administrative préventive et disproportionnée découlerait donc une lourde sanction pénale, cela constitue un renversement de la charge de la preuve. Ce renversement est excessif. L’ensemble de ce nouvel article L. 121-1-2 appelle votre censure.

Article 14 bis AA

Les dispositions prévues par les articles L. 412-5, L 432-1 et L. 432-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans leur rédaction résultant de l’article 14 bis AA du projet de loi contesté, méconnaissent le principe de clarté de la loi et l’objectif à valeur constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Une telle équivocité des dispositions précitées fait peser sur l’autorité administrative ou juridictionnelle le risque de méconnaître la liberté d’aller et venir, la liberté individuelle et le droit à une vie familiale normale.

Il résulte de l’article 34 de la Constitution et de votre jurisprudence que le principe de clarté de la loi implique qu’une disposition peu claire et trop imprécise doit être déclarée contraire à la constitution (Décision n° 2000-435 DC, § 52 et 53). L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi ont été érigées en objectifs à valeur constitutionnelle sur le fondement des articles 4, 5, et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (Décisions n°2006-540 DC, § 9 et n° 2008-564 DC, § . 25).

Votre jurisprudence ne reconnaît pas aux étrangers de droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national (Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, § 36). Elle admet en effet qu’il appartient au législateur de déterminer souverainement les conditions d’entrée sur son territoire des étrangers, en veillant à assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes personnes qui résident sur le territoire de la République. (Décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018, § 9).

En l’état actuel du droit, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit d’ores et déjà un obstacle au renouvellement ou à la délivrance d’un titre de séjour, dans le cas où l’étranger constituerait une menace à l’ordre public. Par les modifications apportées par le présent projet de loi aux articles L. 412-5, L 432-1 et L. 432-4, le prolongement et la délivrance du titre de séjour serait subordonné à une nouvelle réserve, à savoir le respect des principes de la République.

Or, l’expression « principes de la République » ne recoupe pas un champ défini clairement et avec précision, directement dans l’article contesté. Dès lors, si certains regroupent dans ce champ le caractère indivisible, laïc, démocratique et social de la République (art 1 de la Constitution) et les principes de liberté, d’égalité et de fraternité (art 2 de la Constitution), d’autres pourraient y adjoindre le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine (Décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994), certains principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, tels que la liberté de conscience (Décision n°77-87 DC du 23 Novembre 1977, § 3), voire consacrer un principe de sauvegarde de l’ordre public, pourtant considéré par votre jurisprudence comme un objectif à valeur constitutionnelle (Décision n°82-141 DC du 27 juillet 1982, § 5).

Dans son avis sur le texte contesté, le Conseil d’État considère que la terminologie de principes de la République » est « juridiquement définie », tout en observant, s’agissant de l’article 6 et du contrat d’engagement République, que « ces principes, nombreux, ne sont pas tous susceptibles d’être retenus dans le cadre de l’engagement Républicain ». Par analogie, on pourrait considérer que tous les principes républicains ne sont pas opposables pour justifier du refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour. Ainsi en va-t-il par exemple de l’absence de respect du principe de fraternité (décision n°2018-717/18 QPC du 6 juillet 2018, §7), difficilement opposable dans le cas de l’espèce. Le principe de clarté de la loi imposerait donc l’énumération, dans l’article contesté, des principes dont l’absence de respect serait opposable à la délivrance ou au renouvellement du titre de séjour. En l’absence de cette énumération limitative dans l’article contesté, l’expression retenue de « principes de la République », et le champ qu’il recoupe, semble manifestement manquer de clarté et de précision pour permettre l’intelligibilité et l’accessibilité de l’article de loi contesté.

De la même manière, en ne prévoyant aucune disposition caractérisant objectivement le degré de rejet manifeste des principes de la République, les dispositions prévues par le présent projet de loi sont trop peu claires et trop imprécises pour permettre aux autorités administratives et judiciaires d’apprécier individuellement si la décision de refuser la délivrance ou le prolongement d’un titre de séjour est nécessaire et proportionné à l’objectif de respect des principes de la République.

Cette difficulté à « caractériser le degré de rejet des valeurs de la République » est reconnue par la Ministre déléguée à la Citoyenneté qui, quoique « en phase » avec les dispositions adoptées par le législateur, a mis en exergue, au Sénat, lors de la séance du 2 avril 2021, le « risque constitutionnel » qui pèse sur ces dispositions.

Il en résulte donc que ces dispositions, trop imprécises, contreviennent au principe de clarté et aux objectifs à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

En outre, les dispositions contestées, de par leur caractère équivoque, ne préviennent pas le risque de décisions administratives ou juridictionnelles arbitraire, faisant peser sur l’autorité administrative ou juridictionnelle le risque de méconnaître la liberté d’aller et venir, la liberté individuelle et le droit à une vie familiale normale.

Une décision de refus ou de retrait de titre de séjour expose en effet les étrangers concernés à une obligation de quitter le territoire français (3° de l’article L.611-1 du CESEDA), voire, après expiration du délai ou en l’absence de délai, à une décision d’interdiction de retour sur le territoire Français (art 612-6 et 612-7 du CESEDA), à une assignation à résidence (art L.731-1 du CESEDA) à un placement en centre de rétention administrative (art. L.741-1 du CESEDA).

À défaut de définition claire de comportements justifiant d’un rejet manifeste des principes de la République, les décisions administratives ou juridictionnelles d’éloignement, potentiellement couplées à une assignation à résidence ou à un placement en centre de rétention administrative, sont susceptibles de relever de la détention arbitraire et donc de méconnaître le principe de liberté individuelle, qui découle de l’article 66 de la Constitution. Votre jurisprudence impose en effet au législateur « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », afin de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation arbitraire » (Décision n°2008-564 DC du 19 juin 2008, § 25). Dès lors que ces dispositions sont équivoques, elles ne prémunissent pas les sujets de droit contre une interprétation arbitraire, et donc une méconnaissance de la liberté individuelle qui découle de l’article 66 de la Constitution.

En outre, la liberté d’aller et venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, est susceptible d’être entravée par une décision de refus ou de retrait du titre de séjour, débouchant potentiellement sur une assignation à résidence ou un placement en centre de rétention administrative. Or, conformément à votre jurisprudence, une telle atteinte se doit d’être adaptée, nécessaire et proportionnée aux objectifs poursuivis (Décision n° 2018-762 DC du 15 mars 2018, § 9). Dès lors, à défaut de définition claire de comportements attestant d’un rejet manifeste des principes de la République, l’autorité administrative ou judiciaire ne saurait apprécier individuellement si la décision de refuser la délivrance ou le prolongement d’un titre de séjour est nécessaire et proportionnée à l’objectif de respect des principes de la République. Les dispositions contestées sont dès lors susceptibles de contrevenir à la liberté d’aller et venir.

Enfin, une décision d’éloignement, découlant d’un refus de délivrance ou de renouvellement du titre de séjour, est susceptible de séparer les familles, et d’ainsi nuire au droit à une vie familiale normale, résultant du dixième alinéa du Préambule de 1946, et consacré comme un Principe Fondamental Reconnu par les Lois de la République (Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, § 69). Or il ne peut être porté atteinte au droit à la vie familiale normale qu’en assurant la conciliation entre ce principe et l’objectif poursuivi (Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, § 36). Dès lors, à défaut de définition claire de comportements attestant d’un rejet manifeste des principes de la République, l’autorité administrative ou judiciaire ne saurait apprécier individuellement si la décision de refuser la délivrance ou le prolongement d’un titre de séjour est nécessaire et proportionnée à l’objectif de respect des principes de la République. Les dispositions contestées sont dès lors susceptibles de contrevenir au droit à une vie familiale normale.

Ainsi, en introduisant des dispositions équivoques, qui contreviennent au principe de clarté, et aux objectifs à valeur constitutionnelle d’accessibilité́ et d’intelligibilité́ de la loi, les dispositions contestées ne préviennent pas le risque d’une décision administrative ou juridictionnelle arbitraire, faisant peser sur ces autorités le risque de méconnaître la liberté d’aller et venir, la liberté individuelle et le droit à une vie familiale normale.

Sur l’article 18

En créant une nouvelle incrimination, cet article porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu’au droit à la sûreté. Il fait en outre peser sur la liberté d’expression ainsi que sur la liberté de la presse une grave menace.

Le principe de légalité des délits et des peines implique que les éléments constitutifs des infractions soient définis de manière claire et précise. Il résulte de votre jurisprudence que cette obligation de clarté implique que la formulation des éléments constitutifs d’une infraction ne soit ni obscure ni ambiguë, et que ses éléments soient définis de façon précise et complète (voir notamment vos décisions n° 82-145 DC et n° 2010-604 DC).

En outre, la disposition ici contestée appelle une vigilance toute particulière de votre part, et ce d’autant plus qu’elle est susceptible de porter atteinte à la liberté d’expression et plus particulièrement à la liberté d’informer. Or la limitation de ces libertés constitutionnelles n’est admise que si elle est strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi (votre décision n° 2011-131 QPC).

À ces deux fondements s’ajoute celui du principe de proportionnalité des peines résultant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, en vertu duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » (voir notamment votre décision n° 86-215 DC)

Cet article vise en effet à créer un nouveau délit permettant de sanctionner « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle et les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer […] ».

Il convient de souligner le caractère englobant d’une telle disposition qui inclut d’une part toute forme de moyens de communication concernant d’autre part « la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser ». Ainsi formulée une telle disposition pourrait faire obstacle à une enquête journalistique concernant une personne ne serait-ce qu’en publiant le nom de l’entreprise qu’elle dirige ou dans laquelle elle travaille.

Ainsi formulée, rien ne permet de garantir qu’une telle disposition ne servirait pas de prétexte pour placer en garde à vue toute personne filmant une intervention policière par exemple lors d’une manifestation. En effet, compte tenu de ce manque manifeste de clarté, il est à craindre qu’une telle incrimination induise en erreur les agents de police et de gendarmerie, qui pourraient l’interpréter de manière extensive – au risque qu’il soit porté gravement atteinte à la liberté d’expression dans son exercice le plus légitime. Le risque juridique que fait courir cette nouvelle incrimination concerne en effet moins son application par l’autorité judiciaire que son interprétation, bien en amont, par les agents chargés d’en assurer le respect, laquelle est de nature à porter une atteinte excessive à la liberté de manifester.

Eu égard à son objet et aux contextes dans lesquels elle aurait vocation à s’appliquer, la disposition contestée renferme le potentiel d’un délit de convenance policière, principalement destiné à justifier des placements en garde à vue ; garde à vue qui serait alors préventive et manifestement anticonstitutionnelle. Les agents de la police et de la gendarmerie, lors d’une manifestation seront, en effet, en situation de présumer de l’intention malveillante de toute personne captant des images de leurs interventions. Il est dès lors à craindre que les interpellations de vidéastes amateurs et de journalistes, qui se sont déjà multipliées notamment dans le cadre du maintien de l’ordre, augmentent mécaniquement du fait de la croyance, dans l’esprit de l’agent interpellateur, que le simple fait de le filmer peut être pénalement sanctionné. Ces derniers, confortés par la création de ce nouveau délit, pourront estimer être face à une situation de flagrance, légitimant des interpellations au titre des dispositions du code de procédure pénale.

Enfin, la peine prévue qui est de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende porte atteinte au principe de proportionnalité des peines, singulièrement en raison du fait que les risques d’atteinte aux personnes sont punis de la même manière que les risques d’atteinte aux biens.


Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer même d’office, les auteurs de la saisine vous demandent de bien vouloir invalider les dispositions ainsi entachées d’inconstitutionnalité. Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, en l’expression de notre haute considération

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