Article rédigé par le groupe thématique « Énergie » de La France insoumise. Vous aussi, rejoignez un groupe thématique.
Si les différents secteurs énergétiques français et mondiaux sont évidemment affectés par la crise du Covid-19, il semble que cela n’ait que peu de risque de déboucher sur une rupture d’approvisionnement. En revanche, la tenue des objectifs climatiques risque d’être remise sur la table en sortie de crise.
Électricité
Consommation
La consommation électrique en France a diminué dès le début des mesures de confinement (baisse chiffrée à 10% lundi 16 mars) et continue ainsi pour l’instant (environ -15% mercredi 18 et jeudi 19 mars, ce qui en fait une consommation comparable à celle d’un début de mois d’août). On pouvait s’attendre à une telle baisse de la consommation du fait du ralentissement de l’activité économique, même si cela est en partie compensé par le télétravail et la hausse des usages domestiques. On constate au passage que l’adaptation du pays aux mesures de confinement a été progressive et étalée sur plusieurs jours, sans pouvoir dire à ce stade si elle est déjà terminée ou si la situation va continuer à évoluer. Enfin, on observe également un déplacement de la consommation horaire, avec un pic moins important en début de journée et une baisse au milieu de l’après-midi.
Réseaux électriques et distribution
Cette situation étant totalement nouvelle, la consommation électrique était très imprévisible, et en conséquence, les régulateurs ont eu du mal à l’anticiper correctement, contrairement à d’habitude. Malgré ces difficultés de prévision, l’équilibrage du réseau a pu être fait en temps réel puisqu’aucun blackout n’a été constaté, les différentes réserves de puissance (primaire, secondaire, tertiaire) permettant de corriger efficacement les écarts à la prédiction. Le système électrique français (et européen) montre donc à cette occasion sa robustesse et son efficacité.
Des mesures de confinement préventives ont été prises pour certains employés indispensables des dispatchings (Saint-Denis, Nantes et Lille notamment), afin de s’assurer que l’équilibrage puisse être garanti. L’accès aux sites est, comme pour les centrales nucléaires, fortement restreint. Des plans de continuité de l’activité chez Enedis (gestionnaire du réseau de distribution français) et RTE (gestionnaire du réseau à haute tension français) ont été communiqués au ministère de la Transition écologique.
Les travaux de raccordement au réseau électrique des producteurs d’énergies renouvelables électriques vont être suspendus jusqu’à nouvel ordre et prendront probablement plusieurs mois de retard, comme dans les autres secteurs industriels.
Production
Aucune rupture de production ne semble à prévoir à court terme et aucune coupure n’est donc envisagée. EDF, qui comptait mardi trois personnes travaillant sur différents sites de production testées positives au coronavirus, dit par exemple pouvoir faire face à 40% d’absentéisme pendant deux à trois semaines, qui correspondent au pic pandémique, ou à 25% d’absentéisme pendant 12 semaines. L’acheminement de lits de camp, de produits d’hygiène et de désinfection et de rations alimentaires est en cours dans chaque unité de production pour préparer un éventuel confinement des salarié·es à l’intérieur des centrales. Par ailleurs, la baisse de consommation facilite la gestion de la situation en augmentant la marge de manœuvre : certaines centrales pourraient être mises à l’arrêt temporairement sans blackout ni délestage.
La France continue même pour l’instant à exporter régulièrement de l’électricité vers les pays voisins.
Pour le moment, les forts vents (éolien) et la pluie des derniers mois (hydro) font que les recours aux moyens carbonés (gaz et charbon) ont été très restreints au cours des derniers jours (et même des derniers mois, l’hiver ayant été doux et venteux, il n’y a pas de pointe hivernale dangereuse pour le système). La crise du coronavirus n’aura donc a priori pas d’impact négatif sur le bilan carbone de l’électricité française.
À l’étranger, la baisse de la demande peut même avoir un impact carbone très positif du fait de l’utilisation habituelle de centrales au charbon. À titre d’exemple, la Corée du Sud a décidé de fermer 21 de ses 28 centrales électriques au charbon pour toute la durée du mois de mars, face à la baisse de la demande en électricité, pour se reposer sur ses centrales à gaz, également moins polluantes pour l’air.
Des problèmes d’approvisionnement sur le matériel photovoltaïque (panneaux et onduleurs) se font déjà sentir depuis un mois et demi puisque ce matériel vient beaucoup de Chine. Les chantiers des nouvelles installations vont prendre du retard (production domestique et européenne quasiment inexistante pour les panneaux, faible pour les onduleurs, mais existante néanmoins). Pour l’éolien, des problèmes similaires pourraient apparaitre (les chaines d’approvisionnement étant moins dépendantes de la Chine), et dépendront de la reprise industrielle notamment.
Les objectifs d’installation d’EnR électriques inscrits dans la PPE seront donc difficiles à tenir, ce qui nécessitera de revoir les trajectoires envisagées jusqu’ici pour le mix électrique de la France. Il est encore trop tôt pour faire des prédictions plus précises concernant les fermetures prévues de centrales nucléaires ou au charbon.
Recommandations individuelles
La sobriété énergétique reste de mise comme elle l’est habituellement (suivez les conseils pour votre chauffage et pour votre utilisation du numérique), mais le contexte actuel n’impose heureusement pas de restrictions supplémentaires particulières.
Recommandations politiques
Il faut commencer au plus vite à revoir les objectifs et les trajectoires de des programmations pluriannuelles de l’énergie (qui ne sont pas encore en application) en intégrant ces nouvelles contraintes.
Il faut développer les filières industrielles d’énergies renouvelables et de stockage en Europe et s’approvisionner préférentiellement dans ces filières locales.
Gaz
Consommation
La demande de gaz est également en baisse. La demande de gaz de chauffage était déjà faible en l’absence de grand froid cet hiver ; la demande d’électricité étant également en baisse, cela impacte aussi la demande de gaz du fait de la réduction d’activité des centrales à gaz.
Production
L’offre de gaz était déjà excédentaire avant le début de la crise du Coronavirus, poussée par le démarrage d’usines de liquéfaction géantes en Australie, en Russie ou aux États-Unis. Les prix étaient déjà bas et ont encore baissé du fait de la baisse de la demande.
La chute des prix engendre une baisse des bénéfices qui diminue les capacités d’investissement du secteur gazier. En conséquence, plus de la moitié des grands projets (gaz, gaz liquéfié…) qui devaient être lancés en 2020 pourraient être retardés.
Transport et distribution
En février, en Chine, certains ports manquaient de personnel pour faire fonctionner les terminaux d’importation de gaz du fait du confinement, sans que cela pose un réel problème du fait de la baisse de la demande. Certaines livraisons par cargos ont d’ailleurs été volontairement retardées. Plusieurs grands importateurs chinois de gaz naturel liquéfié (GNL) ont réduit leurs achats pour faire face à la baisse de la demande.
Le gestionnaire du réseau de transport de gaz français, GRTgaz, a également déclenché son plan de continuité d’activité. Quant au gestionnaire du réseau de distribution français, GRDF, il annonce se concentrer sur les tâches essentielles : il suspend la pose des compteurs communicants, la relève à pied et le projet changement de gaz.
Aucune rupture d’approvisionnement n’est donc envisagée à court terme. Néanmoins, les relations internationales et les interdépendances étant ce qu’elles sont, il est difficile de prévoir ce qui peut se passer sur le long terme.
Pétrole
Consommation
La consommation de pétrole a sensiblement diminué du fait de la restriction des déplacements, notamment l’arrêt de nombreux trajets domicile-travail en voiture (on peut prévoir également une amélioration de la qualité de l’air autour des principaux axes routiers), la décroissance du trafic aérien et le ralentissement du commerce mondial. Il est encore difficile de quantifier l’impact total de cette baisse ; l’AIE (Agence internationale de l’énergie) et les analystes envisagent à ce stade plusieurs scénarios.
Cette baisse de la consommation aura comme conséquence positive une diminution temporaire des émissions de gaz à effet de serre. Malheureusement, si rien n’est fait, il est probable que les différents gouvernements lancent des plans de relance économique à la fin de la crise du Coronavirus, qui annuleront cet effet bénéfique.
En revanche, les États-Unis envisagent de porter le niveau de leurs réserves stratégiques de pétrole à leur maximum, en profitant des prix bas, ce qui représente l’achat d’une centaine de millions de barils (l’équivalent d’une centaine de jours de la consommation mondiale) et pourrait temporairement réhausser les prix.
Production
La baisse de la consommation a donné lieu à une crise majeure au sein de l’Opep+ (Opep - Organisation des pays exportateurs de pétrole - et alliés). Les pays de l’Opep voulaient une diminution concertée de la production de pétrole, mais la Russie s’y est opposée. Cette manœuvre aurait pour but de provoquer une faillite des producteurs de pétrole de schiste (plus cher à extraire), notamment aux États-Unis où il ne reste pas de pétrole conventionnel.
En réplique, l’Arabie saoudite a abaissé ses prix à un niveau record depuis 20 ans : le prix du baril a donc déjà diminué de 60% depuis son pic de début janvier.
Il est probable que ce prix bas dure du fait de la récession économique.
Malheureusement, certains États producteurs disposent de fonds souverains qui prendront la relève en compensant le manque à gagner des producteurs ou en effaçant les dettes de ceux qui feraient faillite, ce qui signifie dans ces pays des subventions directes au secteur de l’énergie fossile. La baisse des taux d’intérêts directeurs aux États-Unis est en partie une réaction à cette crise des prix, tout comme l’est la baisse du rouble. La rente de ces États va également se réduire, ce qui risque d’engendrer de l’instabilité dans les régions concernées.
La bonne nouvelle est que la chute des prix engendre une baisse des bénéfices qui diminue les capacités d’investissement du secteur pétrolier. En conséquence, plus de la moitié des grands projets qui devaient être lancés en 2020 pourraient être retardés. Toutes les catégories seront concernées : projets pétroliers à terre ou en eaux profondes, gaz, gaz liquéfié…
La mauvaise nouvelle est que cette chute des prix rend les autres énergies moins compétitives par rapport au pétrole et retarde donc la transition énergétique et notamment l’électrification des usages fossiles.
De même, les prix à la pompe ont également connu une baisse significative (18 centimes au litre de diesel en 2 mois et 13 centimes pour le SP95), ce qui améliorerait le pouvoir de vivre des ménages si leurs déplacements n’étaient pas actuellement restreints, mais équivaudrait en même temps à une incitation à la consommation, qui n’est pas du tout un bon signal à envoyer.
Transport et distribution
En conséquence, la production de pétrole devrait rester élevée alors que sa consommation devrait rester basse du fait du ralentissement de l’activité économique, ce qui écarte le risque d’une rupture d’approvisionnement due à la production.
En France, Total a lancé un plan de continuation d’activité concernant les raffineries « avec pour objectif de continuer à livrer nos clients et d’assurer l’approvisionnement des stations-service ».
Les restrictions de déplacement concernent les activités des particuliers et non les activités professionnelles. Rien n’interdit donc la livraison d’essence dans les stations-service, ni de fioul (ou de bois de chauffage) chez les particuliers. Les foyers dépendant de ces énergies ne sont donc pas menacés de rupture d’approvisionnement, sauf si les entreprises à qui ils font appel décidaient de mettre en pause leurs activités. Le printemps arrivant va par ailleurs rendre le besoin de chauffage moins important.
Recommandations individuelles
Ne pas profiter de l’actuelle baisse des prix de l’essence pour faire des stocks.
Pour ceux qui ont du temps libre et qui sont en bon état de santé, essayer (dans la mesure du possible) de changer quelque peu ses habitudes de déplacement. Puisque l’activité sportive est par ailleurs très restreinte, pourquoi ne pas essayer de faire vos déplacements obligatoires à pied ou à vélo ?
Induire une réflexion sur l’offre qui n’est pas forcément liée à une nécessité (la crise passée, reprendrons-nous joyeusement l’avion pour de courts déplacements ?)
Recommandations politiques
Les mesures d’aides aux entreprises prises pendant la crise du coronavirus ne doivent pas inclure de subventions directes aux entreprises du secteur des énergies fossiles. Si l’alternative est la faillite, les nationalisations doivent être privilégiées.
La crise du Coronavirus ne doit pas servir de prétexte à un recul sur le plan des objectifs climatiques ni à une temporisation des mesures envisagées précédemment.
Tout éventuel plan de relance doit être centré sur la transition écologique et ne doit pas subventionner les secteurs les plus polluants, notamment les investissements dans le secteur pétrolier ni l’aviation ni les véhicules thermiques, ce qui aurait de toute façon pour effet de précipiter le pic pétrolier. Il faut mettre en place le principe de la planification écologique.
Pendant ces jours de confinement les groupes thématiques de la France insoumise ont décidé d’apporter leur contribution à travers des réflexions sur la situation actuelle. Chaque jour, un ou plusieurs articles d’analyses seront produits par un des groupes thématiques. Retrouvez ces productions sur la page de l’espace programme.