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Pour un droit d’accès effectif et gratuit à la santé

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Intervention de Prune Helfter-Noah, candidate aux élections européennes, lors du Forum national de la gratuité organisé à Lyon le 5 janvier 2019.

L’article 22 de la déclaration universelle des droits de l’Homme dispose que « Toute personne, en
tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction
des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement
de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de
l’organisation et des ressources de chaque pays. »

L’article 25 de la même déclaration précise que « 1. Toute personne a droit à un niveau de vie
suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation,
l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle
a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans

les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les
enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection
sociale. »

Plus de 60 ans après l’adoption, le 28 juin 1952, de la convention n°102 de l’OIT concernant la
norme minimum de la sécurité sociale, ratifiée aujourd’hui par seulement 55 pays sur 187 Etats
membres de l’OIT, la moitié de la population mondiale n’a aucune couverture sociale. Dans les pays
où ils existent, les systèmes de mutualisation des risques de santé sont actuellement défaits de
l’intérieur, officiellement pour des raisons financières, en réalité pour des raisons idéologiques, au
sens où ce qui relevait de la responsabilité collective est rabattu de manière croissante sur la
responsabilité individuelle et l’assurance individuelle. On estime que 150 millions de personnes se
retrouvent dans une situation financière catastrophique chaque année du fait des dépenses de santé qu’elles doivent financer elles-mêmes.

La fourniture par l’Etat de soins de santé gratuit est donc, ainsi qu’en atteste la date de la convention
de l’OIT sur le sujet, une réponse qui n’est pas nouvelle à un très vieux problème : rester en bonne
santé, objectif pour le moins complexe voire paradoxal puisqu’il s’agit pour chaque individu d’un
combat destiné à être finalement perdu.

Quoi qu’il en soit, réduire les inégalités en permettant à chacun d’accéder gratuitement à une
politique médicale de prévention et de soin, revêt, aujourd’hui encore, et plus que jamais, une
grande actualité. Cet objectif se décline un peu différemment dans les pays du Sud et du Nord.

Au Sud…

Un enfant sur 6 meurt avant 5 ans en Afrique sub-saharienne (1 sur 150 dans les pays développés).
2/3 de ces enfants meurent de maladies qui pourraient être évitées ou facilement soignées : diarrhée, pneumonie, paludisme, rougeole[1].
Dans les pays les moins avancés, une femme sur 17 meurt des complications liées à la grossesse,
l’accouchement ou le post-partum, contre 1 femme sur 4 000 dans les pays industrialisés[2].

Les causes de ce retard sont multiples. Mais il est certain que les programmes de recouvrement des
coûts adoptés suite à l’initiative de Bamako en 1987, en élevant des barrières financières souvent insurmontables pour de nombreuses familles, ont eu des résultats catastrophiques en termes d’accès aux soins. En Afrique sub-saharienne aujourd’hui, 45% des enfants sont totalement immunisés avant leur 1er anniversaire, contre 70% en 1991[3].

Au plan de l’équité, les arguments en faveur de la gratuité des soins médicaux de base paraissent
évidents. En effet, les populations les plus pauvres n’ont pas les moyens de payer des consultations
et des traitements médicaux, même subventionnés, et renoncent pour cette raison à se faire soigner.
Au Niger, 45% des personnes interrogées par MDM disent être incapables de se faire soigner par
manque d’argent[4]. A Madagascar, 25% des patients ayant consulté ne sont pas en mesure de payer
leurs médicaments[5].

A l’inverse, dans les pays qui ont réformé leur système de santé pour le rendre accessible aux
populations les plus pauvres (suppression ou baisse des coûts pour les usagers), l’accès aux soins
s’est très rapidement amélioré. En Afrique du Sud, la fréquentation a augmenté de 77% suite à la
mise en oeuvre de la gratuité en 1994[6]. Au Kenya, la hausse du nombre de visites a été de 30% en 1
an suite à la baisse des frais usagers décidée en 2004[7]. En Ouganda, la réforme de 2001 a entraîné
une hausse de 155% de la fréquentation en 3 ans. Les taux d’immunisation sont passés dans le
même temps de 48% à 89%[8].

Prenons le cas du Niger.

Le Niger compte 12 millions d’habitants dont 63% vit en-dessous du seuil de pauvreté avec moins
de 1$ par jour[9]. La mortalité infantile des enfants de moins d’un an est de 15% et la mortalité
maternelle est la plus élevée du monde, à 16 pour 1 000 naissances vivantes[10]. 50% de la population
seulement vit à moins de 15km d’un centre de santé[11].

Traduction de l’initiative de Bamako, le Niger met en place le recouvrement des coûts entre 1994 et
1997. Les principaux résultats sont une baisse de la fréquentation des structures sanitaires (-50%),
notamment pour les activités de médecine préventive, et une augmentation de la gravité des
pathologies[12]. En contrepartie, le recours aux « pharmacies par terre » (étals revendant des
médicaments) augmente, avec ce que cela implique en termes de médicaments frelatés et
d’automédication inadéquate.

Depuis 2005, la priorité est donnée à une meilleure accessibilité géographique et économique des
soins afin d’en faire bénéficier le plus grand nombre.
Dans ce cadre, ont été adoptés une série de décrets et d’arrêtés mettant en place des exemptions
ciblées pour les usagers : gratuité de la césarienne, des préservatifs et contraceptifs, des
consultations prénatales et des soins aux enfants de 0 à 5 ans.

Avec l’accompagnement technique de Médecins du Monde, le district de Keita, qui compte environ 200 000 personnes, a été le premier à mettre en place les exemptions de paiement pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. La mise en oeuvre de la réforme s’est traduite par une augmentation de 126% des consultations curatives des enfants de moins de 5 ans et une hausse de 59% pour les consultations pré-natales. Les consultations en matière de contraception ont crû de 55%, tandis que le nombre d’accouchements assistés était multiplié par trois (comparaison octobre 2005-mars 2006 / octobre 2006-mars 2007)[13]. En outre, le personnel de santé a noté que les consultations désormais plus précoces chez les enfants permettaient d’éviter les pathologies graves.

Prenons maintenant le cas du Népal.

Le taux de mortalité maternelle, bien qu’il ait baissé de 5,39 pour 1000 en 1991 à 2,81 pour 1 000 en
2006, reste élevé, et la proportion des femmes accouchant au sein d’institutions de santé n’a cru que
de 10% en 2005 à 15,8% en 2009. Quant aux freins économiques à l’accès à la santé, ils sont
évidents puisque 43% du quintile le plus pauvre de la population ne consulte aucun professionnel de
santé, contre 27% chez le quintile le plus riche. Ainsi que me l’a dit un jour Sanjaya Atreya, chef
d’équipe chez MdM Nepal : « Quand tu as de gros problèmes de santé, il n’y a que deux solutions :
soit tu vends tous des biens, soit tu meurs. »

Alors que 83% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, la suppression des coûts pour
les usagers constitue-t-elle la clé pour améliorer la santé des 27 millions de Népalais ?

Les premiers résultats du programme « Aama » (qui signifie « mère »), qui inclut la gratuité des
consultations pré et post-natales, ainsi que de l’accouchement lui-même, et une prise en charge des
frais de transport pour se rendre au centre de santé, sont encourageants. Au centre de santé de
Jalbire, le nombre d’accouchements a cru de 50% en un an (entre 2008-2009 et 2009-2010). A la
maternité de Thapathali, le nombre d’accouchements mensuel est passé de 1 700 à 2 000 après le
passage à la gratuité, et la proportion de grossesses à risque est passé de 55% à 25% des
accouchements, indiquant que de nombreuses femmes à la grossesse non pathologique, qui
accouchaient chez elles, se déplacent maintenant pour accoucher à la maternité.

Quant à la gratuité pour tous des consultations et d’une sélection de médicaments essentiels dans les centres de santé de premier niveau, elle a entraîné le doublement du nombre de consultations dans tout le pays, en deux ans (de 8,8 millions à 19 millions de visites par an entre 2006-2007 et 2008-2009). A noter : au niveau supérieur (hôpitaux), seules les populations les plus vulnérables sont
dispensées du paiement des consultations et des soins.

Malgré ses succès évidents, les bailleurs internationaux sont réticents à financer de tels programmes de gratuité généralisée des soins pour des raisons liées à leur absence de soutenabilité. Il faut en effet souligner que, pour un pays comme le Népal, le budget national de la santé est couvert à 50% par des dons et subventions provenant de l’aide au développement des pays riches. Mais, si l’objectif reste, à long terme, que les pays les moins développés parviennent à financer leurs services publics grâce à l’impôt, à court terme, il importe de comparer, à coût constant, l’efficacité des différents programmes d’aide médicale financés par les bailleurs internationaux. Et, sur ce plan, la gratuité inconditionnelle de l’accès aux soins a démontré son efficacité.

Au Nord…

Les inégalités sociales de santé en France sont impressionnantes : on compte 6 années d’écart
d’espérance de vie entre hommes ouvriers et cadres, 10 années d’écart pour l’espérance de vie sans
problèmes sensoriels et physiques. Quant à l’espérance de vie en bonne santé, elle diminue depuis
2006. Le taux de renoncement aux soins pour raisons financières augmente : 30% des personnes
sans couverture complémentaire ont renoncé à se soigner au cours des 12 derniers mois, 15% des
personnes ayant une couverture privée, et 21% des personnes couvertes par la CMU-C (2008).

Pour le mouvement Utopia, il est indispensable d’inverser le mouvement actuel de privatisation des
domaines de la santé, de l’éducation, de l’information et de la culture. Nous les considérons bien
sûr comme faisant également partie des droits fondamentaux. Le caractère inconditionnel et
universel du droit aux soins, à l’éducation, à l’information est d’abord une question de justice et de
fraternité.

En France, seules 75% des dépenses de santé sont prises en charge par les régimes d’assurance
maladie obligatoire, le reste relevant des organismes de couverture complémentaire facultatifs ou
de la prise en charge directe par le malade. Malgré l’instauration de la Couverture Maladie
Universelle (CMU), qui reste un progrès et un acquis majeur, environ 6 millions de personnes ne
sont pas couvertes par une assurance maladie complémentaire. Ainsi, nous proposons une
couverture médicale qui remboursera l’ensemble des soins et dispensera les patients des
avances de frais. Elle consistera en une assurance maladie universelle. Elle sera unique,
uniforme, obligatoire et remplacera la multiplicité des systèmes d’assurances maladie
(obligatoires et/ou complémentaires). L’accès aux soins ne devra pas être un revenu différé du
travail, l ‘impôt se substituant au financement par les cotisations sociales. Dans cette optique, le
contrôle et la gestion des organismes de protection sociale doivent être totalement réorganisés.

Parce qu’il n’est pas acceptable d’être pris en charge médicalement en fonction des montants que l’on a été en mesure de placer dans une assurance santé, nous réaffirmons notre opposition à tout
système assurantiel en matière médicale et notre attachement à une complète mutualisation des
risques de santé. Les citoyens doivent en effet cotiser en fonction de leurs moyens et être couverts
en fonction de leurs besoins, indépendamment de toute autres considération économique ou sociale.

Il faut donc passer à la prise en charge à 100% des soins par l’assurance maladie avec tiers-payant
intégral, c’est-à-dire la gratuité pour l’usager !
Ce système est, bien entendu, très différent du « reste à charge zéro » introduit par le
gouvernement qui consiste à assurer le remboursement intégral par la sécurité sociale ET les
complémentaires de certaines lunettes, prothèses dentaires et auditives, grâce notamment à la
fixation de tarifs plafonds.

Rutger Bregman, dans son best-seller « Utopies réalistes », conclut : « Ce qu’il nous faut, ce sont
des horizons alternatifs qui déclenchent l’imagination (…) ; des utopies en conflit entre elles, voilà
après tout le meilleur moyen d’insuffler la vie à la démocratie. (…) Sans utopie, nous sommes
perdus. Ce n’est pas que le présent soit mauvais, au contraire. Mais il est morne si nous n’avons
pas d’espoir de l’améliorer. »

La gratuité, notamment la gratuité des soins, peut être cette utopie.

Notes :
[1] et [3] : Save the Children (2005)
[2], [9] et [10] : Family Care International (2007)
[4] : Médecins du Monde (2006)
[11], [12] et [13] : Médecin du Monde (2007)
[5], [6], [7] et [8] : DFID (2006)

Bibliographie

Manifeste Utopia, éditions Utopia, 2012
Organisation mondiale de la santé, « Les politiques de gratuité : opportunités et risques en marche
vers la couverture sanitaire universelle », 2017.
Rutger Bregman, Utopies réalistes, Seuil, 2017
Benjamin Coriat (sous la direction de), Le retour des communs, Les liens qui libèrent, 2015
François-Xavier Verschave (sous la direction de), La santé mondiale, entre racket et bien public,
éditions Charles Léopold Mayer, 2004
Prune Helfter-Noah, Suppression of User Fees in Nepal, Médecins du Monde Japon, 2010
Prune Helfter-Noah, Des services de santé performants et gratuits pour tous ?, Médecins du Monde
japon, 2007
Pierre Chauvin et autres, Le renoncement aux soins pour raisons financières dans l’agglomération
parisienne : Déterminants sociaux et évolution entre 2005 et 2010, Direction de la recherche, des
études, de l’évaluation et des statistiques, 2012

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