Une agriculture et une alimentation au service de la société dans le cadre de la construction d’une Europe des peuples

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Manifeste commun du Bloco de Esquerda (Portugal), Podemos (Espagne) et La France insoumise :

Une agriculture et une alimentation au service de la société dans le cadre de la construction d’une Europe des peuples

       L’Europe des peuples ne pourra se construire qu’à partir d’un monde rural vivant et d’un modèle d’agriculture familiale et paysanne, au service de la société, économiquement viable, durable et liée au territoire. Les systèmes agraires européens, les paysages ruraux et la riche culture alimentaire contribuent à l’identité des peuples d’Europe.

70% de l’Europe est rurale. 48% du territoire européen est constitué de terres agricoles dont l’utilisation et le maintien de la fertilité sont essentiels dans la lutte contre le changement climatique. 179 millions d’hectares sont cultivés par 10 millions d’exploitations agricoles qui génèrent 44 millions d’emplois tant dans la production agricole que dans le reste du secteur alimentaire. Malgré les stratégies de libéralisation commerciale, les aliments que produisent nos agriculteurs et agricultrices, représentent 70% des aliments frais que nous, citoyens et citoyennes d’Europe, consommons. Dans le même temps, la Politique Agricole Commune (PAC) représente près de 40% du budget de l’Union européenne (UE). C’est pourquoi nos formations politiques défendent fermement la PAC et sa mise en cohérence avec les principes et valeurs que nous défendons.

Jusqu’à maintenant, la PAC a privilégié les grandes entreprises et propriétés agricoles, souvent improductives. Elle doit changer d’orientation. La PAC a favorisé le vieillissement et la masculinisation de la population agricole. Il faut dorénavant qu’elle permette une relève générationnelle et l’égalité hommes-femmes.

La nouvelle gauche qui trace sa voie en Europe regarde le monde rural et le secteur agricole avec espoir. Elle est convaincue que leur apport sera essentiel pour la construction d’une Europe des peuples solidaire et reposant sur une économie à échelle humaine et durable. Nos formations politiques défendent un monde rural vivant et le principe de souveraineté alimentaire. C’est pourquoi nous soutiendrons les organisations, réseaux et plates-formes qui cherchent à construire l’Europe à partir de ces thèmes. Nous estimons que la PAC, en tant que politique publique, doit viser la réalisation d’objectifs d’intérêt général. C’est seulement ainsi qu’elle renforcera sa légitimité au sein de la société, légitimité qui sera la meilleure garantie de son avenir.

Le débat sur la proposition de règlements présentée par la Commission le 1er juin 2018 est ouvert. La proposition traite à la fois des objectifs et du modèle de gestion de la PAC. Elle ne pourra évoluer dans la bonne direction que si nous parvenons à pousser le débat autour du modèle de production alimentaire que nous défendons.

Nous sommes convaincus que nos propositions sont cohérentes avec le bon sens des citoyen·ne·s. Les peuples d’Europe sont disposés à soutenir le tissu productif de nos territoires ruraux, à condition que celui-ci repose non pas sur des fermes-usines, mais sur des exploitations agricoles paysannes et des entreprises de transformation des produits agricoles qui garantissent un milieu rural vivant et dynamique, la création d’emplois, la fourniture d’aliments sains et de qualité, la restauration des écosystèmes, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique. Pour nous, les règles européennes et les mesures et actions envisagées dans le cadre de la PAC devraient répondre à un tel objectif de modèle de production.

Aussi, la future PAC devrait, pour la période 2021-2027, renforcer sa politique de développement rural. Il est nécessaire d’approfondir les méthodologies permettant une participation réelle et un équilibre territorial qui intègre les critères de justice sociale et environnementale. Il est nécessaire de renforcer la perspective du développement local endogène et d’intégrer des stratégies et des instruments qui soient capables de faire face au déclin démographique. Nous avons besoin de politiques de développement rural mieux articulées et intégrées au reste des politiques de cohésion et qui répondent aux grands défis actuels du monde rural.

Dans le même temps, la nouvelle PAC devra inclure des mesures très fermes en vue de la transition écologique du modèle de production, transformation et distribution des aliments, en cohérence avec les objectifs de durabilité et de lutte contre le changement climatique. L’agroécologie est le modèle d’avenir qui modélise ce processus de transition. La PAC devra favoriser sa mise en œuvre et sa généralisation à moyen terme, avec des objectifs et des mesures en matière environnementale et des indicateurs d’évaluation clairs et efficaces. La PAC doit aussi affirmer la nécessité d’un respect du bien-être animal.

Les agriculteurs et agricultrices jouent leur avenir sur les marchés. Les prix agricoles doivent rémunérer le travail et le reste des biens que l’agriculture fournit à la société. Pour cette raison, nous considérons indispensable de réaffirmer le principe de préférence communautaire et le principe d’exclusion de l’agriculture des règles du droit de la concurrence. Nous estimons qu’il est essentiel de renforcer les mesures de régulation du marché, traditionnellement incluses dans le règlement de l’Organisation Commune des Marchés (OCM), intégrant des propositions de transparence et de justice tout au long des filières alimentaires et avec des mécanismes efficaces pour garantir des prix rémunérateurs et stables. Il sera nécessaire de définir des instruments qui permettent d’agir efficacement face aux crises des prix agricoles. Cependant, nous rejetons la possibilité d’utiliser les assurances agricoles comme instrument de garantie des revenus et des prix. La protection adéquate de notre modèle de production vis-à-vis des importations à bas prix, ou provenant de pays où les règles sociales et écologiques européennes ne sont pas appliquées, doit être une composante essentielle des relations commerciales de l’Europe.

Mais finalement, ce seront aussi les 400 millions de consommateurs et de consommatrices européen·ne·s, qui ont droit à une alimentation saine et de qualité, qui devront valider la politique agricole commune. C’est pourquoi la nouvelle PAC devra également être une politique alimentaire. Renforcer le droit des citoyens à une alimentation saine, sûre et de qualité, accessible à toutes et à tous, dans le respect du droit humain à une alimentation adéquate doit être un élément clé de cette politique. En cohérence avec cet objectif, il est nécessaire de réduire progressivement l’usage de pesticides et d’interdire ceux qui sont dangereux pour la santé humaine. Il convient aussi d’élaborer démocratiquement des plans d’alimentation territoriaux, de lutter contre le gaspillage alimentaire et de promouvoir l’évolution vers des modes de consommation écologiquement plus durables.

Une PAC avec des objectifs ambitieux implique un budget suffisant. Pour cette raison, nous nous opposons à la réduction budgétaire proposée dans les documents initiaux de la Commission européenne et nous demandons à nos gouvernements de prendre en compte le caractère stratégique de cette politique.

Le principe de subsidiarité est a priori positif. La proximité dans la définition et l’application des politiques publiques permettent une plus grande efficacité. En ce sens, nous considérons que la proposition de gérer la PAC à partir de « plans stratégiques » peut être une opportunité, mais elle contient néanmoins des risques importants que nous avons identifiés : renationalisation de la PAC, fabrication d’inégalités et asymétries entre les agricultrices et les agriculteurs des pays riches vis-à- vis des pays disposant de moins de ressources, possibilité d’une faillite du marché intérieur unique et, enfin, risque de fragilisation de l’agriculture dans les États et régions qui feraient le choix d’une agriculture basée sur des petites et moyennes exploitations et sur une véritable transition écologique de l’agriculture, en raison de la concurrence avec les produits à bas prix originaires de pays qui promeuvent une agriculture productiviste et où se pratique le dumping social ou écologique. Pour éviter ces risques, une plus grande clarté du règlement qui régit les plans stratégiques est essentielle, laissant moins de marge pour une interprétation des questions essentielles. Enfin, il sera nécessaire de corriger et de simplifier le mécanisme d’élaboration, de gestion et de suivi des plans stratégiques, afin d’éviter la bureaucratisation du système qui entraverait les possibilités offertes par la proposition. L’application de la PAC par le biais de plans stratégiques nécessite la création d’espaces de participation, d’articulation, d’échange et d’apprentissage entre les différents acteurs concernés par la PAC dans chaque pays.

Enfin, nous ne voulons pas terminer cette déclaration sans avoir pris position sur certaines questions essentielles soulevées par les projets de Règlements.

  • Nous estimons nécessaire que les règlements définissent clairement ce qu’est un agriculteur professionnel, ou « agriculteur authentique » et que ces règles s’appliquent aux Etats. Nous pensons que cette définition peut être compatible avec les centaines de milliers de personnes qui ont une activité agricole à temps partiel tout en bénéficiant d’une source de revenu complémentaire, et qui contribuent à maintenir une activité dans les zones rurales.
  • Nous refusons de continuer avec le système de paiements associés à la surface, qui favorise les plus grandes exploitations et la concentration des terres. Ce système a exclu des secteurs très importants de l’agriculture méditerranéenne et a converti les droits de la PAC en un patrimoine de plus.
  • Nous sommes favorables à ce que les aides directes soient liées à un objectif de revenu agricole, à l’existence d’une activité productive et aux objectifs de création d’emplois et de transition écologique.
  • Nous sommes partisans d’établir un plafond des aides à 60 000 euros par actif familial, hors coût des emplois salariés, mais en fixant une limite afin que la PAC cesse de favoriser les grandes entreprises qui reposent sur l’emploi massif de main-d’œuvre salariée.
  • Si le système d’aide à l’hectare est maintenu, nous sommes en faveur d’une aide redistributive aux premiers hectares comme un moyen de garantir la progressivité des aides. Mais il est nécessaire d’établir un pourcentage minimal du budget national qui devrait lui être alloué ainsi qu’une taille maximale de surface par exploitation pouvant en bénéficier.
  • Nous sommes pour le renforcement des conditionnalités environnementales, en établissant de manière effective des objectifs et des indicateurs permettant de mesurer l’impact. Nous sommes également en faveur d’ « écoprogrammes » renforcés, mais clairement orientés vers la transition écologique.
  • Nous proposons un programme pour la forêt méditerranéenne ainsi que pour d’autres systèmes agrosylvopastoraux existant en Europe, comme la “dehesa” espagnole, qui prend en compte les besoins d’adaptation, les services écosystémiques qu’ils fournissent, ainsi que leur contribution à la prévention des incendies de forêt.
  • Nous sommes en faveur de l’aide supplémentaire aux jeunes avec une dotation d’au moins 2% du budget, mais accompagnée d’autres actions qui favorisent la relève des exploitations, l’accès à la terre et à d’autres mesures nécessaires.
  • Nous proposons sur ce même schéma, une aide complémentaire aux femmes qui rejoignent le secteur, avec une dotation d’au moins 2% du budget.
  • Nous sommes en faveur d’une augmentation de la dotation des paiements couplés jusqu’à 15%, mais en justifiant de manière adéquate la pertinence de ces aides. En ce sens, nous considérons essentiel le soutien à l’élevage extensif, aux cultures et pâturages de légumineuses qui contribuent à la transition écologique de l’agriculture, et nous nous opposons à l’inclusion des cultures destinées à la production d’agrocarburants.
  • Nous estimons qu’il est essentiel d’augmenter la dotation des mesures de régulation du marché de 4,2% actuellement à 10% dans le cadre de ce qui constituerait un troisième pilier, développant de manière ambitieuse, chacune de ces mesures.
  • Nous sommes favorables à la possibilité d’un plus grand équilibre budgétaire entre le premier et le deuxième pilier du développement rural, rendant absolument nécessaire l’inclusion de mesures spécifiques pour démocratiser l’accès à la terre.
  • Nous sommes convaincus qu’une PAC cohérente et ambitieuse avec des objectifs environnementaux et sociaux, apportera une contribution essentielle à la construction de l’Europe des Peuples que nous voulons.
 
22 novembre 2018

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