Le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Bruxelles les 11 et 12 juillet n’a fait que confirmer l’absence totale de capacité de l’Europe, ectoplasme géopolitique regroupant la grande majorité des membres de l’OTAN, à répondre autrement que par la soumission aux injonctions étasuniennes. Donald Trump a de son côté une stratégie cohérente. Au lieu d’en tirer les conclusions qui s’imposent, à savoir sortir du cadre atlantiste, Emmanuel Macron s’est au contraire affiché comme un des meilleurs élèves de l’OTAN.
La mascarade des 2 %
L’agenda du sommet a été dicté par Donald Trump et son exigence que les membres de l’OTAN consacrent d’ici à 2024 2% de leur PIB à la défense pour « partager le fardeau ». Déjà acté lors du sommet de 2014, mais désormais brutalement fixé comme priorité absolue par le président étasunien qui avait initialement placé la barre à 4%, cet objectif ne répond à aucune obligation défensive. Comme l’avait rappelé notre candidat pendant la campagne présidentielle, « la question des moyens ne doit pas être posée avant celle des objectifs. Nous devons viser la cohérence entre les moyens et les fins géopolitiques. Il est inutile de graver dans le marbre un pourcentage qui ne signifie rien en lui-même ». Qu’à cela ne tienne, désemparés par les outrances d’un Donald Trump soufflant le chaud et le froid sur l’utilité de l’OTAN, les « alliés » ont signé à l’unanimité la déclaration du sommet réaffirmant l’engagement de chacun à atteindre cet objectif.
Focalisés sur « les 2% », les médias dominants ne se donnent pas la peine de questionner l’agenda caché de cet oukase budgétaire. En réalité les USA ne consacrent à la défense de l’Europe que 31 milliards, soit moins de 13 % des dépenses des États européens membres de l’Otan. C’est beaucoup trop pour ceux qui, comme la France Insoumise, rappellent que la présence militaire étasunienne en Europe est une servitude et non une garantie de protection. Mais bien trop peu, au regard du budget militaire global des USA supérieur à 600 milliards de dollars, pour prétendre sérieusement qu’ils supportent l’essentiel de la défense du continent.
Diviser pour mieux régner et exporter
Ce chantage sert d’autres objectifs. Le premier est d’ordre géopolitique. Cette exigence de partager le soi-disant « fardeau de la défense » permet d’entretenir les divisions entre Etats européens. En attaquant violemment l’Allemagne – pourtant très bon élève de l’atlantisme militaire - supposée être « aux mains de la Russie » au prétexte qu’elle lui achète du gaz, Trump a voulu tuer dans l’œuf le projet de gazoduc russe NordStream 2. Il a aussi essayé d’enfoncer un coin entre l’Allemagne et les pays comme la Pologne ou l’Estonie, qui consacrent déjà 2% de leur PIB à la défense et sont focalisés sur la soi-disant « menace russe ». Dans le même temps, Donald Trump entend négocier directement avec une Russie servant d’épouvantail pour justifier le renforcement permanent de l’OTAN.
Cette méthode s’inscrit dans le temps long. Dès les années 1950 les USA se sont préoccupés d’empêcher que la CEE, puis l’Union européenne, vue comme une simple ligne de défense face à l’URSS, puisse devenir une puissance alternative. Cette volonté n’a fait que se renforcer depuis la fin de la Guerre froide. Le Defense Planning Guideline 1994-1999 - document stratégique rédigé au lendemain de la guerre froide à la demande du secrétaire à la Défense pour élaborer une « stratégie de suprématie militaire » - recommandait ainsi que les USA préviennent « l’émergence d’accords de sécurité intra-européens qui saperaient l’OTAN ». En février dernier, lors de la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN préparatoire au sommet, le secrétariat d’État américain à la défense avait d’ailleurs prévenu que la relance de la coopération de défense entre Européens ne devrait pas concurrencer l’OTAN.
Exigence à laquelle il avait ajouté celle de ne pas pénaliser l’industrie américaine de l’armement. Là est le second objectif du chantage aux 2% : continuer à faire de l’Europe une destination majeure des exportations de l’industrie étasunienne de l’armement. L’industrie de ventes d’armes et d’équipements aux pays européens sous le parapluie de l’Alliance représente une source considérable de profits pour le secteur étasunien de l’armement. En 2017, le montant des exportations étasuniennes d’armement en Europe s’est élevé à 7,3 milliards de dollars. Pour les USA, qui croisent systématiquement dans leur stratégie enjeux militaires et enjeux commerciaux, il s’agit ici de mener sur le terrain de la défense la guerre commerciale qu’ils ont déclaré à l’Union européenne via notamment l’instauration ou l’augmentation de taxes douanières.
La course à la soumission
Effrayés à l’idée que l’Empire cesse sa soi-disant « protection », les membres européens de l’OTAN se sont comme à leur habitude soumis aux injonctions étasunienne. Alors même que les divergences d’intérêts et de vision du monde apparaissent désormais au grand jour avec les Etats-Unis, les atlantistes européens, passés quelques timides signes de mauvaise humeur face aux humiliations de Dondald Trump, se sont empressés de renouveler les signes de leur soumission.
La déclaration finale de l’alliance rappelle ainsi que « le partenariat stratégique OTAN-UE est essentiel pour la sécurité et la prospérité de nos pays et de la zone euro-atlantique […]. Nous reconnaissons qu’une défense européenne plus forte et plus performante rendra l’OTAN plus forte ». Mais gageons que ce type de déclaration n’empêchera pas le gouvernement français de continuer à affirmer en dépit du bon sens que l’objectif de renforcer « l’Europe de la Défense » s’inscrit dans celui renforcer notre indépendance vis-à-vis des USA.
La déclaration se félicite en outre que la remontée des budgets de défense rendra l’OTAN « encore plus forte », dans la continuité des 87 milliards de dollars supplémentaires dépensés par ses membres depuis 2014. Si le sacro-saint objectif des 2% d’ici 2024 est respecté, le total des dépenses militaires des pays membres de l’alliance aura alors augmenté de 266 milliards de dollars, pour un montant actuel de 915 milliards de dollars !
Les conclusions de ce sommet s’inscrivent dans la continuité de l’élargissement géographique – projet d’adhésion de la Macédoine, formation militaire en Irak – et thématique des compétences autoproclamées de l’OTAN qui n’a de cesse de chercher à justifier son existence depuis que la fin de la guerre froide et la disparition du Pacte de Varsovie qui l’a rendue totalement anachronique : la Russie et la Chine sont considérées comme des menaces, même si leurs dépenses militaires cumulées n’atteignent même pas le tiers de celles des membres de l’OTAN ; la lutte contre le terrorisme est considérée comme étant du ressort de l’OTAN ; les flux migratoires comme une perturbation pour la sécurité etc. A également été entériné le projet de renforcer plusieurs états-majors interarmées, de mettre aux normes des infrastructures pour déploiement rapide des troupes face à la Russie, objectif auquel l’UE consacrera un milliard par an à partir de 2021 etc.
Au terme de cette comédie qui ferait rire si notre sécurité collective n’était pas gravement menacée en premier lieu par la menace que représente l’OTAN, Donald Trump a déclaré en clôture du sommet : « je crois en l’OTAN ». Les affidés sont rassurés, leur maître ne les abandonnera pas cette fois-ci. Il se contentera de faire payer sa « protection » au prix d’une vassalité et d’une docilité qu’il sait sans limite de la part de l’oligarchie atlantiste.
Comme nous l’avons rappelé à maintes reprises, l’appartenance à l’OTAN est contraire à l’indépendance et aux intérêts de la France. Le mépris affiché par Trump, sa réaffirmation brutale des intérêts étasuniens face à l’Europe auraient pu être l’occasion de poser les bases d’une Europe de la Défense indépendante n’ayant pas la Russie dans le viseur. Mais un tel projet est totalement irréaliste dans l’environnement actuel : la défense ne peut s’appliquer qu’à un territoire régi par une loi commune décidée par un peuple souverain et des institutions porteuses d’une cohérence géopolitique. Écartelée entre des visions géopolitiques et intérêts contradictoires, dénuée de la légitimité démocratique conférée par un peuple souverain, l’Europe ne remplit pas ces conditions.
Au lieu de s’afficher en bon élève de l’OTAN et de suivre docilement les injonctions de Donald Trump, comme il l’a fait dans la dernière loi de programmation militaire qui répond d’avantage aux objectifs de l’alliance et qu’aux besoins de notre défense nationale, Emmanuel Macron doit rompre avec sa croyance dans l’atlantisme. Le sens de l’histoire suppose redonner à la France son indépendance et de penser son action internationale à l’échelle mondiale, dans le cadre de nouveaux partenariats au service de la sécurité collective et de la coopération entre les peuples.