Des livres et des élections

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Au calme dans l’Airbus, je feuillette les notes en retard de lecture. En voici une concernant les chiffres de vente du programme L’Avenir en commun. Le tirage est à présent de près de 200 000 si je comprends bien. Nous avons été en tête de toutes les ventes puis très bien classés sans cesse. Je n’en inflige pas le détail qui se trouve facilement. Ce succès impressionne nombre de commentateurs. Moi aussi. Nous avons vite su que cela fonctionnait pendant cette opération montée sans difficulté des 1000 points de vente. Les retours à notre appel furent quasi immédiats et les inscriptions se firent sans discontinuer. C’était la première fois que nous tentions une aussi vaste opération coordonnée de présence sur le terrain de tous les volontaires qui le souhaitaient. Je reviens à l’essentiel. Ce programme en tant qu’objet, en tant que livre. Je forme le vœu qu’il soit davantage qu’un cadeau de Noël. Car c’est autre chose de plus durable que cet objet. Il vient de loin.

Ce livre est un bien commun pour tous ceux qui l’ont édifié au fil des sept mois de sa préparation. Mais c’est à juste titre que Nicolas Demorand disait qu’il exprimait non pas un catalogue de mesures mais une vision du monde assez globale. Je me sens très impliqué par ce programme. Comment peut-il en être autrement ? Je suis bien étonné de ces candidats qui n’en ont encore point ou qui en changent en cours de route selon ce qu’on leur en dit. En tous cas L’Avenir en commun exprime pour moi une étape décisive sur un parcours de longue durée.

Toute ma stratégie de campagne et mes méthodes d’action sont déduites d’une conviction construite depuis 2005, date de la prise de conscience de l’existence d’une réalité politique nouvelle dont la mobilisation contre le traité constitutionnel était l’expression. Cette conviction s’est traduite notamment par ma rupture avec le PS en 2008 puis mes deux candidatures aux élections présidentielles et tout ce qui va avec cette histoire. J’en ai fait plusieurs livres directement sur le thème : En Quête de gauche en 2007, pour marquer une rupture avec l’histoire qui s’écrivait alors. J’identifiais notamment le rôle des démocrates américains à la sauce Clinton dans la déchéance de l’Internationale socialiste que je m’apprêtais à quitter. Puis Qu’ils s’en aillent tous !, qui déclencha une polémique contre mon populisme (pour l’humour de situation, je renvoie aux poses indignées de certains de mes amis alors membres du PG et de certains éminents dirigeants communistes actuels).

Puisque j’en suis là, je voudrais signaler un texte paru dans la revue Ballast par un auteur, Alexis Gales, qui s’intéresse depuis déjà quelque temps à ce que j’écris et propose en matière théorique. Ici il s’agit d’une étude comparée à propos du « refus du clivage droite gauche » qui m’est attribué. Je reviens aux livres. C’est évidemment L’Ère du peuple qui a mis mes idées en ordre sur le thème et proposé une nouvelle lecture globale liant analyse historique, diagnostic et propositions. Pour finir, mon dernier livre raconte mon propre cheminement d’une vision du monde à l’autre. C’est Le Choix de l’insoumission. Il est édité en poche. Avec Le Hareng de Bismarck, qui a également été édité en poche au mois de novembre, ces livres forment un corps d’analyse sur le moment présent.

L’Ère du peuple est « mon programme » au sens le plus large du terme. D’autres diraient « mon projet ». Mais je dirai mieux ma pensée en nommant ce que je propose : mon « mode d’emploi » de la période historique en cours. Déjà en poche, il sera réédité dans une version augmentée à partir de janvier. Des versions espagnoles, italiennes, portugaises, anglaises et même…vietnamienne sont en cours de préparation.

Je rappelle tout cela pour que les nouveaux lecteurs de mon blog soient informés de mes manières d’agir. Tout ce que j’entreprends se fait d’après un plan et une vision globale dont il est important de vérifier en chemin si les faits confirment les prémices, les corrigent ou les invalident. La rigueur de la pensée sur la réalité sociale est une exigence traditionnelle de ma filiation dans le matérialisme historique. Je m’y efforce. Je ne dis pas que tout ce que décrit L’Ère du peuple soit suffisant, ni même parfois réellement assuré, ni aussi argumenté et documenté qu’il le faudrait. Cependant il forme un tout, une cohérence. Dans ma façon de voir, la théorie et la vision d’ensemble sont des besoins incontournables pour accomplir une action politique méthodique et « réaliste » (au sens le plus trivial du terme).

La description matérielle et « réaliste » du peuple que j’opère en exposant la théorie de « la Révolution citoyenne » a une conséquence dans de nombreux domaines pratiques de la doctrine de l’émancipation. Par exemple, la forme que prend l’organisation politique correspondant à cette réalité sociologique nommée « peuple » après l’ère de « la classe » et de son parti qui étaient censés fonctionner comme accoucheur de l’Histoire. Cette question n’est nullement abstraite. En tous cas, elle a eu une importance pratique particulière pour moi depuis longtemps. En effet j’ai dirigé de très nombreuses campagnes électorales à tous les échelons de la vie politique de mon pays. J’ai été personnellement candidat dans une douzaine d’élection du plus modeste niveau local au plus éminent niveau national. De plus, j’ai participé d’une façon ou d’une autre à un nombre extrêmement importants de mouvements sociaux dont j’ai vu chaque fois se produire ensuite une expression politique.

J’évoque les élections en tant que processus central de toute vie politique de la société parce que je n’accepte pas d’autres schémas de conquête et d’exercice du pouvoir qui puisse établir une entrée sérieuse pour un projet durable d’émancipation. Je ne crois pas à l’efficacité des coups d’État ou de la guerre de guérilla, ni à la violence comme mode d’action pour changer la société. Il en est ainsi par construction pratique et philosophique personnelle. Je l’adosse sur une expérience politique approfondie au fil de 40 ans d’engagements intenses non seulement dans la vie de mon pays mais dans les temps forts de la vie de bien d’autres peuples dont j’ai tiré d’innombrables enseignements.

Mais il en est également ainsi parce que la théorie de la révolution citoyenne en décrit la nécessité. Elle postule la mutation du « peuple en soi », les gens du commun formant la multitude sans projet commun, en « peuple pour soi » devenant acteur de l’Histoire. Elle montre qu’il le fait par l’exercice de sa souveraineté sur les membres qui le composent et sur le territoire qu’il occupe. Cette autoproduction résulte de la conflictualité qui anime la société. Celle-ci doit pouvoir s’exprimer pour s’accomplir. C’est-à-dire pour permettre que les acteurs individuels s’identifient eux-mêmes et entre eux dans le combat commun. La démocratie est donc la cornue incontournable et indépassable pour rendre possible l’existence du peuple en tant que sujet de l’Histoire.

Cela signifie qu’une élection est à mes yeux bien davantage qu’un exercice de communication avec le corps électoral. L’élection modifie politiquement la personne qui vote. Elle modifie la perception que la société a d’elle-même. Elle change l’idée que les gens ont de ce qu’il est possible de faire et de ce qu’il est préférable de vouloir. Dans notre cas, cette vision crée des devoirs d’action spécialement impératifs. Car nous sommes en phase de construction d’un pôle politique nouveau. Un pôle à la fois héritier d’une longue tradition philosophique et sociale mais aussi totalement novateur dans ses objectifs, la formulation de sa doctrine et ses méthodes d’action. Dès lors, la mutation que le vote, la préférence que la société va exprimer, est autant un fait qui s’impose à nous qu’une option stratégique.

Je la résume en disant que nous ne faisons pas une campagne de communication mais une campagne d’implication. Il s’agit de rendre consciemment acteurs ceux qui se mobilisent avec nous. Les degrés d’implication seront naturellement divers, changeant et multiples. Mais le maître -mot est là. Il faut penser cette campagne comme on penserait un mouvement social en train de construire un rapport de force. Les livres mis en circulation veulent participer à la formation d’un système de références communes aussi souple que possible. Ils se présentent comme autant de synthèse de toutes sortes de matériaux collectés dans la vie, les lectures et l’action sur le terrain. L’idée générale est qu’une culture commune est en train de se construire et que ces livres peuvent y participer. Cette culture commune forme un corps d’idées et de références qui intègrent certes des livres mais aussi des films, des documentaires, des blogueurs et ainsi de suite. Elle appartient d’ors et déjà à des milliers de gens qui se reconnaissent entre eux. Le parti « sans mur » que je vois émerger depuis 2005 est dans cet espace idéologique.

Dans ce panel, la publication du programme L’Avenir en commun a marqué notre trajet d’une pierre blanche. Son succès en librairie suffira-t-il à l’installer comme une référence de longue portée ? Naturellement, je n’en sais rien. Mais je suis certain qu’il s’agit d’un matériau solide. Il vient de loin par étapes successives. Depuis 2005, la plupart des documents programmatiques édités y trouvent un écho direct. Pour notre équipe, ce fut l’objet d’un premier travail qui donna naissance au programme du Parti de Gauche en 2008 dans une volonté de synthèse des matériaux alors disponibles. Puis on retrouve la construction d’ensemble dans le programme L’Humain d’abord, présenté avec ma candidature en 2012. Cette fois-ci, c’est un vrai processus collectif qui a permis la nouvelle organisation du texte et l’extension de son contenu à des domaines totalement neufs. Le succès de diffusion m’indique un niveau de mobilisation consciente de bon augure. Car notre force, ce ne sera jamais davantage que notre capacité à entraîner une société malade de résignation, d’exaspération et de doute sur elle. Pour y parvenir il faut sans cesse fortifier le secteur de plus en plus large des gens qui savent où on peut aller dans la nouvelle direction à prendre. C’est naturellement par et dans les réseaux sociaux que nous accomplissons l’essentiel de ce travail en même temps que par et dans les solidarités de luttes.

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