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Durant l’été, monsieur Adama Traoré, un jeune homme, est mort dans des conditions qui ont soulevé une grande émotion et indignation d’abord dans son quartier puis ensuite sur les réseaux sociaux et enfin dans la rue à l’occasion d’un rassemblement en hommage à la victime. Convoquée Gare du Nord, la marche fut aussitôt interdite d’aller plus loin en dépit d’une autorisation pourtant donnée par la préfecture. Je m’étais exprimé tôt sur Facebook à propos de cette mort. Je craignais qu’elle soit classée aux faits divers sans suite car je redoutais le sentiment de discrimination démoralisant qui s’envenimerait de ce fait. Je disais que je souhaitais que l’engagement soit pris solennellement que justice serait rendue. Certains commentaires moqueurs m’ont fait comprendre que le mot même de justice dans certains secteurs de notre société est l’objet d’un doute total qui la discrédite. C’est un très mauvais symptôme de l’état du pays.

Et la suite a montré que les sceptiques avaient de bonnes raisons de l’être. Le travail de l’avocat, celui du journal Médiapart, le sang froid de la famille et des amis a mis à nu un enchaînement de procédés inacceptables dans un pays qui aspire à être un état de droit. Des faits qui s’enchaînent à chaque étape de l’évènement, de l’interpellation aux rapports d’autopsie. Je n’y reviens pas faute d’être assez bien informé de chaque aspect pour en parler sans erreur qui nuirait à la doctrine que je voudrais résumer maintenant.

Si j’ai bien compris ce que j’ai lu depuis mon lieu de vacances et selon ce que m’en a dit mon camarade Christian Rodriguez qui me représentait à la Gare du Nord, monsieur Adama Traoré n’est mort que du fait de son interpellation. Ni d’une infection comme diffusé au départ, ni d’un arrêt cardiaque inexplicable et ainsi de suite. Juste du fait de l’interpellation. Ce point est essentiel. On ne doit pas mourir dans une interpellation. Ni celui qui interpelle ni celui qui est interpellé. Mais le cas de l’interpellé est particulier. À la façon dont est faite une interpellation et aux conditions qui sont réservées à l’interpellé se mesure non pas la gravité des actes en cause mais la nature de la force qui est mise en œuvre. Il est devenu difficile de tenir la ligne de crête sur ces principes tant l’ambiance est devenue délétère sur le sujet.

Du côté des forces politiques dites « sécuritaires » (en général, des bavards jacassant et verbeux) tout examen critique d’une action de police révèle un laxiste irresponsable et parfois même un complice des délinquants et des criminels. Dans le public large, toutes les manipulations fonctionnent. L’habitude de voir des séries télévisées nord-américaines avec leurs policiers abusifs et à force de téter la mamelle du mythe de l’efficacité sans limite de la force, prépare bien le temps de cerveaux disponible pour admettre bien des abus qui ne sont même plus perçus comme tels. Il est vrai que les premières informations distribuées, volontairement fumigènes, ont été répétées sans recul ni préoccupations par hommes et les femmes troncs lisant sagement les prompteurs des chaînes « d’information en continu ».

Dès lors comment dire sans blesser inutilement que les droits de l’interpellé sont premiers dans une société démocratique ? Voyons cela aussi froidement que cela peut se dire.

L’interpellant est dans l’exercice de son métier. Le métier implique la qualification d’interpeller sans tuer. C’est en cela que le travail de police est un « métier » au sens traditionnel de ce terme. On ne s’improvise pas policier. On le devient par apprentissage. La qualification policière comporte à la fois des savoirs et l’aptitude à les mettre en œuvre. Ils consistent principalement dans les règles d’usage de la force et la connaissance des droits civiques de tout un chacun présumé innocent aussi longtemps que sa culpabilité n’est pas établie. Et seul le juge établit cette culpabilité, ni les témoins de la scène ni les intervenants. Le juge !

Dès lors, le recours à la force doit s’opérer avec discernement et de façon proportionnée au contexte et non aux actes soupçonnés. Ce n’est pas rien car le recours à la force dans la société est dévolu aux seuls agents de l’État qui sont les seuls légitimes à la mettre en œuvre. Ces règles ne sont pas des décisions prises par caprice mais par nécessité de proportionner l’usage de cette force. En cela, ce métier se distingue absolument de celui des militaires qui doivent mettre en œuvre d’autres moyens dans d’autres conditions d’emploi de la force. Raison pour laquelle la militarisation de l’action policière a toujours été partout un échec et un facteur de désordres aggravant celui qu’il prétendait combattre.

La tendance à la militarisation de l’action policière est dorénavant prise dans le monde entier à la suite de la police nord-américaine. Elle est arrivée chez nous depuis quelque temps déjà. On l’observe dans les dispositifs d’intervention que mettent en place le commandement politique face à des évènements comme la protestation contre le barrage de Sivens ou les manifestations syndicales contre la loi El Komri. Et on voit dans les techniques d’intervention des agents et dans l’usage du matériel entrer des méthodes qui sont celles des combats. On peut discuter de ces questions et bien sûr de ce que j’en dis. Ce qui n’est pas supportable c’est que l’on fasse comme s’il n’y a avait qu’une manière efficace de faire de la Police ! Et que l’on fasse comme s’il n’y avait que des policiers d’accord avec ces méthodes et prêt à condamner toute réflexion sur les conditions d’emploi de leur métier. Je sais d’expérience que ce n’est pas le cas. Et comme au cas précis ce ne sont pas des policiers qui ont fait l’intervention, je crois que mon propos sur les frontières entre l’action de police et l’action militaire mérite d’être méditée par ceux que le dossier intéresse en vue de 2017.

Autre symptôme de l’état de notre société et du travail du venin qui l’a empoisonné avec l’aide agitée des matamores qui dirigent la Place Beauvau depuis quinze ans. En 1986, existait les pelotons de « voltigeurs motocyclistes ». Deux hommes sur une moto, l’un conduisant, l’autre matraque en main. L’équipage était considéré comme dangereux. Il advint qu’une charge dans une rue vit matraquer quelqu’un qui passait par là : Malik Oussékine. Il mourut du coup reçu. Le lundi suivant, le président retirait la loi incriminée par les manifestations et bientôt les pelotons de voltigeurs furent dissous.

Depuis, combien de dizaines de blessés graves, de comas et même de morts dans les conflits sociaux récents. Et quoi ? Peu à peu le poison s’est répandu et a émoussé le sentiment de honte chez les dirigeants qui en sont responsables. Mais la nôtre reste immense de voir déshonoré notre nom de famille par ceux qui l’on usurpé pour se montrer capables des pires abus jamais vu en temps de paix dans notre pays.

Et le 4 août, revanche des privilégiés, était promulguée la loi El Khomri du nom de la ministre qui vient d’autoriser le licenciement du délégué CGT mis en cause avec cinq autres de ses camarades à Air France.

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