M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sur le développement des enseignements numériques au sein des programmes scolaires, et le danger d’une privatisation de ces formations. La réflexion sur l’enseignement du numérique à l’école est engagée depuis plusieurs années. Différents modules ont été mis en place dans le cursus scolaire, à l’image de l’option « Information et création numérique », proposées aux élèves de 1ère ES, L et S, ou de l’enseignement de spécialité « Informatique et sciences du numérique », proposé aux élèves de terminale S. L’existence de tels enseignements est déjà une bonne chose, cependant ils arrivent relativement tardivement dans la scolarité, et sont cependant loin d’égaler d’autres pays, où l’enseignement numérique constitue déjà une discipline à part entière. Le Royaume-Uni a introduit en 2014 la matière computing dans le programme des écoles primaires et secondaires au même titre que les matières classiques. En Israël, le codage informatique est enseigné au lycée depuis l’an 2000. Au Japon, il sera obligatoire dans les écoles primaires en 2020, au collège en 2021 et au lycée en 2022. La question du développement de ces enseignements en France est d’autant plus sensible que, faute d’une mise en place suffisamment rapide et conséquente, nombre d’acteurs privés n’ont pas hésité à s’emparer d’un secteur dans lequel elles voient un marché profitable. En région parisienne, des entreprises proposent par exemple des « Stages vacances », de 2 à 5 jours, de formation à différents outils numériques et à la programmation, destinés aux enfants, du niveau CE1 au niveau 2nde, et ce pour des tarifs allant de 180 à 500 euros. De telles formations onéreuses sont évidemment loin d’être accessibles à tous les parents d’élèves. On mesure aisément le danger : laisser l’essentiel de la formation au numérique entre les mains d’acteurs privés équivaudrait à courir le risque de voir se développer dans ce domaine une éducation à deux vitesses, creusant la fracture numérique, que l’école publique doit au contraire œuvrer à résorber. Pourtant, les outils numériques prennent de plus en plus de place dans la vie quotidienne, et dans l’économie. L’État lui-même encourage à cette mutation par la dématérialisation de certains de ces services, accessibles également et parfois exclusivement sur internet plutôt qu’en guichet. Il est donc indispensable pour un accès égal au service public que l’école prenne en charge la formation numérique initiale. Plus encore, il est important que la population soit informée dès le plus jeune âge des enjeux du numérique, en termes d’utilité bien sûr, mais aussi en termes de vie privée, et d’écologie, et des enjeux liés à la cybersécurité. Car si la dématérialisation peut sembler écologique en évitant d’imprimer et de produire du papier, le stockage sur des serveurs de nombreuses données est consommatrice de grandes quantités d’électricité. Il est important d’apprendre les bonnes pratiques dans l’optique d’une économie écologiquement soutenable. Par ailleurs, les filières numériques en plein développement sont largement pourvoyeuses d’emplois à haut niveau de qualification, et les services de l’État tout comme les entreprises peinent souvent à trouver les personnes qualifiées dont ils ont besoin. Puisque les apprentissages scolaires techniques du numérique se font pour la plupart au lycée général, toute une partie des élèves n’y accède pas ou très peu. Pourtant les outils numériques intéressent grandement de nombreux adolescents, qui pourraient y trouver une voie de formation professionnelle et une motivation supplémentaire pour d’autres apprentissages nécessaires au codage, comme les mathématiques. Enfin, la France aurait tout intérêt à élever le niveau de connaissance général de la population en matière numérique, afin d’éviter la dépendance à certains outils numériques « clé en main » tels que proposés par les GAFAM. En effet, ceux-ci participent d’une hégémonie technologique d’autant plus grande que les populations ne savent pas se servir d’autres outils, ce qui pose problème pour la souveraineté numérique, pour la vie privée de millions de Français qui dépendent entièrement de la politique de ces multinationales en la matière, et pour l’équilibre budgétaire car ces entreprises pratiquent notoirement une politique agressive d’optimisation fiscale et leur taxation en France est minime. Une telle hégémonie pose également problème en matière de cyberdéfense, puisque la France n’a pas la maîtrise des données que ces multinationales stockent, notamment pas en raison de l’extraterritorialité du droit étatsunien. C’est pourquoi, il souhaite apprendre de M. le ministre les dispositions qu’ils compte mettre en œuvre afin de développer dès les prochaines années un enseignement numérique à part entière, accessible à l’ensemble des élèves. Co-rapporteur du rapport d’information sur la cyberdéfense présenté à la commission de la Défense nationale et des forces armées en juillet 2018, il a fait des recommandations allant en ce sens, car une meilleure formation de la population aux outils numériques augmente la résilience cyber du pays. Il souhaite notamment savoir le traitement que M. le ministre entend accorder aux préconisations de ce rapport concernant le développement des enseignements du numérique. Il suggère notamment la création d’un nouvel enseignement disciplinaire avec la création d’un CAPES d’enseignement numérique dont les titulaires dispenseraient aux élèves du secondaire, au collège et au lycée, des enseignements spécifiques. Cet enseignement à part entière pourrait comprendre, outre celui de la matière informatique, un éveil à la « cyber-hygiène » et l’enseignement des langages informatiques et de la programmation.