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Pour lutter contre le trafic d’armes à feu, il faut terrasser les paradis fiscaux !

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Le 5 juillet 2018, Bastien Lachaud a pris la parole pour la discussion générale du projet de loi visant à adopter le protocole de l’ONU contre le trafic d’armes à feu. Il a montré que ce trafic d’armes est inséré dans un trafic général d’argent sale, passant par les paradis fiscaux, alimenté par l’évasion fiscale. Il est revenu sur le rapport sur les exportations d’armes, légales, en montrant que la France doit en premier lieu ne pas vendre des armes à des pays en guerre susceptibles de graves violations du droit international, notamment l’Arabie Saoudite engagée au Yemen.

Voir ici le texte de loi.

Texte complet

Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,

Ce projet de loi propose d’autoriser l’adhésion au protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée à New York le 31 mai 2001. Nous ne pouvons qu’approuver la volonté de lutter contre la criminalité organisée et le trafic d’armes illicite. Nous ne pouvons qu’approuver la lutte coordonnée entre les Etats, sous l’égide de l’ONU, contre de tels trafics. Dans le cadre de la Convention de Palerme contre la criminalité transnationale, la France n’avait pas encore signé le protocole spécifique contre les armes à feu. Au 14 novembre 2017, le protocole armes à feu comptait déjà 115 Etats parties. Il est important de participer aux mécanismes de lutte contre les trafics en tout genre, particulièrement les armes, pour des raisons de dangerosité totalement évidentes.

Car la possession d’armes par des particuliers pose un vrai problème. Nous voyons régulièrement aux Etats-Unis, où la culture des armes est particulièrement développée, des tragédies conséquences de l’action des lobbies pro-armes et de l’inaction de l’Etat. Car la cause ne peut pas résider uniquement dans le grave dérangement de l’esprit de personnes décidant de tirer sur d’autres personnes par surprise, sur d’anciens camarades de classe par esprit de vengeance, dans une boite de nuit à Orlando par LGBTQIphobie, par idéologie lâche et assassine. Mais aux Etats-Unis, les armes à l’origine de ces drames sont le plus souvent parfaitement légales ! En France, nous n’en sommes heureusement pas là.

Mais la France est très loin d’être exempte de morts par armes à feu. Si je prends le cas le plus récent porté à la connaissance du grand public, deux hommes ont été tués par balles lors d’une fusillade dans une cité de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) dans la nuit de lundi à mardi, a-t-on appris de source policière. Les victimes ont été tuées par des armes lourdes. D’après l’AFP, si la piste d’un règlement de comptes devait se confirmer, il s’agirait des 14 et 15e personnes décédées dans ces circonstances en 2018 rien que dans les Bouches-du-Rhône. L’an dernier, on a enregistré 13 règlements de comptes mortels dans le département, contre 28 en 2016, le plus souvent sur fond de trafic de drogue.

Ce cas marque malheureusement un schéma trop répandu. Car le trafic d’armes est rarement isolé. Les personnes ayant recours à des armes illégales ont évidemment d’autres activités illégales. Les trafics se nourrissent dans une spirale de violence. La sphère de l’illégalité alimente une très vaste machine d’argent qui a l’air facile mais qui n’en demeurent pas moins sale. J’ai récemment posé une question écrite sur le trafic d’animaux domestiques. Cela a l’air anecdotique et sans rapport, mais ça ne l’est pas. Déjà parce que j’ai appris qu’il constituait le troisième trafic en termes de rentabilité en France, derrière le trafic d’armes et le trafic de drogue. Un chihuahua acheté 250 euros en moyenne en Slovaquie est revendu entre 1.000 et 3.000 euros en animalerie. On estime par ailleurs à 700.000, le nombre de chiots qui sont vendus en France, chaque année, hors de tout circuit officiel. Faites le calcul de l’argent sale généré. Cet argent alimente d’autres réseaux, trafic de personnes humaines, prostitution, mais aussi armes à feu.

Cet argent transite par les paradis fiscaux, au même titre que l’argent soustrait au fisc grâce à l’évasion fiscale. Car ceux-ci sont par principe peu regardants sur l’origine des fonds. Soustraits à l’impôt, issus du trafic de personnes, d’armes, d’organes, de drogue, qu’importe. Cet argent sale est rebrassé et sert à financer, entre autre choses, la corruption, les entreprises terroristes, ou d’autres trafics.

Je rappelle, à toutes fins utile, que le 28 juin dernier le cimentier Lafarge, accusé d’avoir financé des organisations terroristes en Syrie, a été mis en examen, pour « complicités de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo ». Le cimentier est soupçonné d’avoir versé, via des paradis fiscaux, près de 13 millions d’euros pour favoriser les achats de matières premières ainsi que la libre circulation de ses salariés et de ses marchandises.

A quoi pensez-vous que l’argent versé par le groupe Lafarge a pu servir ? La boucle de l’argent fou est bouclée.

Selon un article du Figaro, entre 17.000 à 25.500 milliards d’euros au total seraient dissimulés dans les paradis fiscaux, c’est-à-dire, pour avoir un ordre de grandeur tant ces chiffres sont vertigineux, plus que les PIB des Etats-Unis et du Japon réunis. Et encore, cette étude n’a pas pris en compte les actifs non financiers comme les biens immobiliers, les yachts, jets, œuvres d’art ou bijoux. L’étude a exclu ces avoirs et s’est basée sur des chiffres de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, des Nations unies et des Banques centrales.

Et c’est le bon jour pour parler des riches ! Le magazine Challenges publie aujourd’hui même son classement annuel des fortunes. Le patrimoine des 500 premières fortunes françaises s’approche de 650 milliards d’euros, soit 30 % du PIB de la France, un pognon de dingue comme diraient certains. Depuis 2008, la fortune des plus riches a triplé et augmenté bien plus que la production nationale, qui n’a crû que de 12 %. Comme de par hasard, c’est l’industrie du luxe qui profite le plus à ces ultra riches. Les actionnaires de grands groupes du luxe trustent quatre des six premières places du classement. Et leur fortune combinée représente l’équivalent du tiers de celle, cumulée, des 500 du classement ! Belle performance ? Combien de cet argent finira dans les paradis fiscaux ? Combien de yachts, de jets, et autre biens seront importés frauduleusement via des montages complexes ? Combien de cet argent finira dans la corruption et les trafics ?

La lutte contre les paradis fiscaux, outre les bienfaits évidents pour les finances des Etats et la vie des gens qui pourraient enfin cesser de se serrer la ceinture inutilement, participe à la lutte contre le terrorisme et la criminalité internationale.

Ana Gomes, eurodéputée portugaise, vice-présidente de la commission d’enquête sur le blanchiment de capitaux, l’évasion fiscale et la fraude fiscale qui a rendu ses conclusions en 2017, également de la commission spéciale sur le terrorisme du Parlement européen, établit clairement un lien entre paradis fiscaux, crime organisé et financement du terrorisme. Cette commission d’enquête parlementaire a établi de manière certaine l’hypocrisie totale de nombreux Etats, y compris membres de l’Union européenne qui dans les discours, clament évidemment leur volonté de lutter contre l’évasion fiscale, le blanchiment et la criminalité qui y sont associés. Mais dans la réalité, les Etats, y compris la France, sont extrêmement timorés s’agissant de la lutte contre l’évasion fiscale. Quand on sait que malgré les innombrables initiatives parlementaires, le Verrou de Bercy n’est toujours pas levé ! Et quand on sait que des Etats de l’Union européenne eux-mêmes sont des paradis fiscaux. Curieusement, la liste recoupe partiellement celle des pays qui n’ont pas encore adhéré au protocole contre le trafic d’armes à feu. Le Royaume-Uni, l’Irlande, Malte et Luxembourg, paradis fiscaux notoires, ne l’ont pas non plus ratifié ou n’y ont pas adhéré. Que ferait la France dans cette liste ? Car l’absence de lutte contre l’évasion fiscale est extrêmement dangereuse pour l’Europe et pas seulement pour nos budgets, affirme Ana Gomes. C’est un problème de sécurité publique, puisqu’on parle de blanchiment des capitaux et de toutes sortes de réseaux criminels, y compris ceux qui sont derrière le financement du terrorisme, comme les réseaux de trafics d’êtres humains. Combattre le blanchiment des capitaux, c’est combattre le financement du terrorisme. Permettre le blanchiment des capitaux, c’est laisser faire toute sortes de trafics abjects, leur donner littéralement des armes en alimentant les réseaux criminels et mafieux qui permettent de se les procurer. Du grand banditisme aux mafias en passant par le terrorisme organisé, tous se financent dans cet argent sale.

Aussi adopter ce protocole n’est que la moindre des choses. Mais marquer les armes, règlementer le courtage, renforcer le contrôle aux frontières, créer des licences pour les exportations d’armes, toutes choses utiles et urgentes, ne résoudra pas qu’une partie du problème. Il faut assécher les sources de financement et d’écoulement de ces trafics en terrassant les paradis fiscaux. Pour cela il nous faut des armes légales. Donc la volonté politique de le faire. Car sans cela, c’est comme une permission de continuer à trafiquer.

Le contrôle des exportations m’amène à un autre sujet, directement lié, puisqu’il s’agit des exportations totalement légales et autorisées par le Ministère des Armées. Le rapport au parlement nous a été remis très récemment. Je l’ai lu attentivement.

Au-delà du traité sur le commerce des armes que la France a ratifié, des critères communs pour l’exportation d’armes conventionnelles ont été définis au niveau de l’Union européenne.

Ils se basent sur 8 critères parmi lesquels :

  • le respect des droits de l’homme dans le pays de destination finale et le respect du droit humanitaire par ce pays (2ème critère),
  • la préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales : les Etats membres étudient l’existence ou la probabilité d’un conflit armé entre le destinataire et un autre pays (4ème critère)

En se basant sur ces critères, les Etats membres ne peuvent exporter des armements vers certains pays. C’est le cas pour le Venezuela, la Russie, la République Démocratique du Congo, la Syrie… et évidemment le Yémen depuis 2015. Cependant l’Arabie saoudite ne subit pas un tel embargo de la part de l’UE. L’ONU appelle l’Arabie saoudite à mettre un terme au blocus qui empêche l’acheminement de l’aide humanitaire au Yémen, menacé par la plus grande famine de ces dernières années. Le rapport de l’ONU fin janvier accuse l’usage disproportionné de la force utilisée par la coalition arabe, ciblant souvent des civils, et l’utilisation de la menace de la famine comme arme de guerre. Pourtant, la France est l’un des fournisseurs privilégiés de l’Arabie saoudite, qui est notre 2ème client, avec 174 licences notifiées en 2017. En vendant des armes tels que les Mirage, chars Leclerc ou Rafale, la France s’est engagée auprès du pays à assurer une maintenance sur 15-25 ans.

Néanmoins, le Parlement européen en février 2016 demande l’embargo de l’Union européenne sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, mais la France ne met pas fin à son soutien militaire. Mais apparemment comme il ne s’agit que du Parlement Européen, non d’une décision de l’Union européenne elle-même, la France peut poursuivre allègrement ses exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite, selon ce même rapport. C’est dire à quel point le gouvernement considère cette institution, qui est pourtant la plus démocratique de l’union européenne puisqu’élue directement par le peuple.

Je conclus donc. Nous approuvons bien évidemment l’adhésion au protocole de l’ONU visant à lutter contre le trafic des armes à feu. La France doit agir pour renforcer le cadre de l’ONU dans un esprit de coopération afin d’œuvrer pour la paix. Mais cela ne suffira pas. Pour lutter contre tous les trafics, et notamment celui des armes, il faut terrasser les paradis fiscaux. Il faut enfin que la France elle-même cesse d’autoriser à l’export des armes qui se retrouveront à coup sûr dans des conflits internationaux, où les pays acheteurs se rendent coupables de très graves violations du droit international et de potentiels crimes de guerre.

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