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« Fusillés pour l’exemple de 1914-1918 : pour une réhabilitation politique et collective » - Tribune de Bastien Lachaud

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Six cent trente-neuf, c’est le nombre de soldats français qui ont été condamnés à mort pendant la Première Guerre mondiale, non pas parce qu’ils étaient coupables d’un crime, mais parce que leur mort devait terrifier et empêcher mutinerie et désertion. Ce sont 639 « fusillés pour l’exemple », 639 oubliés dont le nom a été bafoué, la mémoire salie et dont les familles ont dû affronter l’opprobre. Les « fusillés pour l’exemple » ne sont ni des héros, ni des traîtres. Ce sont des Poilus ordinaires. Des hommes qui se sont battus pour la France, dans les conditions inouïes et inhumaines des tranchées. Pourtant, ils sont tombés sous les balles de leurs camarades, exécutés, essentiellement au début de la Guerre, lors des grandes offensives de 1914 et 1915.

Leur seul tort ? Avoir connu une défaillance temporaire, après de multiples actes de bravoure. Ils ont fait face au carnage et puis ils n’ont plus pu. Ils sont montés à l’assaut plusieurs fois et puis, terrassés par l’épuisement et l’absurdité d’une nouvelle offensive vaine et meurtrière, ils ont fini par ne plus pouvoir. Certains avaient une blessure à la main, un bras, et n’ont pas su démontrer qu’elle n’était pas volontaire. D’autres ont été portés par la cohue des combats loin de leurs unités ; ils se sont perdus et lorsqu’on les retrouva, on les fit exécuter comme s’ils n’avaient pas déjà, pendant des jours, fait preuve de courage et d’obéissance.

Au-delà des motifs de condamnation toujours incertains et sujets à interprétation, la vérité est que ces hommes ont collectivement été victimes d’un déni de justice, organisé par les autorités politiques de l’époque. Dès la proclamation de la guerre, une justice militaire d’exception est mise en place dans le but explicite de « faire des exemples », comme l’affirme le ministre de la Guerre de l’époque, Adolphe Messimy. Cette dérive est incarnée par les conseils de guerre spéciaux créés par décret du 6 septembre 1914.

Les accusés y ont fait face à une justice expéditive ne respectant aucun de leurs droits : ils n’ont eu ni instruction préalable, ni contradictoire, ni avocat digne de ce nom, ni possibilité de révision, ni prise en compte des circonstances atténuantes. De telles instances n’avaient pas à juger sur la base de faits matériels, à condamner des coupables, mais à faire des exemples, à créer la terreur et, pensait-on, l’obéissance au sein des troupes.

Combien se sont exclamés, comme ce chef de bataillon : « Il n’est certainement qu’à demi-responsable. Mais en raison des circonstances, de l’exemple à faire en vue d’éviter le retour de fautes semblables, il doit être traduit en conseil de guerre ». Dès 1916, le courageux combat de parlementaires de tous bords politiques permit de réviser cette justice inique et obtint logiquement une baisse drastique des condamnations à mort et donc des « fusillés pour l’exemple ».

Rendre justice. Alors, face à cette négation de la justice, face à l’arbitraire que les contemporains eux-mêmes avaient reconnu, que faire aujourd’hui ? Des paroles politiques fortes en faveur de la mémoire des fusillés ont été prononcées par les plus hautes autorités politiques, depuis celles du Premier ministre Lionel Jospin à Craonne en 1998 à celles du président de la République Nicolas Sarkozy le 11 novembre 2008. Elles n’ont hélas pas refermé la plaie d’injustice qui travaille encore les mémoires des familles de soldats.

Quant à la réhabilitation judiciaire au cas par cas, il est trop tard. Une cinquantaine de ces réhabilitations individuelles ont été prononcées dans l’entre-deux-guerres à la faveur de combats d’associations d’anciens combattants et de proches. Mais aujourd’hui, les historiens sont unanimes : les dossiers ne permettent pas d’organiser des procès en révision. C’est le contexte global de la condamnation qui nous indique que ces 639 malheureux étaient bien innocents. Leurs dossiers ne mentionnent ni crimes de droit commun, ni espionnage. S’ils ont failli, ils ne méritaient pas la mort ni la honte.

Il reste alors une voie pour leur rendre leur honneur : non pas une réhabilitation judiciaire individuelle, mais une réhabilitation politique, civique et morale de la collectivité des soldats « fusillés pour l’exemple ». Une réhabilitation collective, car c’est bien collectivement que ces soldats ont été soumis à cette parodie de justice, décidée et organisée par les autorités politiques de l’époque. Rendre justice aux « fusillés pour l’exemple », c’est faire en sorte qu’ils réintègrent la mémoire nationale, que leurs noms soient inscrits sur les monuments aux côtés de leurs frères d’armes et qu’un monument national leur soit dédié.

Tel est le sens de la proposition de loi que La France insoumise soumet cette semaine à l’Assemblée nationale, plus de cent ans après les premières lois d’amnistie et de réhabilitation votées à l’unanimité de la Chambre des députés. Seule cette reconnaissance de la représentation nationale permettra de parachever l’effort centenaire en faveur des « fusillés pour l’exemple » et d’unifier, enfin, toutes les mémoires des soldats de la Grande Guerre.

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