Mon hommage au Morne de la Mémoire, aux Abymes en Guadeloupe.
Bonjour à toutes et à tous,
Chers amis,
Dans ce moment trouble que nous traversons collectivement, rythmé par la crise et les polémiques inutiles, dans cette période singulière où surgissent les monstres, je crois qu’il est essentiel de suspendre le temps politique qui déborde, afin de nous retrouver. C’est un plaisir solennel que j’éprouve devant vous. Solennel, bien sûr, parce que s’érige derrière nous le Morne de la Mémoire, sur lequel sont gravés 1480 noms des femmes et d’hommes qui furent réduits en esclavage. Ils et elles nous surplombent, font peser sur nous leur majesté et surtout, nous rappellent à une forme d’intransigeance dans notre morale politique.
Ces femmes et ces hommes, à cet instant, nous regardent.
Nous sommes, en effet, les héritiers d’une longue histoire, celle d’un choix politique tous les jours renouvelé : celui de l’insoumission. Ce choix politique est celui qui refuse, en toutes circonstances, l’asservissement des uns au profit des autres. C’est un refus catégorique des chaînes qui enserrent l’espèce humaine.
Nous distinguons sans peine l’histoire et la mémoire. La mémoire, quelque part, nous oblige. Elle est ce geste de sélection ; elle nous somme de choisir, grâce à notre libre-arbitre, de quel côté nous nous situons : qui du bourreau, ou de la victime révoltée, nous voulons poursuivre l’œuvre. Elle nous impose de choisir qui nous célébrons.
Notre camp est celui qui rend hommage à la résistance implacable des esclaves à la cruauté, la torture et l’ignominie des maîtres. La résistance leur a valu, ici, une répression féroce. Mais leur irrépressible désir de liberté est parvenu à vaincre l’oppression.
Après ce moment d’hommage ici avec vous, je veux me recueillir devant la statue de Solitude, héroïne de la liberté, et par-là, héroïne de la condition humaine. Solitude fut d’abord domestique, puis elle rejoignit un camp d’esclaves insurgés. En 1802, elle s’élança dans la résistance, contre le retour de l’asservissement imposé par Bonaparte. Elle traversa une colonne de tortures, de monstruosité, mais fit preuve d’un courage admirable. « Vivre libre ou mourir », était le mot d’ordre de l’appel à la rébellion de Louis Delgrès, commandant de Guadeloupe, auquel elle prit part. Elle mena cette lutte pour l’émancipation au prix de sa vie, et fut suppliciée le lendemain de son accouchement avant d’être condamnée à mort.
Solitude nous apprend que la liberté n’existe pas sans ses défenseurs. Il n’y a pas d’émancipation sans processus ; l’histoire, toujours, est mue par ces figures de la révolte qui font écho jusqu’à nous. Bien avant nous, ces femmes et ces hommes courageux ont fait acte de civilisation, alors que l’humanité donnait à voir la plus cruelle et désolante part d’elle-même. Nous prolongeons leur héritage : notre eurodéputé Younous Omarjee a défendu et obtenu la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité au Parlement européen. Mon collègue Jean-Hugues Ratenon a déposé une proposition de loi pour décréter un jour férié national le 4 février, commémorant l’abolition de l’esclavage par la République française. Récemment encore, Jean-Luc Mélenchon s’est rendu à la Réunion pour commémorer son abolition.
Oui, nous avons une responsabilité historique. Celle de briser la longue histoire de la domination humaine, qui se poursuit de nos jours sous des formes nouvelles. Rien que la semaine dernière, nous apprenions dans un rapport de l’Organisation Internationale du Travail et de l’UNICEF que pour la première fois depuis 20 ans, le travail des enfants augmente dans le monde. 160 millions d’enfants forcés de travailler. La moitié d’entre eux a entre 5 et 11 ans. Plus de 8 millions d’enfants en plus qu’en 2016, et le rapport donne ce chiffre terrifiant : le nombre d’enfants forcés de travailler pourrait encore bondir de 46 millions d’ici à 2022.
Les criminels de l’esclavage devaient faire croire que les personnes noires n’avaient d’autre destin que celui d’être esclave. Pour cela, ils ont semé partout l’idée raciste, cette construction théorique répugnante, leur permettant de soumettre et de traiter des âmes humaines en biens meubles. Ce crime était adossé à un système économique, lui donnant une raison mortifère d’exister. Ce crime est aussi la conséquence de la cupidité érigée en loi d’airain. Il prit pour prétexte les nécessités de l’économie, contre la dignité humaine.
Le poison se répand jusqu’à notre siècle, où l’on justifie l’écrasement d’une large part de la population, maintenue dans la misère et la détresse, pour la seule gloire d’un système économique devenu fou. La haine raciste trouve, ici et là, des entrepreneurs farouches, qui fragmentent sans relâche la patrie républicaine.
Nous refuserons toujours d’être dans le camp du mal, je veux dire, le camp contre le peuple. Aux diviseurs et aux cupides, nous disons : méfiez-vous, votre fin est proche. Non, la patrie républicaine ne se laissera pas malmener. Hier, nous étions des centaines de milliers à défiler dans les rues contre la violence et les idées de l’extrême-droite. Notre devoir est de faire œuvre de clarté quand tant d’idées confuses se donnent à voir.
Et plus que de la clarté, chers amis, il nous faut rallumer une lueur d’espoir. Celle-ci est au bout du chemin. Notre mouvement est celui qui défend, sous toutes ses formes, l’émancipation contre l’oppression, la liberté contre l’injustice, le libre-arbitre contre l’asservissement. Nous ne sommes rien d’autre que des êtres de liberté.
Nous y arriverons, chers amis.
Nous y arriverons car l’histoire nous scrute, inquiète, et qu’il est de notre devoir de lui faire prendre la voie de l’intérêt général humain.
Nous y arriverons car comme le disait une autre grande combattante de la liberté, Harriet Tubman, la femme qui sauva 300 esclaves des plantations du Maryland : « Chaque grand rêve commence par un rêveur ou une rêveuse. Rappelez-vous toujours, vous avez en vous la force, la patience et la passion d’atteindre les étoiles pour changer le monde ».