Dans le cadre de la niche parlementaire de la France insoumise, Michel LARIVE a présenté sa proposition de loi visant à instaurer un domaine public commun :
« La culture est essentielle. Un corps social privé de culture meurt, car la culture est une alimentation, comme les autres. Qu’elle s’adresse à l’esprit, et non à l’estomac, n’enlève rien à son impératif. Elle porte en elle une part de notre humanité.
La culture et la liberté sont les deux facettes de cette humanité consciente. La culture est l’antidote absolue contre les obscurantismes. Il n’est pas de liberté sans culture !
Il est temps de reconnaître aux serviteurs des arts et de la culture une place aussi essentielle dans la société que la culture elle-même.
La crise sanitaire que notre pays traverse agit comme un révélateur et un accélérateur des difficultés rencontrées par les artistes‑auteurs, notamment. La fermeture des lieux de diffusion et de création a entraîné une dégradation sans précédent de leur situation sociale. Depuis 1 an, celles et ceux qui donnent du sens à nos vies s’enfoncent dans la pauvreté.
Ainsi, nous portons l’ambition d’un domaine public commun, maillon d’une chaîne de trois propositions de loi portées par le groupe de la France insoumise, visant à doter les artistes-auteurs d’un véritable statut social et à améliorer les conditions de vie et de création des professionnels des arts et de la culture.
En premier lieu, nous constatons l’immense précarisation d’un nombre conséquent d’artistes, parfois de domaines artistiques entiers. Cette précarité est particulièrement manifeste dans les arts plastiques et visuels d’une part, et dans l’édition d’autre part. À titre d’exemple, un dessinateur ou une dessinatrice de bande dessinée sur deux perçoit un revenu inférieur au SMIC. Un tiers d’entre eux vit sous le seuil de pauvreté. La force publique doit donc donner la possibilité aux artistes de vivre dignement de leur art. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé en 2019 une proposition de loi visant à l’institution d’un fonds de soutien à la création artistique, permettant de doter nos créateurs de subsides pour qu’ils puissent se consacrer pleinement à leur art sans avoir à cumuler cette activité avec un emploi alimentaire. Le mécanisme proposé serait financé par une taxe sur l’utilisation commerciale des œuvres non protégées par le droit d’auteur de 1%.
En deuxième lieu, nous alertons sur les difficultés quotidiennes rencontrées par les artistes-auteurs, mises en exergue par la crise sanitaire. Au nombre d’environ 270 000 en France, ces derniers sont pour la majeure partie confrontés aux aléas de revenus incertains. Pendant la crise sanitaire, ces créatrices et créateurs se sont retrouvés démunis face à la baisse drastique de leurs ressources financières, leurs revenus artistiques et leurs droits d’auteurs n’ouvrant aucun droit à l’assurance-chômage, contrairement aux intermittents et aux artistes-interprètes. De plus, les artistes-auteurs sont nombreux à ne pas avoir pu bénéficier du « fonds de solidarité » instauré par le gouvernement pour les travailleurs non-salariés, du fait de conditions d’octroi du fonds, inadaptées à leurs revenus décalés dans le temps. Face à cette situation urgente, nous avons proposé en 2020 une deuxième proposition de loi visant à la création d’un centre national des artistes-auteurs. En résumé, les objectifs recherchés sont doubles : une meilleure régulation des relations entre les artistes-auteurs et leurs diffuseurs, ainsi qu’un meilleur respect des droits des artistes-auteurs et une meilleure protection sociale pour ces derniers.
Le moment est venu aujourd’hui d’instaurer un domaine public commun afin de lutter contre la précarité des professionnels des arts et de la culture. La République se doit de reconnaître à leur juste mesure, et de protéger les artistes-auteurs, en tant que porte-drapeaux d’une culture vectrice d’émancipation des individus et d’élévation du collectif humain. Il s’agit d’établir une solidarité intergénérationnelle entre les artistes morts et les vivants, système réclamé par Victor Hugo qui écrivait à son époque : « L’héritier du sang est l’héritier du sang. L’écrivain, en tant qu’écrivain, n’a qu’un héritier, c’est l’héritier de l’esprit, c’est l’esprit humain, c’est le domaine public ». Nos intentions s’inscrivent dans la droite ligne des réflexions menées par Jean Zay. Ce dernier, dans l’exposé des motifs d’un projet de loi déposé, au nom du gouvernement de Front populaire en 1936, transcrivait : « Alfred de Vigny exigeait, dès la mort de l’auteur, ‘un partage entre la famille et la nation’ et réglait ce partage sur des bases équitables ; nous ne pouvons mieux faire que d’adopter celles-ci presque intégralement ».
Le premier article de la proposition de loi inscrit dans notre droit le principe d’équitable partage entre l’auteur au sens large et ses ayant.es droits d’une part, et la société́ d’autre part. Ainsi, durant la vie de l’autrice ou de l’auteur, les droits patrimoniaux sur l’œuvre s’exercent sans changement avec la situation actuelle. A partir du décès de l’autrice ou de l’auteur et pendant 70 ans, une redevance est créée au bénéfice d’une nouveau « domaine public commun », sur la base d’un partage équitable des droits à percevoir avec les ayants droit. A l’issue de cette période de 70 ans, les œuvres continuent d’entrer dans le domaine public dans les conditions actuelles. Le second article de la loi traite des dispositifs que nous pourrons mettre en œuvre, grâce au système de solidarité intergénérationnel institué à l’article premier. Ces subsides permettront de financer la protection sociale et la création des professions créatives qui ne bénéficient pas actuellement du régime des intermittent.es du spectacle, sous la forme d’un nouveau régime d’indemnisation du chômage à négocier entre ces professions artistiques et ceux qui commercialisent la création.
Le sens de notre proposition de loi est donc d’instituer un modèle vertueux permettant à nos artistes-auteurs de vivre dignement, grâce à la solidarité de leurs pairs disparus. Cette proposition de loi, si elle était appliquée, devra s’accompagner, entre autres, de l’ensemble des mesures portées par la France insoumise portées depuis 2017. Nous préconisons également la création d’un organisme de gestion collective public et une véritable représentation des artistes-auteurs au sein des instances décisionnelles liées à leur protection sociale.
Depuis le début des temps, les arts et la culture ont façonné les sociétés humaines. Le rôle démocratique et social des artistes est fondamental. La pauvreté à laquelle notre système les condamne est indigne. Privilégier la solidarité intergénérationnelle à l’héritage est un choix politique que nous souhaitons mettre en œuvre, pour qu’enfin nos créateurs bénéficient de la couverture sociale que l’on est en droit d’attendre de toutes activités qui construisent nos sociétés. »