Un article du groupe thématique Culture de la France insoumise
Depuis maintenant plus de deux semaines, une partie du monde de la culture est en ébullition. On compte à ce jour plus de 70 théâtres occupés partout en France. Parallèlement, le samedi 13 mars, jour anniversaire de la fermeture des salles de cinéma, des rassemblements ont eu lieu devant de nombreux cinémas. Enfin, le week-end des 20 et 21 mars, le SYNDEAC a lancé un appel à mobilisation #feuvertpourlaculture et appelé à se mobiliser pour la reprise d’activité dans la culture sous les mots du poète Pablo Nerruda : le printemps est inexorable.
La France insoumise soutient depuis le premier jour cette mobilisation des travailleur·ses de l’art et de la culture et des intermittents·es de l’emploi. Ce texte est un retour sur cette mobilisation particulièrement salutaire : les occupant·es des théâtres sont les éclaireuses et les éclaireurs de la lutte contre la précarité généralisée.
Une mobilisation inédite
Cette mobilisation inédite dans le monde des arts et de la culture se place dans le prolongement de la grande journée de mobilisation dans la culture du 4 mars à l’appel de différentes organisations syndicales dont la CGT Spectacle et la Coordination des intermittent·es et des précaires. Depuis ce jour, le théâtre de l’Odéon est occupé par des intermittent·es du spectacle, du tourisme et de la restauration. A la suite de l’occupation de l’Odéon, plus de 70 théâtres ont à leur tour été investis à travers la France.
En écho avec l’occupation de l’Odéon, la mobilisation des cinémas s’est quant à elle lancée pour marquer le triste anniversaire de la première fermeture des salles lors du premier confinement. Avec 244 jours sans activité, c’est près de 400 films qui n’ont pas pu sortir cette année. Une vingtaine de cinémas en France ont ainsi répondu à cet appel lancé par l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) et le GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche. Partout en France, ils ont organisé des projections et rencontres avec des cinéastes, le tout dans le respect des règles sanitaires. Au-delà de la nécessité de retrouver le public, ils entendent par cette action “assumer avec fierté leur mission d’intérêt général” afin de permettre que ce soit un temps de pause et de réflexion sur notre propre existence, ce que seule la culture permet.
La France insoumise soutient depuis le début ce mouvement d’occupation des théâtres. Les membres du Groupe Culture et des député·es et élu·es de La France insoumise, dont Jean-Luc Mélenchon, Mathilde Panot, Adrien Quatennens, Michel Larive, Clémentine Autain, Eric Coquerel, Danièle Obono, François Ruffin et Danielle Simonnet se sont rendu·es dans ces théâtres occupés pour apporter leur soutien aux occupant·es et échanger avec elles et eux. Les député·es insoumis·es Michel Larive et Clémentine Autain ont également posé deux questions au gouvernement pour relayer leur lutte dans l’hémicycle. Vous pouvez retrouvez les détails de cette mobilisation dans sa couverture par L’insoumission.
Il est frappant de voir que les occupant·es de tous les théâtres reprennent d’une seule voix les revendications de l’Odéon. La première est une deuxième année blanche pour les intermittent·es du spectacle et son extension à l’ensemble des travailleur·ses discontinu·es. On se rappelle qu’Emmanuel Macron avait annoncé le 6 mai 2020 (il y a presque un an maintenant) la mise en place d’une « année blanche » pour les intermittent·es, c’est-à-dire la prolongation des droits aux allocations chômage jusqu’en août 2021. Aucune reprise d’activité n’ayant pu avoir lieu, le gouvernement doit mettre en place une deuxième année blanche.
Ensuite, la reprise de l’activité dans les arts et la culture avec des protocoles sanitaires adaptés définis en accord avec les syndicats. Au lieu de juger les occupations “dangereuses” et “inutiles”, la ministre de la culture aurait mieux fait de planifier la réouverture des lieux de culture, ainsi que la France insoumise le propose depuis de longs mois. Cette reprise d’activité doit aller de pair avec des investissements massifs dans la culture, qui sont également une revendication centrale. Enfin, les étudiant·es du spectacle vivants se sont joints à la mobilisation en occupant les théâtres de la Colline et de Strasbourg puis bien d’autres. Leur entrée dans la vie professionnelle a été saccagée par la crise sanitaire et sa mauvaise gestion. Ainsi, un essentiel plan d’accompagnement à l’insertion professionnelles pour tous·tes les jeunes travailleur·ses est venu s’ajouter aux revendications.
Enfin, la revendication centrale autour de laquelle une mobilisation d’ampleur (dépassant les secteurs aujourd’hui en lutte) doit s’organiser est l’abrogation pure et simple de la contre-réforme de l’assurance chômage, insupportable dans ce qu’elle prévoit, et plus encore dans le contexte de crise sanitaire et sociale.
Une mobilisation solidaire
Au-delà de l’ampleur réjouissante que prend cette mobilisation, elle porte en elle un combat qui dépasse le seul sujet des arts et de la culture. Les occupant·es de l’Odéon, puis toutes celles et ceux qui ont suivi et continuent de suivre leur démarche, ont fait le choix salutaire de se battre non uniquement pour leur condition de travailleur·ses de l’art, mais pour l’ensemble des citoyen·nes qui ont plus que soif d’éprouver à nouveau un contact avec les arts vivants et visuels. Le combat qu’ils et elles portent concerne l’ensemble des travailleur·ses à travers l’organisation de la mobilisation pour l’abrogation de l’infâme réforme de l’assurance chômage. C’est un combat offensif pour les droits des travailleur·ses précaires. Cela concerne donc bien entendu les intermittent·es du spectacle, mais également les travailleur·ses du tourisme, de la restauration, saisonnier·es et autres professions dont l’activité est par nature ponctuelle et discontinue. Tout autant de domaines qui composent les rangs des occupants de ce théâtre qui était déjà au cœur de la mobilisation sociale en mai 68.
Comme le remarque Jean-Luc Mélenchon dans sa dernière Revue de la semaine, le combat des occupant·es de l’Odéon et de partout ailleurs est salutaire car c’est un combat contre la précarité en tant que telle et contre le fait que le libéralisme macronien veuille en faire la norme de notre rapport au travail. On comprend ainsi pourquoi Roselyne Bachelot parle de cette mobilisation avec tant de violence et tant de mépris : elle touche la macronie en plein cœur.
Il n’est pas anodin que la flamme de ce combat soit aujourd’hui nourrie par les travailleur·ses de l’art. Ces derniers sont plus qu’enclins à devenir l’archétype des travailleur·ses auto-exploité·es et auto-aliéné·es. Produisant quelque chose à la valeur d’usage inquantifiable - si ce n’est qu’elle est vitale à l’existence humaine -, les travailleur·ses de l’art sont la proie de ceux qui exploiteront leur œuvre et généreront de l’argent avec (nous ne parlons bien entendu pas ici de toutes celles et ceux dont le travail d’intermédiaire est essentiel à la diffusion des œuvres et qui sont aussi victimes de ce système). Une situation qui se marie parfaitement avec le libéralisme débridé : ultra isolé·es, poussé·es les un·es contre les autres et à qui on fait intégrer la précarité comme un mode de vie normal dès les études.
En tant qu’éclaireurs de la précarité institutionnalisée, les travailleurs de l’art peuvent aussi être les éclaireurs du combat contre cette précarité généralisée. C’est ce qui se passe actuellement dans tous les théâtres occupés où sont accrochées des banderoles portant ce combat. Enfin, ils sont éclaireurs par l’action, mais également par la réflexion, à l’image d’Aurélien Catin, membre de La Buse et auteur de Notre condition, essai sur le salaire au travail artistique. Par l’angle des artistes-auteur·ices, ce dernier propose un tout autre système pour la sécurité sociale, inspirée de ses fondements et fonctionnements ouvriers d’origine.
C’est pourquoi un pouvoir politique soucieux de l’intérêt général se doit d’apporter des réponses à l’ensemble des travailleur·ses de l’art à l’activité discontinue. Il n’y a pas, par conséquent, à faire d’exception pour l’art dans les conditions de travail : il faut apporter une réponse à l’ensemble des travailleur·ses discontinu·es.
Nous devons toutes et tous nous mobiliser aux côtés des travailleur·ses de l’art et intermittent·es de l’emploi car ils portent un combat qui nous concernent toutes et tous : celui d’une sécurité sociale professionnelle. En expérimentant elles-mêmes et eux-mêmes le fait que l’absence possible de travail fait partie intégrante de la carrière professionnelle, qu’elle est structurelle et en rien due à celui qui travaille, elles et ils posent le fait que tout un chacun mérite un revenu digne en contrepartie de sa contribution au bien commun par le travail.
En retour, c’est donc à la communauté d’accompagner celles et ceux qui, pour un temps, n’ont pas d’emploi. Il s’agit là d’une révolution de paradigme, attachant le travail à la personne et non uniquement à son contrat. Un bouleversement de perception qui gagne à être approfondi encore une fois par le biais des travailleur·ses de l’art pour lesquels le travail de conception du partage du sensible ne s’arrête en vérité jamais, qu’il y ait un contrat ou non. Ce sont des pistes que le Groupe Culture de la France insoumise travaille depuis 2017, où figurait dans le Livret Culture la proposition d’adapter l’intermittence du spectacle aux autres professions artistiques précaires et discontinues.
Ainsi, la culture est bien le moteur et le reflet de la libération individuelle et collective. Après plus de deux semaines, cette mobilisation salutaire n’est pas prête de perdre de l’ampleur. Les journées d’action hebdomadaires à partir de ce vendredi auront besoin du soutien de toutes et tous.