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Politique culturelle et crise sanitaire : pour construire d’autres lendemains

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Un dossier du groupe thématique culture de La France insoumise

Dans sa gestion de la crise sanitaire, le gouvernement a fait son choix : les arts et la culture seront confinés. Quand bien même aucun lieu culturel n’a été foyer de contamination depuis le déconfinement, la quasi totalité des activités et propositions sont interdites. Si elles privent les citoyen·nes d’un aspect essentiel de leur vie, ces décisions affectent aussi nombre de travailleur·euses relégué·es à des situations de précarité urgente ou contraint·es de travailler dans des conditions délirantes. Une situation critique dont profitent allègrement Amazon, Netflix et autres superstructures de consommation.

À l’annonce du reconfinement, le groupe thématique culture de La France insoumise a effectué un tour d’horizon des différents secteurs artistiques et culturels pour faire état des lieux de la situation de chaque secteur, faire le bilan des mesures prises par le gouvernement, recueillir les impressions de ses acteurs et actrices et construire avec elles et eux les réponses et améliorations nécessaires. Réalisé grâce aux multiples et riches contributions de ses inscrit·es dans le cadre de la consultation populaire, le groupe thématique culture propose un dossier analysant l’approche du gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire. Il pose également les bases d’un autre projet, celui d’un service public des arts et de la culture fort, vertueux et planifié pour affronter la crise sanitaire et en sortir par le haut.

Un modèle autoritaire et kafkaïen

Si elle est révoltante, l’absence d’égard pour les arts et la culture dans le discours de reconfinement du président n’est pas tant un oubli que l’indicateur de la place des affaires de l’esprit et du sensible dans le projet libéral autoritaire d’Emmanuel Macron. Il n’est tout d’abord pas surprenant que les arts et la culture ne fassent pas partie de l’agenda de l’instance qui semble actuellement gouverner le pays, le Conseil de défense, composée du Président et des différents chefs des forces armées, du renseignement et de la sécurité. Du reste, plusieurs lignes se tracent dans l’action du gouvernement : abandon des travailleur·euses de l’art, « non essentiels » au modèle économique libéral, bureaucratie surréaliste dans nombre de structures publiques et pour le reste, la main invisible du marché règlera tout. Elle finira d’achever les acteur·ices culturel·les indépendant·es et laissera place aux GAFAM (les 5 multinationales du marché du numérique, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et autres superstructures de la consommation.

L’ensemble du plan de reconfinement s’est déroulé dans une verticalité irresponsable, et les secteurs artistiques et culturels n’y échappent pas. Aucun syndicat ou organisme de représentation collective n’a été consulté avant l’interdiction quasi totale des activités, quand bien même ces derniers sont les plus à même de connaître les spécificités de leurs secteurs face à la crise sanitaire. Cette gestion hors-sol conduit à des situations improbables et aberrantes. En ce sens, l’exemple des écoles d’art est frappant. Le gouvernement y autorise les travaux pratiques à se tenir en présentiel et les cours théoriques en ligne. Or, la spécificité des pédagogies qui y sont dispensées est justement celle d’une interdépendance entre théorie et pratique qui se fondent au sein de mêmes cours. La plupart des enseignant·es sont des artistes et leur travail est spécifiquement de transmettre ces interconnexions constantes. Le prisme gouvernemental qui voit tout enseignement supérieur par le prisme du processus de Bologne, qui uniformise et met en compétition l’enseignement supérieur à l’échelle européenne, rend ici l’enseignement impossible. Un problème que l’on retrouve également dans les départements d’art des universités.

Le cas des musées illustre également cette gestion surréaliste, cette fois-ci avec le concours direct du Ministère de la Culture. Alors que le décret du 29 octobre 2020 précise que les établissements culturels recevant du public sont fermés (musée, monuments, bibliothèques), la circulaire de la Fonction publique du 29 octobre 2020 n’évoque pas la question des services publics fermés. Les agent•es de ces musées doivent donc surveiller des salles vides ou attendre derrière un guichet d’accueil des visiteurs qui ne viendront pas. Cela ne manquera pas de contribuer à densifier les transports en commun et les locaux de travail, augmentant ainsi le risque de propagation du virus pour eux-mêmes et pour les autres. Cet autoritarisme de fonctionnement finit par se décliner dans les administrations et pouvoirs politiques locaux responsables d’établissements culturels publics. Ainsi, alors que le premier ministre a annoncé jeudi 29 octobre « une fermeture totale des bibliothèques » sur tout le territoire national, la Ville de Paris a décidé d’ouvrir ses bibliothèques début novembre. Une décision prise hors de tout protocole sanitaire, dans la précipitation et sans aucune consultation. Cette décision met en danger les travailleur·ses comme les usager·es, qui s’exposent à une verbalisation. La confusion s’ajoute à la confusion.

On pense enfin aux images ubuesques des grandes surfaces dont les livres et autres rayons culturels sont interdits d’accès, avec leurs terrifiants écriteaux « vente de livre interdite ». Si ce résultat de la polémique qui a éclaté dès l’annonce du reconfinement semble aussi ridicule qu’effrayant, le cas du livre et des librairies est particulièrement révélateur des volontés du gouvernement. Commerces dits non-essentiels, le gouvernement interdit leur ouverture, puis par « équité » les rayons livres des grandes-surfaces. Les librairies ne peuvent plus proposer qu’un service de commande et de retrait sur place ou d’envoi postal. Elles se retrouvent alors dans un entre-deux dangereux : toujours ouvertes mais ayant une activité minime, elles ne bénéficient plus de la batterie d’aides nécessaires déployées par le gouvernement durant le premier confinement (paiement des loyers, report des cotisations).

Les mesures actuellement proposées (chômage partiel à 70%, prise en charge des envois de livres, restes du plan de relance) correspondent à une forme de sous-activité des librairies. Cela ne prévoit pas un avenir optimiste pour ces dernières dans la période cruciale dans laquelle nous sommes (rentrée et prix littéraires, fêtes de fin d’année…). Le reconfinement risque alors d’être dévastateur pour un tissu de librairies indépendantes fragilisées, particulièrement pour les plus jeunes ou celles en zone touristique. À noter, les éditeurs, maillons indépendants de l’industrie du livre, sont dans des situations tout aussi graves. Le système actuel n’est cela dit pas si terrible pour tout le monde : alors que les librairies ont perdu en moyenne 60% de leur chiffre d’affaires, celui des plateformes de e-commerce est en hausse de 40% à 50% depuis le début du confinement.

La situation est comparable dans une autre industrie culturelle : le cinéma. N’ayant pas pu retrouver tout son public encore réticent à retourner en salle au déconfinement et privé de sa tranche horaire la plus populaire avec le couvre-feu, le secteur est un dans état jugé « dramatique » par la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP). Les mesures prises par le gouvernement maintiennent le gros de l’industrie à flot : renforcement du soutien automatique et des aides sélectives, péremption des comptes automatiques repoussés d’un an, doublement par l’État de la somme revenant aux distributeurs sur le prix du billet. Mais là où le bât blesse est que ces aides dépendent toujours en partie du nombre d’entrées réalisées. Les distributeurs et films indépendants pâtissent alors doublement dans la situation : leurs films réalisant moins d’entrées, ils reçoivent moins d’aides et les films grand public ont capté une part encore plus importantes que d’habitude des spectateurs revenant au cinéma.

Les plus grosses structures (Pathé, Gaumont, MK2), présentes du début à la fin de la chaîne de fabrication des films (production, distribution, diffusion), captent ainsi une majorité des aides mises en place par le gouvernement et se renforcent dans leur position dominante. La situation actuelle est telle que l’ensemble de la chaîne de production du cinéma indépendant est en grand péril. Avec ce second confinement, les services média audiovisuel à la demande (SMAD) comme Netflix, Disney+ ou AmazonPrime captent encore plus de demandes. Avec le développement des SMAD, c’est aussi un système états-unien de production et de proposition de films basé sur des algorithmes de consommation qui s’étend, au détriment de la diversité culturelle.

Ces deux filières culturelles , le livre et le cinéma, partagent le même scénario : des indépendants en situation critique et des entreprises dominantes qui se consolident dans la crise. Le projet du gouvernement en matière de politiques culturelles apparaît clairement : les arts et la culture sont un marché comme un autre où doivent primer les mastodontes de la consommation.

Des travailleur·euses sans horizon

L’exclusion de la culture des « activités essentielles » par le gouvernement place un grand nombre de travailleur·euses de l’art dans une position insoutenable d’absence d’horizon pour leur travail, si ce n’est dans une précarité extrême pour certain·es.

Pour les intermittent·es du spectacle, l’autorisation des tournages et des répétitions permet de garantir une partie de l’emploi minime par rapport à ce que permettrait la reprise des représentations. Dans certains secteurs comme la musique, il arrive que le seul temps de représentation soit compté comme temps de travail et salarié. Dans les faits, cela prive de travail de nombreux·ses musicien·nes, technicien·nes et autres prestataires.

Les artistes-auteur·ices dont l’activité est aussi complètement à l’arrêt voient quant à eux les caisses de leurs fonds de soutien être bientôt toutes vides. Ils et elles ont aussi été floués par le gouvernement : alors que Macron leur a promis une suspension de leurs cotisations au 4e trimestre 2020, l’Urssaf Limousin -auxquels ils et elles sont désormais tou·tes rattaché·es - leur réclame toujours ces cotisations. Des sommes impossible à régler pour la majorité, faute d’avoir pu avoir une quelconque activité depuis le début de la crise sanitaire. Ainsi certain·es, en ultime recours, sont contraint·es de déposer des dossiers de demande de RSA à l’issue improbable.

La situation est aussi intenables pour de nombreux·ses prestataires et autres professions culturelles précaires déjà dans des situations de grande fragilité en temps normal, dues au fait que la caractère discontinu de leur travail n’est pas pris en compte dans le couverture social. Passant entre les radars de tous types de prises en compte gouvernementales, certain·es sont tout simplement sans revenu depuis mars et voient leurs droits au chômage arriver à épuisement, comme c’est le cas pour nombre de guide-conférencier·es.

Enfin, il est également nécessaire de prendre en compte l’impact moral lourd des choix du gouvernement pour beaucoup de travailleur·euses de l’art. Privé·es de contact avec le public, objectif premier de leur travail, alors qu’ils et elles ont été exemplaires dans leur respect des consignes sanitaires, le sentiment d’incompréhension et d’injustice règne. Pour celles et ceux qui peuvent travailler, la situation est parfois aussi incongrue que démoralisante. Par exemple, on ne compte plus le nombre de spectacles qui peuvent répéter mais qui ne pourront sûrement jamais être présentés à un public à cause de l’embouteillage dans les programmations du fait des reports successifs depuis mars.

Planifier la sortie de crise et préparer demain

Dans les arts et la culture comme ailleurs, le projet macroniste est le même : il y a « ceux qui réussissent » (à faire fortune en écrasant les autres) et « ceux qui ne sont rien » (si ce n’est des composantes essentielles de la vie humaine et collective). La crise sanitaire et le reconfinement mettent en lumière le fond du projet libéral : que l’État ne s’occupe plus de la culture, les GAFAM et les mécènes milliardaires s’en chargent très bien. Pour servir le projet, les services publics de la culture peuvent donc continuer d’être démantelés, et avec eux le principe d’exception culturelle à leur origine.

Mais une autre gestion de crise est possible, et avec elle d’autres lendemains à construire. Une gestion vertueuse, émancipatrice, soucieuse de la diversité culturelle et du respect des travailleur·euses, une gestion insoumise en somme. Pour cela, un plan d’aides et d’actions publiques planifié sur plusieurs années est nécessaire pour répondre aux années de perturbations que vont connaître les secteurs artistiques et culturels suite à la crise du Covid-19. Son action doit se faire en concertation constante avec les organisations de représentation collective de chaque secteur.

Tout d’abord, mettre à contribution les profiteurs de crise, à commencer par Amazon, en mettant en place une taxe exceptionnelle sur leur chiffre d’affaire. Une proposition nécessaire soutenue par plus d’une centaine d’ONG, de syndicalistes, de citoyen·nes et d’élu·es qui permettrait de financer des mesures de crise, d’aider les commerces de proximité et de préserver l’emploi.

L’État doit accompagner les acteur·ices les plus fragiles. Le chômage partiel, dans la culture comme ailleurs, doit être pris en charge à 100%. Le chiffre d’affaires des structures indépendantes (librairies, cinémas, théâtres etc.) doit être compensé pour éviter licenciements et fermetures. Des aides au loyer doivent être débloquées, et par la même enclencher une réflexion sur la culture à loyer modéré. Les aides dans les industries culturelles doivent être rééquilibrées afin de permettre aux structures indépendantes (dans l’édition et le cinéma notamment) de survivre à la crise et empêcher les mastodontes d’avoir une position encore plus dominante.

Des mesures d’urgence doivent être prises pour sortir les travailleur·euses de la situation extrême dans laquelle nombre d’entre elles et euc sont actuellement. L’année blanche des intermittent·es doit être prolongée au-delà du 31 août 2021, pour s’étendre un an après la fin des arrêtés administratifs interdisant les activités culturelles, le temps que l’ensemble de ces dites activités puisse reprendre. De même, leurs divers droits (à la retraite, à la formation etc.) doivent être maintenus quand bien même la situation entraîne une baisse des cotisations. Les fonds d’aide pour les artistes-auteur·ices doivent être réapprovisionnés et leurs cotisations suspendues pour le 4e trimestre 2020. Un fond d’urgence doit être créé pour les professions discontinues abandonnées depuis le début de la crise sanitaire et les guides conférencier·es doivent être réaffilié·es à l’annexe 4 de l’Unédic.

Nous devons également tirer leçon de la situation pour construire de meilleurs lendemains : la complexité et la situation d’extrême précarité dans laquelle se trouvent nombre d’artistes-auteur·ices, médiateur·rices, guides-conférencier·eres et autres travailleur·euses de l’art discontinu•es imposent de réfléchir et de proposer un régime et un système de couverture sociale adapté à leurs conditions de travail comme l’est l’intermittence pour les travailleur·euses avec les annexes 8 et 10 de l’Unédic. Pour ces derniers, une baisse du nombre d’heures à cotiser pour ouvrir ses droits et une meilleure prise en compte des aléas du travail peut être envisagée. Il faut créer un Centre National des Artistes-Auteur·ices afin de leur permettre d’avoir une instance nationale claire capable de prendre en compte la spécificité et la diversité de leur profession aujourd’hui.

Il faut inverser la tendance des libéraux à la destruction des services publics des arts et de la culture : cesser de les démanteler, leur redonner un horizon ambitieux, faire confiance à ses travailleur·euses et leur donner les moyens nécessaires à leurs actions et propositions si précieuses. Pour cela, les investissements publics alloués aux arts et à la culture doivent être portés à 1% du PIB, soit 20 milliards d’euros.

Enfin, librairies, cinémas, salles de spectacles, musées et tout autre lieu essentiel pour permettre à la vie humaine d’être et de fleurir par les sens et par l’esprit doivent ouvrir avec des moyens alloués nécessaires à la bonne tenue des protocoles sanitaires. N’ajoutons pas à la crise sanitaire et sociale un dénuement artistique et culturel.

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