Article rédigé par le groupe thématique Enseignement Supérieur et Recherche de La France insoumise.
La Loi de Programmation de la Recherche (LPR), imposée au pas de charge en pleine crise sanitaire, au mépris de l’opposition de l’immense majorité de la communauté scientifique et des universitaires, sape les fondements de la recherche et de l’enseignement supérieur publics français.
Du 28 août au 3 septembre 2020, les député·es de la France Insoumise Muriel Ressiguier et Michel Larive, membres de la Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée Nationale en charge de l’enseignement supérieur, et Sabine Rubin (qui avait suivi ce dossier auparavant), assisté·es des représentant·es du groupe thématique Enseignement Supérieur et Recherche (ESR), Karin Fischer, Hendrik Davi, Etienne Sappey et Patricia Pol, ont auditionné un grand nombre d’acteurs et d’actrices de l’ESR concernant la Loi de Programmation de la Recherche.
Certes, dans la loi proposée, certains chiffons rouges ont été enlevés, comme les projets de suppression de la qualification par le Conseil National des Universités ou de la référence aux 192hTD pour les enseignant·es-chercheur·ses. Mais comme les représentant·es de Solidaires l’ont expliqué, le fond du projet n’a pas changé en dépit de la mobilisation des personnels et de la crise sanitaire : concurrence, précarisation, privatisation, présidentialisation, accroissant ainsi des orientations déjà présentes dans la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités, portée par Valérie Pécresse en 2007).
Audition de SUD Education, SUD Recherche EPST et Solidaires Etudiants
Selon Josiane Tack du SNTRS-CGT, la LPR propose tout le contraire de ce qui a été demandé par les syndicats, et ce malgré des constats souvent largement partagés dans les groupes de travail préalables au projet de loi.
Audition de Josiane Tack (SNTRS-CGT), Vincent Martin (FERC-SUP CGT), Kim Gauthier et Julien Louis de la Confédération des Jeunes Chercheurs.
Un effort financier insuffisant et en trompe l’œil
Tou·tes les auditionné·es estiment que l’effort financier proposé est très insuffisant, malgré les effets d’annonce. Nous n’atteindrons pas les 3% du PIB pour l’effort de recherche. Le rattrapage proposé ne permet pas d’atteindre 1% pour le seul secteur public.
Olivier Coutard, qui préside le comité national des présidents de sections au CNRS, estime que si le PIB évolue entre 2019 et 2028 comme il a évolué entre 2008 et 2017, donc en considérant que l’impact de la crise sanitaire en cours ne sera pas plus profond que celui de la crise financière de 2008, on restera à 0,8% du PIB pour l’effort public de recherche. L’« effort financier » tant vanté n’aboutirait ainsi au mieux qu’à une stagnation des financements publics.
Audition d’Olivier Coutard, Président de la Conférence des présidents de section du Comité national du CNRS
Par ailleurs, comme le remarque Fabrice Planchon, Vice-Président du Conseil National des Universités, sur les 25 milliards promis, il y en a 15 dont on ne sait pas comment ils seront dépensés. Il faut donc réclamer une programmation financière plus détaillée et rigoureuse.
Audition de Sylvie Bauer (Présidente de la Commission Permanente du Conseil National des Universités) et Fabrice Planchon (Vice-président CP-CNU)
De nombreux·ses auditionné·es ont aussi remarqué que ces engagements sont pris en fin de quinquennat dans un contexte difficile, ce qui fait douter de la réalité de l’effort. Le SNESup-FSU propose pour la recherche stricto sensu le double de ce que propose le gouvernement.
Un mode de financement par projets aux effets délétères alors qu’une recherche de qualité a besoin de budgets récurrents
D’autre part, le mode de financement par appel à projet et l’ANR (Agence nationale de la recherche) sont renforcés par la loi, ce qui renforce encore un peu plus la précarité des financements. Les deux correctifs proposés dans la loi (la hausse du budget de l’ANR et la hausse du préciput reversé aux unités sur chaque projet) pour limiter les effets délétères de ce système sont eux-mêmes insuffisants, car la hausse du budget risque d’entraîner une augmentation du nombre de projets déposés. C’est un mécanisme de financement qui ne permet pas une bonne répartition des moyens et cela met en concurrence tous les personnels. La plupart des acteurs demandent une augmentation des budgets récurrents pour assurer le financement de base des recherches. Christophe Voilliot, Co-Secrétaire Général du SNESup-FSU, pointe également du doigt les difficultés spécifiques des équipes propres des universités dans la compétition pour obtenir les projets.
Audition de Christophe Voilliot, Co-Secrétaire Général, et Philippe Aubry, Secrétaire Général adjoint du SNESup-FSU
Or la science est malade de la compétition et du publish or perish (publier ou périr). La science se nécrose sous l’effet de la surproduction, la course à la quantification est nuisible à la lisibilité des résultats de la recherche comme à la diversité des domaines de recherche, dont l’importance est soulignée notamment par Caroline Ibos, représentante du collectif des Revues en lutte. Accélérer ou ralentir ? La LPR ne répond pas à cette question fondamentale, explique Julien Gossa (voir plus bas pour le lien vers l’audition de ce dernier).
Audition de Caroline Ibos, représentante du collectif des Revues en lutte
De nouveaux contrats précaires qui fragilisent toujours plus la situation des jeunes chercheurs
L’autre aspect du projet est le développement de la précarité des salarié·es, qui va de pair avec le mode de financement sur appel à projet. La précarité est déjà forte dans l’ESR (34% de contractuels sans tenir compte des vacataires). Le projet de loi propose en effet de nouveaux contrats précaires, CDI de mission et CDD Chaire Junior, en lieu et place du recrutement de postes de titulaires. Élodie Bordat-Chauvin du comité de mobilisation des Facs et labos en lutte estime que la LPR institutionnalise ainsi la précarité, en proposant de multiples dérogations au statut de fonctionnaire d’État.
Auditions de Elodie Bordat-Chauvin et Hugo Harari-Kermadec (Facs et Labos en lutte — Hugo Harari-Kermadec est également spécialiste de l’enseignement supérieur), Julien Gossa (SNESup-FSU)
Un lien entre financement déséquilibré de la recherche et polarisation sociale au sein du système universitaire
Lors de l’audition, Hugo Harari-Kermadec a quant à lui mis en évidence par une série de graphiques le lien incontestable entre l’évolution des modes de financement de la recherche ces dernières années, le développement d’un paysage universitaire à deux vitesses et la polarisation sociale en ce qui concerne les étudiant·es : les établissements les plus mal dotés concentrent aussi le plus grand nombre d’étudiant·es défavorisé·es, et cela va en s’accentuant.
Une absence de réponse aux besoins en recrutement de postes de fonctionnaires et en termes de financement des doctorant·es
Pour les organismes de recherche les effectifs de fonctionnaires ont baissé. Dans les universités, ils sont stables depuis 10 ans, alors que les effectifs étudiants ont augmenté considérablement. Le taux d’encadrement et la dépense publique par étudiant sont donc en baisse de plus de 10% en 10 ans. Le projet de loi indique une augmentation du plafond d’emplois statutaires de 5200 en 2030. Mais aujourd’hui, les EPST (établissement public à caractère scientifique et technologique, comme le CNRS) comme les universités n’utilisent pas ce plafond faute de moyens et rien dans la loi n’indique que les budgets seront suffisants pour atteindre les plafonds. Par exemple, explique Olivier Coutard, le plafond d’emploi est de 28 600 emplois au CNRS fin 2018, mais le CNRS n’en emploie que 25 200, car il dans l’incapacité d’en financer plus.
Rien n’est fait pour revaloriser les carrières existantes des permanent·es. Le salaire moyen brut d’un·e chercheur·se représente 63% des salaires de l’OCDE et l’âge moyen de recrutement est de 34 ans. En parallèle, la loi prévoit la négociation d’un protocole d’accord salarial, mais les augmentations ne se feront que sous forme de primes « au mérite ».
Les différents acteurs, actrices auditionnées demandent un plan pluriannuel de création d’emplois statutaires dans toutes les catégories (6000/an pour le SNESup) et l’augmentation des salaires par une augmentation du point d’indice et pas par l’augmentation d’une part indemnitaire individualisée qui mettra encore plus les agents en compétition. Le SNESup propose aussi l’institutionnalisation d’un dialogue entre la communauté scientifique et les citoyenn·es pour assurer une programmation dans la durée.
Concernant les doctorant·es, le compte n’y est pas non plus en 2017-2018 : sur les 16 000 nouveaux et nouvelles doctorant·es, seul 11 000 étaient financé·es pour leur recherche. La LPR prévoit une hausse de 20% des contrats financés par le ministère, ce qui est donc encore insuffisant selon Julien Louis de la Confédération des Jeunes Chercheurs. Kim Gautier ajoute que la LPR ne mentionne pas les 130 000 enseignant·es vacataires qui sont souvent des jeunes chercheur·ses inscrit·es en doctorat ou docteur·es sans poste.
Le Crédit Impôt Recherche a aussi été largement critiqué par tou·tes les auditionné·es, car il n’a pas permis d’augmenter la dépense dans la recherche privée, et représente un manque à gagner très significatif pour l’État, qui pourrait être au moins en partie redirigé vers la recherche publique.
D’autres articles plus spécifiques comme l’article 11 sur le statut des unités ou l’article 22 qui permet de légiférer par ordonnances sur la reconnaissance des diplômes du privé ont aussi été discutés. Enfin les auditionné·es ont presque tou·tes aussi reconnu le manque de dialogue social : « On nous reçoit mais on n’est pas vraiment écouté ».
C’est donc un projet de loi qui n’est pas pour la recherche, mais pour une certaine conception, partenariale, de l’innovation, en réduisant la recherche à sa dimension de valorisation économique. Or, l’idée d’une participation de la recherche à l’effort économique doit exister, mais ne doit pas se substituer à l’idée de la recherche comme un bien commun bénéficiant à la société.