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Édito #23 | Covid-19 : un tremplin pour refonder complètement notre société

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L’épidémie de Covid-19 qui frappe notre pays révèle l’impréparation et l’amateurisme du gouvernement. Les politiques d’austérité budgétaire menées depuis des décennies ont complètement démembré notre réseau d’hôpitaux publics. Parmi les effets les plus visibles de cette logique absurde, nous pouvons relever la suppression de près de 70.000 lits d’hôpitaux en 15 ans, la diminution des effectifs de 0,6% en moyenne chaque année, depuis 2007, et l’augmentation du nombre de contractuels et de contrats précaires. 

Mais cette crise nous a aussi appris que ces logiques purement comptables sont responsables des difficultés rencontrées pour équiper la population, et en premier lieu les personnels soignants, en matériels de protection. Ainsi par exemple, alors que nous disposions encore d’un stock d’1 milliard de masques en 2011, le stock disponible en janvier 2020 était de seulement 150 millions de masques et ce, malgré le fait que le directeur général de la santé, M. Jérôme Salomon, ait alerté le gouvernement en 2018 sur les quantités largement insuffisantes et l’état en partie périmé du stock de masques disponible.

En définitive, ce que nous constatons à l’aune des événements récents, ce sont les conséquences délétères de l’absence prolongée d’une politique de santé publique digne de ce nom. Je parle d’une politique cohérente, fondée sur une analyse rationnelle des besoins de la population et des facteurs de risques sanitaires. Car en dépit des montants relativement importants consacrés à la santé dans notre pays (sécurité sociale, mutuelles, réseau d’hôpitaux), les politiques menées depuis des décennies ne s’appuient absolument pas sur une démarche scientifique rigoureuse.

L’approche actuelle en matière de santé est presque exclusivement orientée vers le curatif, au grand bénéfice des firmes pharmaceutiques, et prévoit très peu de moyens concrets pour la prévention. Pourtant nous savons que 80% des maladies pourraient être évitées en réduisant les facteurs de risques. Il y a un large consensus scientifique sur le fait que l’exposition massive de la population à la malbouffe, la pollution, le stress, la sédentarité est la cause principale des maladies modernes. En l’occurrence, plusieurs études scientifiques, dont celle d’OpenSAFELY parue le 7 mai 2020, tendent à démontrer que ces facteurs de risques augmentent la probabilité de décès chez les patients atteints du Covid-19, alors que ce virus est relativement bénin pour les personnes moins exposées. Il s’agit là d’une illustration dramatique du scandale sanitaire structurel de nos sociétés.

Pris de panique lorsqu’il a réalisé le potentiel dévastateur de l’épidémie et mesuré tout le temps perdu en conjectures, le gouvernement a fait le choix du confinement généralisé de la population. L’objectif poursuivi était d’éviter à tout prix l’engorgement des hôpitaux, et en particulier des services d’urgence. Etait-ce vraiment une bonne solution ? Quid des conséquences sur le tissu socio-économique de notre pays, avec une explosion du nombre de chômeurs et des incertitudes persistantes concernant l’avenir de dizaines de milliers d’entreprises ?

Ces questions restent en suspens. Peut-être aurait-il mieux valu, comme l’ont fait l’Allemagne, la Corée du Sud ou encore Singapour, que notre pays suive les recommandations formulées par l’OMS dès le 30 janvier, à savoir « contenir toute introduction du virus et sa propagation par une surveillance active, une détection rapide, l’isolement et la gestion des cas, la recherche des contacts et une prévention ».

Mais tandis que tous les pays de l’espace Schengen suspendaient tous les visas avec la Chine dès le 1er février, la France a tardé à le faire. Par ailleurs, au 26 février, seuls un peu plus de 1.000 tests de dépistage avaient été réalisés en France, alors que l’Allemagne effectuait déjà plusieurs dizaines de milliers de tests chaque semaine, selon un protocole mis en place dès le 17 janvier par une équipe du centre allemand de recherche sur les infections…

L’avenir nous dira si le confinement généralisé de la population était la bonne décision à prendre, ou s’il s’agissait d’une décision par défaut, faute d’avoir su proposer mieux. Quoiqu’il en soit cette période de restriction des déplacements et d’interruption de la majeure partie des activités économiques a très lourdement impacté la vie des français·es.

Tout d’abord, les baisses de revenus engendrées par les mesures de chômage partiel, la rupture des contrats ou pour les entrepreneurs les pertes d’exploitation ont placé un grand nombre de personnes dans une situation économique très difficile. Une fois de plus, ce sont les plus fragiles et les personnes qui se trouvaient déjà en situation précaire qui ont été les plus durement touchées, parfois jusqu’à ne plus pouvoir payer leur loyer, ni se nourrir décemment. Les associations caritatives ont fait de leur mieux pour pallier à cette situation, qui demeure encore très difficile. A ces baisses de revenus se sont ajoutées des augmentations de factures d’eau, d’électricité, de gaz ou de téléphone, liées au confinement à domicile. Le confinement a aussi provoqué ou considérablement aggravé l’isolement de nombreuses personnes, avec des conséquences psychologiques qu’il n’est pas encore possible d’évaluer convenablement pour l’instant.

Par ailleurs, les entreprises sont très affectées par l’arrêt de leurs activités. Le fonds de soutien et les prêts garantis d’Etat n’ont pas suffi à compenser les pertes d’exploitation cumulées. D’autant moins que de nombreuses banques se sont montrées revêches pour accorder ces prêts, exigeant des garanties supplémentaires et demandant parfois des frais exorbitants aux chefs d’entreprises qui en faisait la demande. De leur côté, les assurances se sont réfugiées derrière une interprétation toute à leur avantage de la législation en vigueur et ont refusé de couvrir les pertes de leurs clients. A ce propos, le groupe parlementaire de la France Insoumise a déposé une proposition de loi visant à préciser le champ d’application des arrêtés de catastrophe naturelle et leur financement, afin notamment de rappeler aux assureurs la vocation première de son activité : mutualiser les risques pour y faire face solidairement.

En Ariège, l’avenir de l’industrie et en particulier de la filière aéronautique est en jeu. Le risque qu’un grand nombre de petites compagnies aériennes dépose le bilan est réel. Il pourrait entraîner un véritable tsunami dans le secteur tout entier, avec une baisse très importante du nombre de commandes, phénomène déjà observé notamment chez Airbus et ses sous-traitants. Si la tendance devait se confirmer, cela entraînerait vraisemblablement des suppressions de postes dans toute la filière. Les usines installées en Ariège seraient probablement concernées au même titre qu’ailleurs.

Le secteur du tourisme et de la restauration, toujours à l’arrêt, souffre lui aussi de la situation. Combien de restaurants et de bars risquent de mettre la clef sous la porte en Ariège ? Nul ne peut le dire. Mais les mesures de restrictions ont d’ores et déjà impacté l’équilibre financier de la grande majorité des entreprises, et l’avenir demeure pour beaucoup bien incertain.

Car depuis le début de cette crise le gouvernement a multiplié les annonces contradictoires de telle sorte qu’il est très difficile pour la plupart d’entre nous de pouvoir nous projeter dans l’avenir. Cette situation n’est pas de nature à diminuer le caractère naturellement anxiogène de l’épidémie en cours.

Au premier jour du déconfinement il y a trois semaines, le Ministre de la Santé s’était engagé à ce que la France soit en mesure de réaliser 700.000 tests de dépistage par semaine. Or le 11 mai, notre capacité était d’à peine la moitié. Après nous avoir expliqué que le port du masque était inutile, les autorités le recommandent désormais, à condition que vous ayez les moyens de vous payer ces masques. Car le gouvernement n’a pas jugé utile de fournir des masques gratuits pour toute la population, comme l’ont pourtant fait bien d’autres pays. Il s’agit pour moi d’une situation scandaleuse. Ce sont certaines collectivités qui ont pris l’initiative d’organiser la mise à disposition de masques pour leur population, souvent même sans conditions de ressources. Une fois de plus, l’Etat se défausse de ses responsabilités sur les collectivités locales. Il y a quelques jours, nous avons appris la réouverture du parc du Puy du Fou, alors que les théâtres et les cinémas restent fermés. Cette décision est profondément incohérente. Permettre à nouveau l’accès à la culture serait moins importante pour la vie du pays que de rouvrir les parcs d’attraction ? Mais enfin sur quelle échelle de valeurs se basent ces gens pour réfléchir ? Les déclarations et les décisions prises par ce gouvernement n’ont ni queue ni tête. Il est impossible de savoir sur quel pied danser.

Nous savons que le processus de déconfinement s’étalera au moins sur plusieurs mois. Quoiqu’il en soit, nous ne devons pas tout recommencer comme avant. Nous avons le devoir de transformer la crise que nous traversons, et tous les drames humains qu’elle génère, en une opportunité pour transformer notre modèle socio-économique en profondeur, et renverser l’échelle des valeurs. Cette épidémie de Covid-19 et tous les bouleversements qu’elle a engendré doivent nous servir de tremplin pour refonder complètement notre société. Je m’y emploie personnellement depuis le début de cette crise, et je sais que de nombreuses ariégeoises et de nombreux ariégeois œuvrent aussi dans ce sens. Il s’agit d’un défi colossal que nous devons impérativement relever ensemble, en mettant à profit l’intelligence collective et l’esprit de solidarité, pour qu’enfin viennent les jours heureux.

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