Editorial de Jean-Luc Mélenchon
Le moment que nous vivons ne doit pas être considéré comme une mise entre parenthèses de la démocratie. La France insoumise est une force d’opposition et de proposition. Nous le restons pleinement pendant le krach sanitaire. La rhétorique guerrière, les appels à « l’union sacrée », la référence permanente à une prétendue omniscience des experts qui reste impossible et n’existe pas, rien ne nous fera renoncer à notre devoir de vigilance. Nous ne pouvons pas non plus nous contenter de réflexions sur un hypothétique « monde d’après » qui commencerait comme une page blanche sans le passé ni le présent surchargé d’erreurs et de violences que nous vivons. Le monde d’après commence maintenant. Il se forme dans les pratiques et dans la conscience d’aujourd’hui. Les libéraux et les tenants du système ne l’ont pas oublié. À chaque fois que la société est ébranlée, ils en tirent profit pour appliquer la « stratégie du choc » : imposer par des méthodes autoritaires leurs recettes anti-sociales.
La loi sur l’état d’urgence sanitaire et ses ordonnances en sont un exemple pur. Les députés de la France insoumise ont voté contre. La suite a prouvé que nous avons eu raison de le faire. Car elles contiennent tant de régressions sociales ! Et aucun moyen de planifier la mobilisation sanitaire. Pour finir il s’agit d’un nouvel état d’exception contre les libertés démocratiques. Le gouvernement peut restreindre et suspendre les droits individuels élémentaires sans contrôle du Parlement. Comme si la délibération, le débat contradictoire sous les yeux du peuple étaient des luxes qu’on ne pouvait plus se permettre. La démocratie est au contraire une nécessité pour prendre des décisions éclairées. Cela vaut aussi dans les tempêtes.
La souveraineté du peuple, le pouvoir du Parlement, les droits de l’opposition et la séparation des pouvoirs ne furent pas suspendus pendant la Première guerre mondiale. Il n’y a pas plus de raisons de les suspendre maintenant.
Bien sûr, on nous a dit que ce nouvel état d’urgence était temporaire. Nous nous méfions des états d’exception temporaires. Les mesures attentatoires aux libertés pour lutter contre le terrorisme, après les attentats de 2015, étaient, elles aussi, réputées provisoires et limitées dans le temps. À cinq reprises, elles furent prolongées. Puis, Emmanuel Macron a intégré l’état d’urgence dans la loi ordinaire et permanente avec en mode courant ses assignations à résidence sans contrôle judiciaire, ses fouilles obligatoires à l’entrée des rassemblements. Et contre qui cet état d’urgence anti-terroriste fut-il le plus utilisé ? Contre des syndicalistes, des activistes écologistes et des militants politiques. La pente autoritaire sur laquelle est engagée le régime depuis la répression féroce du mouvement des gilets jaunes confirme nos pires craintes dans ce domaine.
Dès le vote de cette loi, le dirigeant du parti La République en Marche, Stanislas Guérini, annonçait la couleur : il faudra un jour réfléchir à passer dans le droit commun les mesures qualifiées aujourd’hui d’exceptionnelles. Parlait-il de la toute- puissance du pouvoir exécutif ? Ou bien des reculs de droits sociaux ? Dans ce domaine aussi, les néolibéraux ont avancé à pas de géants en seulement quelques jours et sans se soucier de « l’union sacrée ». Liberté des congés payés, RTT, durée du travail, repos hebdomadaire : tant d’acquis patiemment construits par des décennies de luttes ont été repris en un claquement de doigt et presque sans débat. Dans le même temps, le Gouvernement refusait de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune, même provisoirement. Il ne mène pas une politique extra-ordinaire dans cette circonstance. Il continue la même politique de destruction des sécurités collectives et d’amnistie générale pour les riches. Plus vite, plus fort.
L’analyse critique, et dans le détail, de toutes ces ordonnances, est indispensable. Cet exercice ne doit pas rester confiné aux seuls parlementaires mais se répandre largement dans la société. C’est le but de ce livret. Il est un point d’appui pour le travail militant d’explication et d’éclairage du réel. Il est le résultat du travail dans l’hémicycle des parlementaires insoumis. Mais aussi et parfois surtout celui de leurs collaborateurs, femmes et hommes qui tout au long de l’année et des débats doivent combiner expertise technique et analyse politique. Au total, ce travail est essentiellement dédié aux associatifs, syndicalistes et politiques qui suivent partout l’évolution du combat et l’alimentent d’arguments.
Dans la période présente une nouvelle conscience politique se forme. À l’échelle des milieux militants mais aussi du grand nombre. C’est pourquoi les Insoumis combinent dans leur action à la fois la critique des décisions du pouvoir actuel comme c’est le cas avec la lecture de ces ordonnances, et les propositions fédératrices pour le pays.
Nous croyons que la période nécessite de mettre en avant des « causes communes » autour desquelles le peuple peut fonder son unité d’action contre l’épidémie. Le salut de notre hôpital public, la planification de la mobilisation sanitaire, la mise en sécurité sociale de tous, la souveraineté sur les secteurs essentiels de la vie de nos sociétés organisent les propositions des Insoumis. On les retrouve dans les plans d’urgence nationaux et européens que nos deux groupes ont déposés. Autrement dit, l’alternative positive au désordre néolibéral que nous proposons est une radicalité concrète.