Édito #21 | Coronavirus : l’unité nationale ne doit pas souffrir d’un déficit démocratique.

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Nous traversons, en France, la plus grande crise sanitaire depuis la grippe espagnole, il y a plus d’un siècle. Nombreux sont les cas de Covid-19 recensés en France et malheureusement les décès augmentent de jour en jour. La situation est très préoccupante, d’autant plus que nous sommes encore loin du pic d’épidémie, selon les spécialistes. Les expériences passées et les connaissances scientifiques actuelles nous enseignent que le taux de contamination d’une population par un virus, ainsi que le taux de mortalité, dépendent pour beaucoup de la réaction des pouvoirs publics face à l’épidémie. Le Covid-19 serait un peu moins virulent que le H1N1, dont dérivait la “grippe espagnole”, mais le taux de mortalité parmi la population contaminée demeure important et surtout, il varie énormément d’un pays à l’autre, de 0,3% en Allemagne à 8,5% en Italie.

Il est donc crucial de mobiliser toutes nos énergies pour limiter d’une part le nombre de personnes infectées, et d’autre part pour réduire le taux de mortalité, actuellement autour de 3,6% en France. En Chine, les mesures de confinement drastiques mises en place dans tous les foyers d’infection identifiés et ce, rapidement après l’apparition de l’épidémie, ont permis que “seules” 80 928 personnes soient contaminées, sur une population totale de près d’1,4 milliards d’habitants. Aux dernières nouvelles il n’y aurait plus de contamination d’origine locale dans le pays. En Corée du Sud, l’ampleur du dépistage a permis de cibler le confinement sur les personnes infectées ou soupçonnées de l’être, ce qui atténue énormément les contraintes imposées aux acteurs économiques. Chez nos voisins européens en Allemagne, les médecins généralistes ont effectué des dizaines de milliers de tests sur des patients dès le début de l’épidémie, alors même qu’aucun mort n’avait encore été recensé. Les tests dans les hôpitaux sont presque systématiques. Cette politique de dépistage permet de prendre en charge spécifiquement les patients atteints du Covid-19, et de mieux prévenir les complications. C’est une recommandation de l’organisation mondiale de la santé. Il y a une dizaine de jours M. Wieler, le président de l’institut Robert-Koch, a annoncé que l’Allemagne pouvait dépister jusqu’à 160 000 personnes par semaine. Pour vous donner un élément de comparaison, il s’agit peu ou prou du nombre de tests effectués jusqu’à présent en Italie, où l’épidémie a pris une ampleur vraiment dramatique…

Afin d’empêcher la contamination, il semblerait donc que le moyen le plus efficace soit la distanciation sociale, c’est-à-dire la limitation du nombre des interactions entre les personnes et l’application des gestes dits “barrières” (port de masques et gants, hygiène, absence de contacts physiques). Le nombre de dépistages effectués, et le plus précocement possible, joue un rôle très important pour réduire le nombre de cas graves et éviter au maximum les décès. Ces éléments sont factuels. Ils sont le fruit d’un raisonnement scientifique et d’une démarche méthodique de la part des autorités qui les ont mis en pratique. À l’aune de ces réflexions, que pouvons-nous dire de l’action du gouvernement français pour faire face à la crise sanitaire actuelle ?

Certes le temps de rendre des comptes n’est pas encore venu. Pour le moment, notre pays doit rester uni pour lutter contre l’épidémie. Mais nous ne devons pas sacrifier notre esprit critique pour autant. L’unité nationale ne doit pas souffrir d’un déficit démocratique. La concertation et la transparence sont les seules voies qui permettent de conserver cette unité nationale. 

Alors que se multiplient les atermoiements et les cafouillages du gouvernement concernant la gestion de la crise, nous apprenons que l’ancienne Ministre de la Santé avait fait part de ses inquiétudes au directeur général de la santé à propos de l’épidémie de Covid-19 dès le 20 décembre dernier. Cela n’a visiblement pas empêché le gouvernement d’autoriser la vente massive de tests de dépistage et de masques de protection à la Chine, sans prévoir le réapprovisionnement nécessaire pour que notre pays puisse lui-même faire face à l’épidémie en temps voulu. La pénurie actuelle de matériel aurait très certainement pu être évitée.

Par ailleurs, nous savons que la France est passée de 11,1 lits d’hôpitaux pour 1.000 habitants en 1980 à seulement 6 en 2017. Cela fait maintenant des années que les professionnels de santé alertent les gouvernements successifs sur la dégradation importante du système de soins français, sur le plan matériel mais aussi et surtout sur le plan humain, avec des personnels en sous effectifs et déjà à bout de nerfs pour gérer les flux normaux de patients. Il aurait fallu investir massivement et tout de suite pour renforcer l’hôpital avant l’arrivée du Covid-19 sur notre sol. Les 750 millions d’euros sur 3 ans promis par Mme Buzyn dans le cadre du plan d’urgence pour l’hôpital sont une goutte d’eau dans l’océan des besoins de nos services de santé. Avec seulement 3,1 lits de soins intensifs pour 1 000 habitants, la France se place à la 19ème place sur une liste de 35 pays évalués par l’OCDE, loin derrière des pays comme la Corée du Sud (7,1) ou la Lituanie (5,5). Concrètement cela signifie que la capacité de nos hôpitaux à faire face à une vague importante de patients développant des complications graves est limitée. 

Cette situation implique qu’il est d’autant plus important pour nous en France de limiter au maximum le nombre de contaminations, pour éviter que notre réseau de santé soit saturé et ne parvienne plus à traiter tous les malades, ce qui entraînerait une hausse brutale de la mortalité. Dans ce contexte il est incompréhensible que le gouvernement ait autant tardé à prendre des mesures sérieuses pour le confinement de la population. Comme nous pouvions nous y attendre, les premiers cas avérés de contamination sont apparus un peu partout en France, parmi les personnes qui ont tenu les bureaux de vote le 15 mars, et ce n’est sans doute qu’un début. Ce n’est donc que trop tardivement sans doute que le Président de la République s’est résolu à ordonner le confinement.

Mais si des instructions ont bel et bien été données, leur application reste encore et toujours à géométrie variable. Difficile de blâmer pour cela la population qui reçoit des messages contradictoires depuis le début de l’épidémie. En effet le gouvernement a d’abord minimisé la gravité de la situation, puis il a reproché aux gens de manquer de discipline dans l’application des gestes barrières et annoncé des mesures coercitives. Pour couronner le tout, maintenant qu’une grande partie de la population s’astreint au confinement, il vocifère contre des entrepreneurs qui mettent leurs employés en chômage partiel, et lance des injonctions à retourner au travail ! N’importe quelle personne sensée pourrait y perdre son latin…

Nous aurons incontestablement de grandes leçons à tirer de l’épisode que nous vivons, lorsqu’il s’achèvera et que nous aurons pleuré nos morts. Nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’en pareilles circonstances, il est complètement inconscient et puéril de vouloir s’en remettre à l’intervention de la “main invisible” du marché, car quand bien même elle aurait jamais existé, il est certain qu’elle n’a d’autre horizon que la recherche du profit égoïste et la glorification de l’individualisme. Sans l’intervention d’un État fort, en pleine possession de tous ses pouvoirs régaliens, il est impossible de répondre à une telle situation de crise. 

Nous avons l’appareil de production nécessaire pour fournir tout le matériel dont nous avons besoin. Nous avons le personnel formé et le potentiel humain indispensable pour sauver des vies et vaincre l’épidémie. Ce qu’il manque, c’est une volonté politique ferme qui permette de sortir du cadre, ne serait-ce que temporairement, comme en temps de guerre, pour organiser concrètement les choses et prendre toutes les mesures adéquates. À la France insoumise, nous avons fait un certain nombre de propositions dans ce sens lors du vote du projet de loi d’urgence proposé cette semaine, dans l’hémicycle par le gouvernement . Mais malheureusement, comme à l’accoutumée, la majorité présidentielle a rejeté nos amendements et elle a décidé de voter un projet de loi d’urgence bien en-deçà de ce que réclamerait la situation.

Pour terminer, je souhaiterais exprimer toute ma gratitude aux fonctionnaires des services hospitaliers, de la sécurité publique, aux agents des collectivités et autres services publics. Je n’oublie pas toutes celles et tous ceux qui nourrissent, soignent, transportent, éduquent et divertissent, leur importance est capitale pour la cohésion sociale de notre pays. À toutes et à tous, je veux leur témoigner mon plus profond respect et tout mon soutien en cette période difficile, car ce sont eux qui sont aujourd’hui en première ligne de cette “guerre” que nous menons collectivement face au virus. Ils travaillent pour la plupart dans des conditions indignes, sans protection suffisante, et prennent tous les risques pour que nous demeurions en bonne santé et en sécurité. Une fois encore, le dévouement de ces femmes et de ces hommes au service du pays, au service des autres et du bien commun, se démarque totalement des vilenies égoïstes promues par les chantres de l’ordo-libéralisme et de tout le chaos qu’elles engendrent. Voilà ce qu’est le service public, et voilà pourquoi il nous faut inlassablement le défendre contre la voracité du capitalisme et de sa mondialisation sans borne.

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