Pendant ces jours de confinement les groupes thématiques de la France insoumise ont décidé d’apporter leur contribution à travers des réflexions sur la situation actuelle. Chaque jour, un ou plusieurs articles d’analyses seront mis en ligne et produits par un des groupes thématiques. Retrouvez ces productions sur la page de l’espace programme.
La crise sanitaire Covid-19 et les stratégies de confinement adoptées forcent à repenser les technologies numériques dans notre quotidien et les sociétés contemporaines. Et déjà plusieurs questions se posent.
Quels degrés de congestion des infrastructures et équipements de télécommunication ?
Légitimement, la question peut être posée des capacités des réseaux de télécommunication afin de supporter l’accroissement des trafics de données. DE-CIX, l’un des principaux nœuds internet mondial basé à Francfort (Allemagne) afin de desservir la place financière de Mainhattan, a enregistré le 10 mars 2020 un pic de 9,1 Tb/s. C’est 12 % de trafic en plus que le précédent record du nœud internet. Akamai, un réseau majeur de l’internet composé de 100 000 serveurs, a lui aussi relevé une hausse de trafic de 30% aux États-Unis depuis les deux derniers mois. L’opérateur de télécommunication américain AT&T, poids majeur du secteur, a suspendu temporairement le plafonnement de la bande passante de différentes infrastructures et équipement de son réseau afin de faciliter le télétravail. Depuis le début des stratégies de confinement en Espagne, l’opérateur de télécommunication Telefonica recense sur son réseau +40 % de trafic, +50 % de la voix, +25 % de données mobiles, une multiplication par cinq des outils de messagerie instantanée, par quatre des flux liés aux outils de travail distants.
En France, 29,7 millions d’abonnement internet à haut et très haut débit sur réseau fixe (aDSL, Fibre optique, 4G fixe Ndlr.) sont recensés (ARCEP, 2020). Quelques constats de services un peu poussifs ont pu être opérés ici et là lundi 16 mars 2020 dernier en cours de matinée, des pics de consommation étaient attendus ce mardi 17 mars 2020, premier jour de confinement.
Pour autant, la plupart des opérateurs télécoms français et européens se veulent rassurants. Bouygues Telecom a mis en avant que les pleines capacités des réseaux absorbants de forts pics de consommation en soirée sont disponibles en journée, que les métrologies en directe des réseaux sont assurées en lien avec les pouvoirs publics en cas de nécessité d’intervention. La FFTTélécoms (Fédération Française des Télécoms regroupant 17 opérateurs dont Orange, Altice-SFR, Bouygues) met en avant la très faible probabilité d’une saturation des réseaux même si les pics quotidiens vont devenir des hausses continues de la consommation sur plusieurs mois. 15 000 technicien·nes et ingénieur·es sont censé·es assurer une continuité d’activité planifiée en amont.
Dans le cas d’une congestion du réseau mettant à mal le fonctionnement des systèmes de santé, une priorisation des flux peut être opérée par sélection des flux jugés plus essentiels. Ces bridages s’opèreraient sur les services les plus gourmands en bande passante : les jeux vidéos en ligne, le streaming comme l’IPTV [chaînes TV par opérateur], les services OTT [« over the top service », ex : Netflix, myCanal]. Dans pareille situation, une attention toute particulière devra être portée au principe de non-violation de la neutralité du net garantie par les paquets télécoms européens (2015).
Quelques gestes de civisme numérique pour assurer la fluidité des réseaux numériques
Face aux potentiels risques de congestion, quelques règles d’hygiène de vie numérique peuvent être observées :
- Privilégier la connexion des équipements/téléphones à la Fibre (filaire) plutôt que saturer les réseaux mobiles locaux 3G/4G qui risquent l’engorgement : les réseaux fibres sont plus larges. L’aDSL peut être moins « large » que la 4G, en ce sens l’ARCEP a préparé un guide d’optimisation de la box internet afin de séparer correctement les usages professionnels de télétravail et les loisirs numériques. À l’image du périphérique parisien, tout le monde ne doit pas être sur le périphérique 3G/4G en même temps ;
- Ne télécharger que des documents vraiment nécessaires, privilégier les heures de navigations « creuses » de la nuit pour opérer des téléchargements de documents non-nécessaires ;
- Privilégier le visionnage d’œuvres audiovisuelles essentiellement in- plant (disque dur externe, clés usb, dvd/blu-ray etc.), ou après les avoir téléchargées sur un support local, limiter dans la mesure du possible l’excès de streaming (pratique extrêmement consommatrice en bande passante et mobilisant massivement les réseaux) ;
- Séquencer les usages dans la journée quand cela est possible : séquences de loisirs puis de travail. Le streaming vidéo comme YouTube, parallèle aux activités professionnelles, cherchera l’optimisation de son débit en prenant de la capacité pourtant nécessaire aux activités de télétravail ;
- Téléphoner avec la box internet (voix ou SMS sur wi-fi) ;
- Désactiver le flux vidéo (caméra) dans le cadre de conférences à distance afin de réduire son empreinte dans le réseau ;
- Optimiser la qualité du wi-fi en modifiant son emplacement, son environnement (pièce centrale du logement, endroit dégagé et en hauteur, éviter de mettre la box au sol, entre des livres, dans un meuble TV ou prêt de meubles hauts, éloigner la box d’autres équipements sans fils), les paramétrages (privilégier la fréquence 5GHz, privilégier un ordinateur compatible wi-fi 5 ou 6) ;
- Dans certains cas de télétravail, pensez à soulager le réseau de votre institution qui passe en général à travers un proxy et un VPN : quand cela est possible par la politique de l’entreprise, désactiver le VPN, connecter votre ordinateur directement à la box par un câble Ethernet (à faire avec l’accord de votre employeur) ;
- Consacrer un wi-fi à un poste de télétravail dédié aux usages professionnels (VPN de l’employeur) ;
Des usages numériques soulevant des questions politiques
En cette période de confinement Covid-19, les multiples constats opérés autour de nos pratiques numériques appellent à interrogations politiques, éthiques et sociétales :
- Quel crédit accorder aux plateformes foodtech type UberEats comptant en 2018 plus de 10 0000 livreur·ses « partenaires », qui continuent d’exploiter leurs travailleur·ses du numérique. Des travailleur·ses étudiant·es, sans papiers, qui exercent sans cadre protecteur du travail, sans garanties sociales liées à la présomption de salariat, poussés par la précarité à risquer leurs vies pour moins de 4€ net de l’heure dans pareilles conditions de sécurité sanitaire. Quel crédit accorder à Deliveroo qui souhaite continuer à capter sa part du marché de la livraison de repas à domicile estimée à 2,4 Milliards d’euros en maintenant sa plateforme en activité, méprisant l’avis de syndicats et collectifs de livreur·ses à vélo comme le SCALA et le CLAP.
- Quel crédit accorder à cette « économie collaborative » qui externalise ses responsabilités sur la collectivité, avec la complicité du Gouvernement qui publie dimanche 15 mars 2020 sur le site de Bercy un « guide des précautions sanitaires à respecter dans le cadre de la livraison de repas à domicile ». Quel crédit donner à des plateformes de e-commerces comme Amazon, Cdiscount, Fnac.com, persistant leurs activités de livraison dans leurs entrepôts au mépris de la sécurité sanitaire des salarié·es, des client·es, dans un contexte où les librairies physiques - déjà fragilisées - sont lourdement impactées par les politiques de confinement ?
- Quel crédit accorder à un Gouvernement faisant l’apologie du télétravail, mais qui n’a pas résolu le problème de la précarité numérique. L’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) a évalué à 15% la population française touchée par ce fléau en 2016. Pire, le 25 Juin 2019 dernier, le Syndicat de la presse sociale a publié un livre blanc sur l’illectronisme qui recense comme étant dans ce cas 23% de la population française, soit 11 Millions d’habitant·es. L’illectronisme arrache, déconnecte des habitant·es de l’accès à un commun essentiel de nos sociétés développées : la société de l’information.
- Comment permettre aux 15 millions d’élèves actuellement en confinement, n’ayant parfois pas accès à internet, pas accès à un équipement numérique fonctionnel, de pouvoir bénéficier du droit fondamental à l’éducation ? Comment permettre à l’ensemble des personnes âgées, en situation de handicap, migrantes et réfugiées, sans domicile fixe, d’avoir accès aux technologies de l’information et de communication ?
- Quel crédit accorder à des plateformes de réseaux sociaux qui, pour pallier à l’absence de modérateurs physiques durant les périodes de confinement, généralisent davantage encore leur recours à des algorithmes de modération qui accéléreront la censure de contenus ne violant pas les règles d’utilisation ? C’est le cas de YouTube, Facebook, Twitter qui, sans interopérabilité, sans scénarios de confinements et en positions de monopoles, ont dans leur main la responsabilité d’un espace majeur de la démocratie et du débat public, en cette période de crise sanitaire grave où les pays européens se sont réfugiés dans l’espace des réseaux sociaux.
- Quelle place pour le droit à la déconnexion quand la pandémie et le confinement obligent à transposer (quand cela est possible) le collectif de travail dans l’espace numérique, consacrant le phénomène de blurring (confusion entre vie privée et vie professionnelle) ? L’approche substitutionniste du télétravail, mis en avant par le Gouvernement comme une solution à la pandémie, revient par intermittence dans le débat public dans les années 70 puis 90 (L’Informatisation de la société française de Nora et Mink, rapports Théry (1994), Breton (1995) et DATAR/Guigou (1998) sont autant de déterminismes technologiques rédigés afin d’alléger les coûts des entreprises) où la DATAR/DIACT a financé des politiques d’aménagements de télécentres, où des alternatives se sont créées (POLeN en Lozère), Cybercantal). Ce moment offre un terrain d’expérimentation empirique unique pour les communautés scientifiques afin d’observer un processus massif mais pour l’instant ponctuel de télétravail. Les activités de télétravail sont diverses mais s’accompagnent d’une co-évolution avec les mobilités dans l’espace réel. Les échanges de face-à-face signifiant à l’interlocuteur ou l’interlocutrice qu’on lui accorde une attention particulière, répondent au désir de créer des relations d’intersubjectivité partagée ;
- Quelles réponses efficaces apporter face au dimensionnement fragile de certains serveurs, aujourd’hui goulets d’étranglements de services internet majeurs (ex : Éducation Nationale et Index-Education) ? Ne faudrait-il pas concevoir des scénarios de crise plus fins avec davantage de parties prenantes comme l’ANSSI, l’ARCEP, les pouvoirs publics, les entreprises mais aussi la société civile ?
- Quelle place accorder à une meilleure ouverture des données des opérateurs privés concernant le trafic et les degrés de congestion des infrastructures et équipements internet européens et français ?
- Quelle priorisation pour l’aménagement numérique du territoire de la fibre optique, principale infrastructure permettant un raccordement pérenne de l’ensemble du territoire français à la société de l’information ?
- Quel crédit accorder à une entreprise comme Huawei Technologies Co. Ltd. qui, profitant du confinement sanitaire Covid-19, alors que des populations de pays entiers sont plongées dans les réseaux sociaux, émet des publicités sponsorisées sur ces mêmes réseaux afin de faire la promotion de ses technologies 5G ? Des technologies souvent décriées pour les problèmes relatifs aux atteintes à la souveraineté et à l’intégrité de nos données numériques européennes.
- Quel impact environnemental demain pour un secteur, le numérique, qui consomme 10 à 15% de l’électricité mondiale, dont les opérateurs de télécommunications français rejetaient en 2017 plus de 1100 kteqCO2, et dont l’augmentation du trafic via les infrastructures, les usages, les services et objets connectés sera croissante au fur à mesure du temps, aggravée par des épisodes de crises environnementales, sanitaires et sécuritaires ?
Alexandre Schon, Co-animateur du Livret Numérique de la France inoumise. Vous aussi, rejoignez un groupe thématique.