Le 12 novembre 2019, Bastien Lachaud interpelait une nouvelle fois le gouvernement, via le ministre de l’Intérieur, sur les problèmes d’insécurité en Seine-Saint-Denis et sur l’insuffisance des effectifs de la police à Aubervilliers et Pantin. Voici la question :
M. Bastien Lachaud interroge M. le ministre de l’intérieur sur l’insuffisance des effectifs de police nationale déployés à Aubervilliers et Pantin, et plus largement dans le département de la Seine-Saint-Denis. Il lui rappelle que les faits sont amplement documentés et établis – le rapport parlementaire « sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis », remis en mai 2018 par les députés François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo en a apporté encore dernièrement la démonstration irréfutable : les services de police du département souffrent d’un sous-effectif chronique. Certaines communes de Seine-Saint-Denis, comme Bondy et Stains, disposeraient ainsi de moins d’un policier pour 400 habitants, avec un taux de délinquance (nombre de faits constatés pour 1 000 habitants) supérieur à 100 ‰, alors qu’au contraire, avec une délinquance de 70 à 80 ‰, des communes situées dans d’autres départements, comme Étampes (Essonne) ou Gennevilliers (Hauts-de-Seine) bénéficient de plus d’un policier pour 400 habitants. La ville de Saint-Denis compte un policier pour 464 habitants alors que le 18e arrondissement de Paris bénéficie d’un policier pour 315 habitants. Cette situation générale de sous-effectif affecte de façon plus aigüe encore certains services, d’une importance pourtant cruciale dans le département. Ainsi, pour citer encore une fois le rapport de MM. Cornut-Gentille et Kokouendo : « Le service départemental de police judiciaire de la Seine-Saint-Denis devrait disposer de 121 policiers. Il n’en compte que 108 début 2017. Le seuil théorique n’a été atteint et dépassé qu’en 2010 et 2011 (…) au sein de la direction territoriale de la sécurité publique de la Seine-Saint-Denis, les officiers de police judiciaire (OPJ) ne représentent que 9,4 % des effectifs, à rapprocher des 16,9 % à Paris, 12,4 % dans les Hauts-de-Seine et 15,2 % dans le Val-de-Marne. » Pareil contraste signifie ni plus ni moins qu’une situation d’inégalité territoriale et une discrimination de fait pour les habitants de la Seine-Saint-Denis. Il faut encore ajouter à ces considérations d’ordre quantitatif un état des lieux plus qualitatif, l’insuffisance des effectifs étant encore aggravée par le manque d’expérience d’une part importante des personnels affectés dans le département. Le rapport de MM. Cornut-Gentille et Kokouendo montre ainsi que le recrutement des policiers, et particulièrement des gardiens de la paix affectés dans la Seine-Saint-Denis repose « presque exclusivement sur les sorties d’écoles ». Les conséquences d’une telle situation ne sont plus à démontrer : le sous-effectif et le manque d’expérience des fonctionnaires de police affectés dans le département se répercute inévitablement sur la pratique policière et ses résultats, quel que soit le professionnalisme d’agents dont le dévouement n’est pas en doute. Le rapport parlementaire constate ainsi que « les risques de dérapages ou d’incidents sont élevés », dès lors que les fonctionnaires tout juste sortis d’école manquent des réflexes et de la connaissance du territoire indispensable au bon exercice de leurs missions. Il souligne encore le « nombre insuffisant de postes au regard de l’ampleur des affaires à traiter ». Ce sont les fonctionnaires et la population qui font les frais d’une telle situation. Les premiers, travaillant dans un contexte de grande tension et sans les moyens humains et matériels suffisants, sont exposés à une importante souffrance au travail et à des risques psycho sociaux élevés – le suicide d’un policier sur son lieu de travail, au dépôt du tribunal de grande instance de Bobigny, le 9 octobre 2019 (le 53e suicide d’un policier à l’échelle nationale depuis le début de l’année 2019) montre de façon dramatique jusqu’où peut conduire cette souffrance. La population est quant à elle exposée à une insécurité quotidienne et considérablement plus élevée que sur d’autres territoires ; l’insuffisance et l’apparente impuissance des services de police, auxquelles viennent s’ajouter les dérapages auxquels conduit parfois le manque des moyens adaptés, ne peuvent que saper la confiance envers les forces de police. M. le député a pu encore faire le constat récemment dans sa circonscription, à l’occasion d’une rencontre avec les habitants du quartier du Montfort à Aubervilliers, théâtre d’une insécurité quotidienne et croissante, dont témoigne notamment la séquestration d’une habitante de 86 ans en juillet 2019, fait marquant parmi une série de cambriolages et d’agressions de rue. M. le député tient à rappeler à M. le ministre les engagements pris par le Gouvernement suite à la remise du rapport parlementaire de MM. Cornut-Gentille et Kokouendo, en mai 2018. À l’occasion d’une rencontre avec les parlementaires de la Seine-Saint-Denis le 26 septembre 2018, M. le Premier ministre avait lui-même indiqué partager le constat établi par le rapport parlementaire, et s’était engagé à ce que l’État entreprenne un effort significatif. Régulièrement répété depuis lors, cet engagement reste pourtant lettre morte à ce jour. Des comités de suivis du rapport parlementaire, réunissant parlementaires, élus locaux et représentants des services de l’État, ont été réunis pendant plusieurs mois sous l’égide de la préfecture de la Seine-Saint-Denis. Les moyens budgétaires et humains qui devraient être déployés manquent cependant toujours à l’appel, dans le domaine policier tout comme dans les autres champs d’intervention de l’État – le projet de loi de finances pour 2020 en fournit la démonstration éclatante. M. le député tient encore à souligner que les dispositifs d’ores et déjà mis en œuvre par le ministère de l’intérieur ne sont, du fait de leur caractère ponctuel, pas à la mesure des besoins ni à même de compenser l’abandon dont le département de la Seine-Saint-Denis a été victime depuis des années de la part de l’État. Ce constat vaut tout particulièrement pour le dispositif dit des « quartiers de reconquête républicaine » (QRR), vocable qui renvoie à des opérations de renforcement des moyens policiers ciblant une zone géographique particulière. Si un renforcement des moyens humains dont disposent les services de police est naturellement le bienvenu, celui-ci demeure insuffisant. D’une part, les effectifs déployés demeurent limités : ainsi, en 2019, 274 policiers qui auraient été déployés dans toute la France dans le cadre des QRR, dont 110 en Île-de-France. L’on mesure aisément l’écart entre ces chiffres et les besoins réels. D’autre part, le ciblage géographique des moyens limite l’action des effectifs déployés. M. le député le constate à Aubervilliers, où la vingtaine de policiers supplémentaires affectés dans le cadre du QRR concentrent leur activité sur les quartiers des Quatre Chemins et de la Villette, ce qui a pour effet de déplacer une partie des activités délictueuses dans d’autres secteurs de la ville, diminuant l’impact de la mesure sur la sécurité globale. Des moyens autrement plus substantiels et des méthodes et une doctrine d’emploi différentes semblent requis, sous peine de voir les mesures manquer d’un impact durable et sensible sur le quotidien des habitants. M. le député attire enfin l’attention de M. le ministre sur le fait que les mesures strictement policières, si elles sont utiles, ne peuvent à elles seules suffire à résorber l’insécurité. C’est dans un contexte général de détricotage du maillage des services de l’État, de démantèlement des services publics et de mise à mal du tissu social, fruit de décennies d’insuffisance des politiques publiques, que l’insécurité a pu s’installer et prospérer. La résorber durablement suppose donc, au-delà des mesures indispensables à court terme, de refaire ce qui a été défait, et de redonner à la puissance publique les moyens d’agir en Seine-Saint-Denis, ainsi que le recommandait le rapport parlementaire de MM. Cornut-Gentille et Kokouendo. C’est un plan d’urgence qui serait nécessaire, dans les domaines de la police, mais aussi dans ceux de la justice, de l’éducation, du logement, de la santé. C’est pourquoi il souhaite apprendre de sa part les mesures précises qu’il compte prendre pour renforcer dans les meilleurs délais les moyens policiers dans le département de la Seine-Saint-Denis, et plus largement pour assurer la sécurité des habitants. Il souhaite savoir si le Gouvernement compte continuer d’ignorer encore longtemps les besoins du département ou s’il compte enfin tenir ses promesses et mettre en œuvre rapidement et énergiquement toutes les mesures qui s’imposent afin de restaurer l’action publique en Seine-Saint-Denis et de mettre un terme à l’abandon inacceptable dont les habitants du département sont victimes.