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Edito | Le gouvernement ne prend pas ses responsabilités

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Tous les prétextes sont bons pour faire des économies sur le dos des services publics. Non content de proposer des budgets au rabais pour l’Education, la recherche, la solidarité & la santé, le logement, les finances publiques et même l’écologie, le gouvernement a décidé de s’attaquer aux organismes ministériels embauchant moins de 100 personnes. Comme le laissait supposer la circulaire du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail, le Projet de Loi de Finances 2020 prévoit la disparition de plusieurs instances et commissions rattachées aux administrations centrales.

Ainsi dès le 1er janvier prochain, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sera amputée du quart de ses effectifs. Créée en 2002, cette instance avait été mise au service des ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Santé, de l’Economie et Finances, de l’Education nationale, et des Affaires étrangères. Elle a su démontrer son efficacité pour lutter contre les diverses formes de dérives sectaires, qui sont en nette augmentation ces dernières années, et qui concernent des centaines de milliers de nos concitoyen·ne·s. Elle sera désormais fusionnée avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), qui est rattaché au ministère de l’Intérieur. Alors que l’Église de Scientologie investit 33 millions d’euros dans des locaux de 7.000 mètres carrés à Saint-Denis, le gouvernement lui, fait le choix de dissoudre la Miviludes…

Le Premier Ministre a aussi annoncé la suppression fin 2020 de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), qui existe depuis 1989. L’INHESJ abrite entre autres l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), dont les publications régulières permettent de faire la part des choses entre la réalité et les fantasmes, en ce qui concerne les crimes et délits commis dans notre pays. Le rapport annuel “Cadre de vie et sécurité” permet par exemple de relever que le nombre de personnes de plus de 14 ans déclarant “renoncer souvent ou parfois à sortir seules de chez elles pour des raisons de sécurité” a augmenté de 12% entre 2007 et 2018. Mais il permet aussi de constater que ce sentiment d’insécurité n’a aucun rapport avec la réalité des faits, puisque le nombre de vol avec violence ou menace a diminué de plus de 40% sur la même période, et qu’il y a 13,4% d’agressions physiques en moins depuis 2006.

Mais ce qui est sans doute plus indécent encore, c’est la décision de supprimer l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, qui depuis plus de 20 ans travaille sur les politiques d’insertion, le mal-logement, la vie sociale des familles, des salarié·e·s, ou encore la pauvreté des enfants. Le dernier rapport de 2019 sur les inégalités en France met en évidence l’augmentation du taux de pauvreté ces dix dernières années. La précarité des emplois a constamment augmenté et un·e français·e sur quatre est concerné·e aujourd’hui. En 2016, notre pays comptait 5 millions de personnes vivant avec moins de 900€ par mois, 10% les plus riches percevant près d’un quart des richesses crées après redistribution, leur espérance de vie étant supérieure de 12,7 ans à celle des plus pauvres.

Avec la suppression de ces organismes d’études statistiques et de contrôle des politiques publiques, le gouvernement démontre une fois de plus qu’il préfère mettre la tête dans le sable plutôt que de prendre ses responsabilités et relever les nombreux défis auxquels nous devons collectivement faire face. Et son attitude vis-à-vis des questions internationales n’est pas plus glorieuse…

Ces dernières semaines en effet, nous avons eu à déplorer l’attitude timorée du Président de la République et de ses Ministres dans l’affaire des Kurdes de Syrie. Les combattant·e·s du Parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie ont joué un rôle déterminant dans la victoire contre l’Etat Islamique en Syrie. Leur contribution ne se limite pas à des victoires militaires, mais concerne aussi le progrès social et écologique dans la région, qui est déterminant dans la lutte contre toutes les formes d’obscurantisme.

Depuis 2016, les Kurdes de Syrie avaient mis en place, dans les territoires repris à Daesh au pris du sang de leurs frères et sœurs, un système fédéral démocratique. Dans cette région du Nord de la Syrie, baptisée le Rojava, ils expérimentaient depuis un peu plus de 3 ans une forme de confédéralisme démocratique très fortement inspirée des travaux de Murray Bookchin, théoricien américain de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire décédé en juillet 2006. Leur constitution, établie dans un État sans frontière, reposait sur des principes démocratiques, écologiques, socialistes et laïques, uniques dans la région, sinon dans le monde. 

Mais le président turque Erdogan n’a que faire des velléités d’indépendance des Kurdes de Syrie, qu’il considère comme une menace terroriste au même titre que les membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les américains étaient parfaitement au courant de cette situation lorsqu’ils ont pris la décision de retirer leurs troupes de la région, exposant leurs allié·e·s Kurdes aux frappes d’Ankara. Et le 9 octobre, la Turquie a pu lancer son opération Source de paix, une attaque brutale contre le PYD, destinée à les faire reculer de 30km sur plus de 400km le long de la frontière. 

Les pays membres de l’Union Européenne, dont la France, ont protesté timidement contre cette violation de la souveraineté Syrienne mais se sont rapidement couchés devant la menace d’Erdogan d’ouvrir la voie à 3,6 millions de réfugié·e·s syrien·ne·s, désirant rejoindre l’Europe. Les pseudo-sanctions économiques prononcées contre la Turquie, comme l’arrêt des exportations d’armes, n’étaient pas de nature à contraindre la Turquie à interrompre son offensive.

L’attaque sur le Rojava a déplacé plusieurs centaines de milliers de personnes, et on dénombre au moins 70 civils tués et 250 blessés, sans parler des pertes militaires. Devant la puissance de l’armée turque, les vaillant·e·s combattant·e·s des forces démocratiques syriennes ont dû reculer. Ce sont les Russes qui sortent véritablement vainqueurs de cet épisode dramatique, pour avoir permis l’adoption le 22 octobre d’un accord entre Damas et Ankara pour le contrôle commun d’une large partie de la frontière turco-syrienne, annihilant pour de bons les espoirs d’autonomie des Kurdes syriens.

Toute cette affaire devrait nous interroger sur la participation de la France à l’OTAN. Comment pouvons-nous encore parler d’alliance, lorsque deux de ses membres éminents prennent des décisions unilatérales qui nous menacent directement ? Le premier, les Etats-Unis, a décidé d’abandonner aux turques nos précieux alliés Kurdes, qui détenaient dans leurs geôles des milliers de soldats de l’Etat Islamique, prenant le risque de les voir se volatiliser dans la nature. Le second, la Turquie, a enfreint toutes les lois internationales : il a attaqué un État souverain (la Syrie), il a lancé l’assaut du Rojava, et il a bombardé nos soldats postés à Kobane, dans la région Mashta Nour, blessant grièvement deux membres des forces spéciales. Pourtant ni le Président de la République, ni son gouvernement ne semblent prêts à remettre en cause notre participation à l’OTAN à la suite de ces événements gravissimes. Même si cette trêve est fragile…

Face à l’incurie de nos dirigeants, d’importants mouvements populaires de protestation déferlent sur les avenues du monde entiers. Des gilets jaunes, qui fêteront très prochainement leur premier anniversaire, aux manifestations de masse au Chili, en passant par les mobilisations citoyennes à Hong Kong, au Liban, en Irak, en Egypte, en Equateur, etc. partout les peuples se lèvent pour dénoncer les abus de pouvoir et les inégalités croissantes. Partout ils réclament la liberté, la dignité et la justice sociale.

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