Allocution de Jean-Luc Mélenchon le 19 février 2019 à l’Assemblée nationale.
Vous trouverez ci-dessous la retranscription de cette intervention, relue et corrigée :
Mesdames, Messieurs,
Merci d’avoir répondu à notre invitation.
La journée est assez exceptionnelle pour justifier un rendez-vous comme celui-ci.
Elle va être marquée par des rassemblements de lutte contre l’antisémitisme. Au point de départ, il s’agissait d’une convocation faite par le Parti socialiste sur la base de faits détestables qui avaient été constatés : des tags et diverses autres mauvaises actions. Ensuite la publication d’une statistique par le ministère de l’Intérieur faisant apparaître une progression des plaintes contre des actes antisémites. Enfin, depuis ce week-end, un événement lamentable autour de la présence de l’académicien Finkielkraut.
En ce qui concerne les faits, en tenant compte naturellement de la nécessité d’être toujours prudent lorsqu’on ne connaît pas leurs auteurs réels, il faut les prendre au sérieux. Ils sont concomitants, nombreux et assez choquants pour qu’on ait tous le sentiment qu’une fois de plus notre société mise sous tension fasse jaillir de ses rangs des bouffées, certes isolées mais significatives, de cette vieille et horrible habitude de désigner des boucs émissaires.
La statistique doit être prise elle aussi au sérieux parce qu’elle est recoupée par nos propres observations.
L’événement survenu autour de M. Finkielkraut appelle la condamnation la plus nette et la plus ferme. Je ne m’en tiendrai pas à cette déclaration générale à ce sujet. Je veux, pour être utile au combat que nous menons contre l’antisémitisme, rappeler de quoi il s’agit. L’honneur exige que l’on attribue à ses adversaires politiques le bénéfice des principes dont on se réclame soi-même. Quelles que soient les opinions détestables de M. Finkielkraut, quand il est injurié, pris à parti comme il l’est, ce ne sont pas ses opinions que nous voyons mises en cause. C’est son retrait de l’humanité que nous avons en commun, au motif de sa religion supposée ou de ses appartenances. Par conséquent, cela est inacceptable. Et ce n’est pas parce que c’est un fait parmi d’autres que cela en fait un fait mineur. Chaque occasion qui permet de le rappeler est la bonne.
La lutte contre le racisme est un tout. Son fondement philosophique est que nous sommes tous semblables. , tout ce qui distingue du fait de la couleur de peau, de la religion ou du genre, et enferme et assigne à résidence en quelque sorte quelqu’un dans cette définition est condamnable. Parce qu’il nie justement cette part que nous avons en commun : nous sommes tous des êtres humains. Et par conséquent, comme nous sommes tous des êtres humains « semblables », nous sommes donc égaux en droits. C’est le fondamental de l’appartenance à la philosophie des Lumières dont tout le monde se réclame parmi nous.
Pour que cette lutte soit efficace, elle doit être sans exception et d’une égale intensité. Trop souvent les noirs, les arabes, les musulmans, parfois même les chrétiens, beaucoup les homosexuels et souvent les femmes, du fait des injures sexistes, sont mis ici ou là, comme dans un acte qui se voudrait naturel, au ban de l’humanité commune. C’est la raison pour laquelle, compte tenu de la concomitance très étroite qu’il y a entre le principe philosophique d’égalité que je viens de décrire, et les circonstances historiques qui nous ont montré à quoi conduit la négation de ces principes, d’un côté à l’esclavage, de l’autre côté à la Shoah, et pour bien d’autres événements de même nature, il est important de dénoncer aussi toute instrumentalisation politique - et pour mieux dire politicienne - de la lutte contre le racisme, de la lutte contre antisémitisme, etc. Et nous avons le sentiment d’être en plein dedans, c’est extrêmement dangereux.
Nous n’allons pas simplement nous contenter de protester contre l’attitude imbécile de celui-ci ou de celle-là qui croit trouver dans ces circonstances une occasion favorable, peut être avec des visées électorales à mon avis parfaitement vaines, de nous flétrir, de nous insulter, nous, les insoumis, et tout autant le mouvement des Gilets jaunes. C’est une tragique erreur. Contre-performante, parce qu’elle laisse entendre qu’au fond, la lutte contre l’antisémitisme pourrait n’être que le faux nez des manœuvres du pouvoir et de ses suppôts. La lutte contre l’antisémitisme, la lutte contre le racisme, est une lutte fondamentale de l’humanisme dans lequel nous sommes engagés. On ne peut pas jouer avec ça. Chaque fois que quelqu’un serait convaincu, peu importe par quel biais, que cette lutte n’a pas ce caractère absolu, alors on peut dire que c’est un mauvais point qui aura été marqué.
Alors, disons les choses comme elles sont. Non, la France n’est pas un pays raciste. Non, la France n’est pas un pays antisémite. Il y a en France la proportion d’imbéciles, de racistes et d’antisémites qu’il y a parmi tous les groupes humains dans le monde. Peut-être moins, du fait de l’impact permanent sur notre culture nationale, des effets de la grande Révolution de 1789. Non, le mouvement des Gilets jaunes ne mérite pas d’être assimilé aux actes détestables que chacun a pu voir, revoir et revoir encore. Non, le mouvement des Gilets jaunes n’est pas un mouvement raciste. Non, le mouvement des Gilets jaunes n’est pas un mouvement antisémite. Non, le mouvement des Gilets jaunes n’est pas un mouvement homophobe.
C’est la raison, d’ailleurs, pour laquelle cette circonstance me permet de répéter au nom de tous mes camarades notre parfaite solidarité avec ce mouvement. Nous partageons l’exigence avec ses principaux porte-paroles de ce que les pires éléments c’est-à-dire les racistes et les antisémites qui s’y trouvent comme il s’en trouve partout, ne s’approprient pas le mouvement Gilets jaunes. Et nous leur demandons instamment de ne plus s’abandonner à leurs détestables habitudes qui nous salissent tous.
Enfin : non, La France insoumise n’a pas, comme l’a dit stupidement un député de La République En Marche, une racine antisémite. Il y a assez d’antisémites. Il est inutile d’en inventer.
S’agissant de nous, cette accusation est spécialement douloureuse. Non seulement parce que, ainsi qu’en atteste cette tribune, nombre d’entre nous ont eu à connaître des discriminations raciales, homophobes et autres. Par nos personnes, nous sommes évidemment du côté des victimes et non du côté des bourreaux. Nous le sommes tout autant par notre philosophie.
En toutes circonstances, on ne peut être raciste et membre de la France insoumise. Pour la raison que le fondamental philosophique de la France insoumise, c’est l’appartenance commune et égale à l’Humanité. C’est ainsi depuis 1789. Nous ne sommes d’aucune façon liés à ceux qui ont toujours dit que l’inégalité étant dans la nature, les régimes politiques qui prétendraient à l’égalité seraient toujours des violences faites à la nature. Nous tenons le propos exactement inverse : nous pensons que tous les êtres humains sont semblables et donc égaux en droits. C’est ceci qui justifie la lutte pour l’égalité sociale, la lutte pour l’égalité démocratique, la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes et ainsi de suite. C’est la raison pour laquelle, par exemple, on nous aura trouvés parmi les premiers initiateurs du droit au mariage pour tous sous la forme du PACS en 1991. Non pas que nous ayons un appétit particulier pour le mariage mais parce que nous pensons que chacun a un droit égal à celui des autres à vivre sa vie comme il l’entend et à la célébrer par les rituels communs.
Nous sommes donc, à l’inverse, absolument purs et exempts de quelque trace que ce soit de pensées discriminatoires, au contraire de ceux qui pensent qu’il existe dans les gares des gens qui ne sont rien à côté d’autres qui ont réussi leur vie. Nous sommes absolument purs et sans tache de pensée discriminatoire au contraire de ceux qui pensent qu’il est logique que les uns triment tandis que les autres jouissent. Le lien intime entre la lutte pour l’égalité entre les êtres humains et la lutte pour l’égalité sociale est un fait constant depuis les origines du mouvement auquel nous appartenons.
Enfin, nous sommes exempts, parce que notre mode d’action nous interdit de faire le tri entre ceux que nous appelons à l’action. Tout au contraire : quand on se réclame d’une action sociale commune, on ne fait aucune différence entre les genres, les religions, les couleurs de peau… L’union des opprimés, l’insurrection des humiliés exclut les discriminations entre eux.
Après avoir dit cela, nous voyons à l’instrumentalisation politicienne qui est faite de la lutte contre l’antisémitisme une raison sordidement liée à l’actualité.
Le pouvoir a d’abord cru qu’il parviendrait à diluer l’insurrection citoyenne des Gilets jaunes dans le grand débat. L’échec évident de cette manoeuvre s’est constaté encore samedi dernier. Cela l’amène à vouloir, abondé par des aboiements irresponsables, à un déport de toute l’attention politique du pays. Et comme personne ne prendrait le risque de dire que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme n’est pas fondamentale, il espère qu’on vienne à parler d’autre chose que de ce qui déchire vraiment le pays, entre ceux qui soutiennent l’insurrection et ceux qui l’affrontent. Il est pénible pour nous de voir tant de beaux esprits s’attrouper et exprimer de la compassion en face d’actes, de paroles, de peintures et n’avoir pas un mot de compassion pour ceux qu’ils ont mutilés, éborgnés, blessés, jugés à la chaîne et dont ils ont détruit les pauvres vies réelles.
Ce soir, nos amis insoumis participeront partout aux rassemblements qui vont se faire, aux différents endroits du pays et sous des formes différentes. À Paris, il y aura une délégation, évidemment, du groupe des insoumis sur la Place de la République - je parle du groupe parlementaire mais aussi des insoumis et des dirigeants du mouvement.
Nous ne sommes pas des naïfs. Nous avons le cuisant souvenir de la marche pour Mireille Knoll. Hélas ! Alors même que le groupe de la France insoumise avait appelé, comme tous les groupes de l’Assemblée nationale et sous l’autorité du président de celle-ci, à se joindre à cette marche avec l’approbation du fils de la victime, nous avons été agressés par la Ligue de Défense Juive. Après s’être livré à toute sorte d’insultes sexistes contre nos camarades femmes, à toute sorte d’injures homophobes et à toute sorte de cris de haine, ils ont créé une ambiance telle qu’aucune des autorités présentes n’a pris sur-le-champ notre défense. Au contraire, le commissaire Mizerski, chargé à la préfecture de police des liens avec Monsieur Benalla et la présidence de la République, nous a demandé de quitter le cortège. Et c’est nous, onze parlementaires en écharpe, qui avons été chassés. À l’époque, certains avaient pensé que c’était une belle occasion de nous flétrir : ils ont mis le doigt dans un engrenage qui finira par les déchirer eux-mêmes un jour. Il n’y a pas de petits crimes contre le caractère sacré de la personne du député. Sacré comme, depuis 492 avant notre ère, le sont les tribuns du peuple pour ceux dont la culture est insuffisante sur le sujet pour savoir en quoi consiste le mot « sacré ».
Les représentants du peuple ne peuvent être ni molestés, ni éjectés d’une quelconque réunion ou rassemblement dans lequel ils se trouvent.
Tout simplement parce qu’ils sont les représentants du peuple, ainsi que l’atteste le port de l’écharpe tricolore dans cette circonstance. Nous demandons donc à Monsieur Castaner d’assurer la protection et la sécurité des membres de notre groupe qui seront présents ce soir place de la République. Je rappelle que cinq d’entre nous sont sous menace de mort. Je rappelle que quatre des personnes, qui ont été emprisonnées pendant plus d’un an et qui comptaient me tuer avec un lance-flammes, ont été libérées. Sur les dix qui ont été mis en prison, quatre ont été libérés et six y sont encore. Nous faisons l’objet de menaces de mort qui ont été renouvelées depuis hier dans le cas où nous participerions à la manifestation de ce soir. Je demande donc solennellement au ministre de l’Intérieur que cette fois-ci, ce soient les voyous qui soient chassés et non pas les représentants du peuple.
J’achève par, en quelque sorte, un appel que seuls les insoumis peuvent lancer :
Notre pays est divisé. Il est divisé par une insurrection citoyenne. C’est cela le sujet qui doit être aujourd’hui réglé. Mais il ne faut pas accepter que cette division donne lieu à un climat de violence, qui passe de la violence physique à présent à la violence morale, à la violence psychologique. Au point que des petits procureurs improvisés montrent du doigt les uns et les autres, décernent des brevets d’honnêteté dans la lutte contre l’antisémitisme ou pas. C’est insupportable. C’est très dangereux. J’appelle donc ceux qui sont à l’état de le faire comprendre, à ceux qui s’abandonnent à ces jeux, de leur dire : il faut arrêter. Trouvez d’autres sujets de confrontation. Trouvez d’autres sujets pour flétrir, que celui-là. Nous avons l’occasion, me semble-t-il, de nous rassembler sans arrières pensées. En tout cas ceux qui entendent nos messages.
Le 16 mars prochain, nous sommes appelés à une immense manifestation nationale, comme conclusion de cette étape du mouvement des Gilets jaunes. Le même jour nous sommes appelés à une marche pour la défense du climat. Et celle-ci est porteuse d’un très grand symbole qui, au fond, atteste de notre victoire intellectuelle dans l’histoire. Et oui : il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine. Et oui : il n’y a qu’un seul climat qui rende possible la civilisation telle que nous la connaissons. Dès lors, oui il est prouvé que nous sommes tous semblables.
Cette approche de l’écologie politique, de la bataille contre le dérèglement climatique et, disons-le, de la bataille pour assumer les conséquences de ce dérèglement, nous rappelle que les êtres humains sont tous semblables. Égaux en droits, semblables en besoins. Dès lors, il est possible de se réconcilier, en participant tous à ces deux démonstrations : l’une, qui proteste contre l’inégalité sociale et la condition indigne qui est faite à une part si conséquente de la population de ce pays, plongée dans la pauvreté et la précarité. L’autre, nous rappelant que nous avons en commun ce beau ciel bleu quand il est bleu, cette terre, cette eau, qui seuls rendent notre vie commune possible.