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FAKE NEWS : vers la mise en place d’un « Ministère de la Vérité ou de la Censure »

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Présentation par Michel LARIVE de la motion de rejet du groupe parlementaire de la France Insoumise, au texte de loi visant à lutter contre la manipulation de l’information :

« Sur la forme, notre arsenal législatif répondait déjà aux injonctions que vous formulez dans votre texte de loi. Ainsi, la loi de 1881 sur la liberté de la presse prévoit déjà des sanctions contre les fausses nouvelles. Son article 27 stipule, en effet, que « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros ».

Sur le fond maintenant, je confirme l’inutilité finale de votre texte puisque vous ne considérez qu’une partie du champ de diffusion de l’information. L’ensemble du réseau internet est épargné. Vous pourriez par exemple légiférer pour contraindre les GAFAM à coopérer plus étroitement avec la justice, notamment pour permettre d’identifier les auteurs de fausses nouvelles. Actuellement les hébergeurs échappent à la loi de 1881 et ne sont pas responsables pénalement des publications qu’ils diffusent, contrairement aux médias traditionnels. 

Enfin, sur le parcours législatif de votre texte, vous vous êtes embourbés dans une histoire qui ne semble jamais vouloir finir. Entre temps, le rapporteur du texte a même eu le temps de devenir président de l’assemblée nationale. Vous-même Mr Riester, vous déclariez au printemps dernier : « Ce n’est pas à travers cette loi qu’on va régler tous les problèmes, loin s’en faut » et vous êtes devenu ministre de la culture. Voulons-nous de cette loi inutile et dangereuse pour les libertés fondamentales. Questionnez-vous chers collègues de la République En marche. Ayez l’audace d’abandonner cette lubie passagère de l’exécutif.

A force de discours nous avons convaincu madame la Ministre de la culture de l’époque, Françoise Nyssen, de créer un Conseil Déontologique des Médias. Ce conseil pourrait résoudre efficacement les problèmes que vous avez soulevés, sans menacer la liberté d’expression et en respectant l’intelligence des citoyens, si bien sûr il a les moyens de nos ambitions communes. Nous sommes disponibles pour vous apporter notre expertise et pour faire avancer positivement la législation en la matière.

Votre texte cible avant tout les entreprises médiatiques étrangères, particulièrement russes, en occultant le fait que les entreprises « susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » peuvent tout aussi bien se trouver sur notre territoire. En effet, les groupes qui possèdent actuellement les médias en France, servent avant tout leurs intérêts propres. 

Souvenez-vous du jour des attentats de Carcassonne et de Trèbes, perpétrés le 23 mars dernier. BFM TV diffuse une fiche informative sur l’auteur des faits, sur laquelle il est écrit qu’il a été naturalisé français en 2015, soit moins d’un an après avoir été fiché S par nos services de renseignement. En réalité, il a obtenu sa nationalité en 2004. Cette grossière erreur, indigne de journalistes professionnels, déclenche immédiatement une vive polémique sur les réseaux sociaux, et provoque à juste titre l’indignation d’un nombre important de nos concitoyens et de nos concitoyennes. L’information n’est corrigée que le lendemain matin par BFM, et aucun communiqué explicite concernant l’erreur de la veille n’est diffusé par la chaîne. La directrice de la rédaction ne présentera que de modestes excuses le lundi, par le biais d’une déclaration à l’AFP, mais le mal est fait et l’indignation perdure.

Si l’influence que peuvent exercer les médias sur les citoyens pendant les périodes électorales inquiète tant le gouvernement, pourquoi les mesures envisagées ne ciblent-elles que les médias étrangers ? Si l’on considère que certains médias peuvent manipuler l’opinion publique pour favoriser l’élection de tel ou tel candidat, pourquoi ne pas étendre ces mesures aux médias nationaux ?

J’aimerais rappeler, que si les tentatives de manipulation politique par voie médiatique exercées par la Russie sont plausibles, mais toujours non prouvées, il serait sage de nous soucier aussi des cas de manipulation avérés orchestrés par certains de nos alliés, pour servir leurs ambitions internationales. Il faut se souvenir de la fable des armes de destruction massive détenues par Saddam HUSSEIN en 2003. Ce mensonge d’État, repris par tous les médias internationaux, servi de prétexte à la seconde guerre du golfe qui fit plus de 150.000 morts.

« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. » Voici ce que Jean JAURES déclarait lors du lancement du journal « l’Humanité » le 18 avril 1904. C’est de cela que la représentation nationale devrait d’abord se préoccuper. Renforcer la liberté d’expression au travers de la liberté de la presse, lui accorder par le renforcement d’une éthique journalistique, tout le crédit que nous voulons lui reconnaître. Voilà qui donnerait du sens à notre action au service de notre démocratie !

Tandis que la noble tradition journalistique voulait qu’on ne diffusât jamais une information sans l’avoir scrupuleusement vérifiée, la dictature de l’instantanéité a fini par imposer une forme de mimétisme médiatique systématique, qui confine nombre de journalistes, au rôle de répétiteur. 

Désormais une information en chasse une autre. Il faut être « dans le coup » ou bien disparaître. Il n’y a plus le temps pour les contre-enquêtes sérieuse, ni l’argent d’ailleurs. Il est fréquent que les journalistes ne disposent que de quelques heures pour développer un argumentaire sur un sujet qu’ils découvrent le jour même. La majorité des médias commentent les événements selon la même grille d’analyse et une poignée d’experts répètent inlassablement la même litanie libérale dans les colonnes de nos journaux, et sur tous les plateaux de télévision et de radio ayant les plus grandes audiences.

La diversité des points de vue n’existe pas quand la plupart des grands médias prennent ouvertement position en faveur de la réforme ferroviaire proposée par le gouvernement et font preuve d’une hostilité certaine envers les mobilisations sociales. Les experts se succèdent pour expliquer que la réforme est « inéluctable », qu’elle permettra l’amélioration du service, que les soit disant « privilèges » des cheminots ont creusé la dette vertigineuse de la SNCF. Parallèlement les opposants au projet n’ont pas la possibilité de développer leurs arguments, ils sont systématiquement malmenés sur les plateaux, on les accuse d’être des « preneurs d’otages », on leur reproche de « paralyser le pays ».

Pouvons-nous parler de manipulation médiatique ou devons-nous simplement déplorer l’uniformisation des points de vue ? Ce qui est certain c’est que des cas de manipulation existent. Ces manœuvres prennent la forme de discours tronqués, et par les choix opérés dans la sélection des images, dans la présentation des faits. Il nous faut admettre ce constat que le pluralisme des médias n’est pas un fait établi, et que dans l’ensemble, nous vivons « en état d’insécurité informationnelle », pour reprendre l’expression d’Ignacio RAMONET.

L’information spectacle prend souvent le pas sur le récit et l’analyse rigoureuse des événements. La mise en scène et le soin porté à l’image remplace alors l’authenticité et l’exactitude des faits rapportés. Nous devrions tous déplorer que la marchandisation de l’information se soit opérée au détriment de sa fonction civique. Était-ce si invraisemblable que personne n’aie su l’anticiper ?

Au royaume des images qui se succèdent en cadence, il n’y a de place ni pour les idées abstraites, ni pour la mémoire. Désormais seuls les chiffres de l’audimat comptent, comme l’illustre un ancien PDG du groupe TF1, dans un entretien tiré d’un ouvrage intitulé « Les dirigeants face au changement », paru en 2004. « À la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit », affirmait-il alors. Reconnaissez mes chers collègues, que dans ce contexte, la pertinence et la fiabilité des informations n’est pas garantie, puisque l’objectif poursuivi par les entreprises de la presse et de l’audiovisuel n’est plus d’informer convenablement la population, mais de vendre des créneaux publicitaires à des annonceurs.

Comme l’affirmait un grand sociologue, nous devrions collectivement nous insurger contre les diktats de l’audimat, au nom de la démocratie, car les exigences de cet outil commercial sont à la culture ce que les sondages d’opinion sont à la politique. Ces sondages dont on ne connait pas les méthodes de redressement et dont la diffusion influence véritablement l’orientation de votes de nos concitoyens et de nos concitoyennes, lors des élections dans notre pays.

Il faut admettre aussi, que la concentration toujours plus importante des médias dans les mains de grands groupes industriels et financiers nuit grandement au pluralisme. Ces mastodontes de l’économie de marché, outre le fait qu’ils sont peu enclins à questionner le modèle socio-économique dans lequel ils s’inscrivent, sont presque tous plus ou moins dépendants de contrats passés avec l’État et les collectivités locales. Ils ont donc intérêt à soigner leurs relations avec le pouvoir politique, lorsque celui-ci peut servir leur cause. Ils peuvent aller jusqu’à influencer l’opinion publique dans le but de faire élire le candidat qui leur correspond le mieux.

Si ces grands groupes ont intérêts à pratiquer la plus grande proximité avec le pouvoir en place, ils disposent de par leur mainmise sur les médias d’un puissant moyen de pression. La maîtrise de l’information octroie aux propriétaires des grands médias un pouvoir d’influence incontestable sur la sphère politique. « Il y a des choses qu’un gouvernement ne fera pas à Bouygues sachant que Bouygues est derrière TF1 » écrivait très justement Pierre Bourdieu.

Ce n’est pas une découverte : l’accès à l’information et son contrôle ont toujours été des instruments majeurs du pouvoir et donc un enjeu capital. C’est vrai pour les États. C’est vrai aussi pour les entreprises. Si l’État œuvre en principe avec le souci du bien commun, il arrive en revanche fréquemment que la recherche du profit pour une entreprise privée ne coïncide pas du tout avec l’intérêt du plus grand nombre. Il n’a échappé à personne ici, je suppose, que rumeurs et fausses nouvelles ont toujours circulé de par le monde. Combien d’émeutes populaires et de coup de force politique tirent leur origine de rumeurs savamment distillées dans l’esprit des foules ? Assurément les « fausses informations » n’ont pas attendu l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux pour se répandre.

D’autre part, vous en conviendrez aussi, il n’a jamais été aussi facile et rapide de vérifier une information aujourd’hui, grâce aux progrès techniques. Bien avant le développement du « fact-checking » et de sites tels que « HoaxBuster » ou « CrossCheck », il était déjà possible pour n’importe quel internaute de se faire une idée du degré de sérieux d’une information trouvée sur le Web, en effectuant quelques recherches, et de déjouer facilement la majorité des rumeurs qui circulent sur la toile.

Ce qui semble caractériser notre époque c’est d’abord la perte de confiance de nos concitoyens et de nos concitoyennes envers les professionnels de l’information. Ce n’est pas tant que les gens se désintéressent des évènements, ni qu’ils dédaignent la connaissance, mais plutôt qu’ils remettent en cause, l’impartialité des grands médias. Beaucoup cherchent au contraire à s’émanciper de l’information « pré-formatée » et s’enquièrent de tous les sujets qui les préoccupent. Cependant, bien que cette aspiration à connaître les choses par soi-même soit des plus saines, ne s’improvise pas enquêteur qui veut. Il n’est pas toujours chose aisée de séparer le bon grain de l’ivraie.

Depuis des années, de très nombreux journalistes déplorent la dégradation de leurs conditions de travail et appellent de leur vœux les changements qui leur permettraient de renouer véritablement avec l’idéal de leur profession. C’est une des raisons pour lesquelles nous, parlementaires de la France insoumise, nous appelons à un renforcement de la protection et du secret des sources des journalistes, très largement insuffisante dans notre pays. Car « s’il n’y a pas de protection des sources, les sources se tarissent, et donc il n’y a pas d’information » selon Louis-Marie HOREAU, rédacteur en chef du Canard enchaîné.

Vous désirez l’extension des pouvoirs accordés au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, ce qui peut s’apparenter à une atteinte directe à la liberté d’expression. Il serait désormais possible pour cette entité ainsi renforcée, de décider quelles sont les « vraies » informations et les « fausses », définies dans votre projet de loi comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables, de nature à la rendre vraisemblable ». Ceci nous semble être une définition suffisamment large pour que toutes diffusions d’oeuvres artistiques, par essence subjective, puissent être considérée comme une fausse information et donc prohibées. Il suffirait pourtant que le CSA applique les prérogatives qui lui sont attribuées, et sanctionne comme il en a les moyens les médias contrevenants à l’éthique journalistique. 

Vous pouvez aussi vous tourner vers l’histoire récente de la presse, notamment outre-Atlantique. Les Etats-Unis d’Amérique, pour garantir la pluralité de l’information, ont choisi d’installer dans leur média une doctrine dite « Fairness » entre 1949 et 1987.

Celle-ci devait renforcer la diffusion plurielle des opinions selon deux actions obligatoires. La première consistait à obliger les diffuseurs audiovisuels à consacrer une partie de leur temps d’antenne à des questions d’intérêt général, propres à susciter des controverses. Et la seconde consistait en l’obligation de relayer les différents points de vue sur ces sujets. Vous pouvez, au minimum tenter de distiller l’esprit de serendipité dans notre paysage médiatique ! « La liberté de publier son opinion ne peut donc être autre chose que la liberté de publier toutes les opinions », disait Robespierre.

L’éducation et l’apprentissage du discernement sont objectivement les meilleures garanties de réussite dans la lutte contre les fausses nouvelles. Voilà ce sur quoi notre parlement doit se concentrer, plutôt que de chercher à tout prix à légiférer pour trier les bonnes informations des mauvaises, ce qui constitue une insulte de plus faite à l’intelligence, et s’apparente à la mise en place d’un « Ministère de la Vérité ou de la Censure », au choix.

Sensibiliser au discernement permet de dissiper la confusion qui consiste à amalgamer l’interprétation et les faits, la croyance personnelle et le savoir scientifique, l’idéologie et la loi universelle… C’est avec la conviction profonde que votre projet de loi ne correspond pas à la réalité des besoins du champs d’information et que les solutions que vous proposez sont donc fondées sur un diagnostic erroné, que je propose à la représentation nationale, de voter notre motion de rejet de votre texte. »

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