Entretien réalisé par Adrien Siffermann à retrouver dans l’Heure du Peuple du 14 septembre 2018.
Younous Omarjee, député européen insoumis et candidat aux élections européennes 2019 explique pour l’Heure du Peuple son rôle au Parlement européen et les enjeux du scrutin à venir.
Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les institutions politiques de l’Union Européenne ?
L’Union Européenne (UE) fonctionne avec un pouvoir exécutif et législatif partagé entre trois institutions politiques. Le Conseil européen, où siègent les chefs d’États, définit les grands axes de la politique de l’UE et est prolongé par des « Conseils des ministres » qui représentent les gouvernements. La Commission européenne détient le monopole de l’initiative législative. Enfin, le Parlement européen (PE) est la représentation démocratique des peuples.
En tant que député au Parlement européen, quel est votre rôle et vos moyens d’action ?
Je suis très attaché à y être le porte-voix des intérêts populaires. De manière concrète, les député·e·s européen·ne·s ont notamment la possibilité d’amender les propositions de la Commission dans le processus d’élaboration des lois. Néanmoins, dans un certain nombre de domaines, le Parlement européen a un rôle extrêmement faible.
Par exemple, les accords commerciaux sont conclus à la suite de longues négociations conduites par la Commission dans le plus grand secret, et aux termes desquelles le Parlement n’a plus qu’à dire oui ou non. Le même problème se pose sur les questions budgétaires : lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur le cadre financier pluriannuel, nous ne pouvons que dire oui ou dire non. Et évidemment, comme les majorités actuelles au Parlement sont soumises le plus souvent, ils finissent par dire oui après avoir tempêté dans le vide.
Cependant, le processus de codécision a donné plus de pouvoir aux eurodéputé·e·s depuis 2014. Et nous l’utilisons pleinement pour tenter de faire avancer les orientations de l’Union.
Vous pouvez nous donner quelques exemples concrets ?
Lors de la réforme de la politique commune des pêches, nous avons obtenu l’interdiction de la pêche en eaux profondes. L’association Bloom l’a indiqué à l’époque : sans l’action qui a été la mienne, cela n’aurait pas pu aboutir.
Concernant les fonds structurels, j’ai pu mettre en échec la proposition de la Commission de diminuer les cofinancements de l’UE pour les régions les plus en retard de développement comme les Outre-mer.
Un autre exemple avec le rôle que j’ai joué avec Marisa Matias du Bloco pour mettre en échec la volonté de sanctionner le Portugal dans le cadre de la procédure de déficit excessif. Cette dernière consiste en des sanctions violentes à l’encontre d’un État s’il ne respecte pas la limite de 3% de déficit, ce qui était le cas du Portugal. En tant que 1er vice-président de la Commission du développement régional, et au terme d’un dialogue structuré avec la Commission, j’ai contribué avec d’autres à empêcher que les sanctions soient effectivement appliquées.
Enfin, je veux parler du FEAD, seul programme européen de lutte contre la pauvreté, qui permet de financer des colis alimentaires – en France via les Restos du Cœur par exemple. Sur un budget européen de plus de 900 milliards € pour 7 années, cela concerne seulement 3,5 milliards €. Ce fonds faisait l’objet d’un recours de l’Allemagne devant la Cour de Justice et était en passe d’être supprimé. J’étais rapporteur pour ma commission sur ce dossier, et au terme d’une longue et difficile bataille, nous avons réussi à sauver ce fonds. Nous nous battons à présent pour l’amplifier.
Le Parlement européen peut donc vraiment imposer une autre vision que celle de la Commission ?
Oui, mais cela dépend des rapports de forces politiques au sein du Parlement. Plus nous serons fort·e·s au sein, plus il y aura de député·e·s insoumis·es et de notre mouvement « Maintenant Le Peuple », plus cela sera possible. Mais les blocages sont permanents. Il y a un problème fondamental : celui de la collusion de la Commission européenne avec les lobbys. Lorsque nous défendons l’intérêt des peuples et des citoyen·ne·s, eux défendent les intérêts des industriels et des acteur·rice·s de l’oligarchie financière. Ils agissent avec beaucoup de constance et de moyens pour entraver nos objectifs. Je l’ai vu par exemple lors de mon objection sur la directive tabac.
Cela donne une Europe totalement schizophrène. Derrière des intentions affichées qui peuvent être vertueuses, ce sont en fait des politiques amorales que la Commission finit par imposer. On le voit dans les accords de libre-échange climaticides comme le JEFTA avec le Japon. La Commission est déterminée à dérouler une politique qui vise des intérêts précis : ceux de la finance, des banques, d’une Europe toujours plus libérale faisant fi des intérêts des travailleur·se·s et de la planète.
Cela mène aussi à des injonctions données aux États pour les contraindre de faire certaines réformes. Nous en payons le prix fort en France avec la réforme ferroviaire ou avec la réforme des retraites à venir, puisque c’est la Commission qui pousse le gouvernement à s’engager dans cette voie. Ils veulent détruire l’État social partout en Europe, réduire le service public pour faire place nette aux marchés. Car lorsque l’État recule, les besoins demeurent. Et nos pays se retrouvent vendus à la découpe aux acteur·rice·s privé·e·s. Regardez pour les barrages hydrauliques !
Ainsi, les élections européennes 2019 seraient un bon moyen de s’opposer aux réformes que Macron applique en France ?
Le président des riches, c’est finalement le meilleur élève de l’Europe des riches ! Et c’est pourquoi on veut aussi faire de ce scrutin un « référendum anti-Macron ». Ce qui n’est pas pour autant une échappatoire sur la question européenne. Par définition, il s’agit d’un réquisitoire contre les politiques européennes et d’un appel à les sanctionner. Juncker, Merkel et Macron, c’est un même triumvirat qu’il faut dégager !
Quand on constate toutes vos batailles au PE, il est salutaire d’y envoyer la plus grande délégation insoumise possible, non ?
J’attends avec beaucoup d’impatience le renfort, parce que nous sommes au Parlement européen les vigies du peuple, des lanceurs d’alerte. Nous devons exercer une surveillance sur l’ensemble des politiques, et être présent·e·s dans toutes les commissions. Et je ne peux pas le faire seul : on a besoin d’un groupe !
Le travail que nous faisons est important pour les Français, mais aussi pour les autres peuples européens. C’est pourquoi nous voulons travailler de manière concertée au sein du mouvement « Maintenant Le Peuple ». Ensemble, nous pourrons mettre en échec la Commission, notamment sur les accords commerciaux – je pense au MERCOSUR – mais aussi sur les questions d’environnement ou de santé. Nous construirons par ailleurs les mobilisations citoyennes : tous les combats menés au parlement ne sont efficaces que quand on est poussé par les citoyen·ne·s et les ONG.
De plus, je trouve que notre liste présente une équipe unie sur la vision, mais avec une diversité de parcours et de personnalités qui la rend très complémentaire. Je suis certain que notre groupe au Parlement européen sera très vite adopté par les militant·e·s et j’avertis notre groupe à l’Assemblée Nationale : nous avons bien l’intention de vous concurrencer (rires) !