Quel positionnement pour la majorité ?
Lors de sa campagne le candidat Macron n’a jamais pris position clairement sur le sujet de l’usage de stupéfiants et plus particulièrement du cannabis. Évoquant dans un premier temps les “intérêts” que pourrait revêtir une légalisation, puis militant en faveur de la dépénalisation, avant de se renier quelques mois plus tard en déclarant “ne pas croire aux peines symboliques”.
Aussi j’attendais avec impatience la remise du rapport d’information relatif à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants, commandé aux députés, Éric Poulliat (LREM) et Robin Reda (LR), par le Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, pour connaître le positionnement de la majorité.
Dans ce rapport rendu public le 25 janvier 2018 est fait, pour la énième fois, le constat de l’échec de la réponse pénale sur les stupéfiants. Malgré un arsenal répressif parmi les plus importants en Europe et le maintien d’un interdit social, les français n’en sont pas moins les premiers consommateurs de cannabis au niveau européen, 17 millions de français en ont fait l’expérience et 700 000 en font un usage quotidien.
Quelles solutions sont alors proposées pour remédier à cette situation ? Après avoir reconnu une dépénalisation de fait, alors même que les rapporteurs ont pu constater, lors de leurs auditions, les enjeux sanitaires et économiques en la matière, MM. Reda et Poulliat circonscrivent le débat. On exclut d’emblée d’ouvrir le débat sur la légalisation du cannabis et on aborde uniquement le problème sous l’angle répressif.
J’ai tout de même regardé avec attention les mesures proposées dans ce rapport et les bénéfices escomptés. Parmi les deux propositions des rapporteurs, le ministre de l’Intérieur a déjà tranché en faveur d’une procédure d’amende forfaitaire délictuelle.
Alors même que le député LR souhaitait dépénaliser l’usage de stupéfiants, la majorité se raidit et maintient le caractère délictuel, se montrant plus réactionnaire et rétrograde.
La procédure d’amende forfaitaire délictuelle : une mesure en trompe l’œil.
En quoi cela consiste t’il ? L’idée est de maintenir le caractère délictuel de l’usage de stupéfiants. Tout en réaffirmant l’interdit social, la majorité considère d’une part que cela allégera la charge de travail pour les forces de l’ordre et d’autre part que la certitude de la sanction entraînera une diminution de l’usage de stupéfiants.
Comme toujours, la majorité se saisit d’un vrai sujet, constate un manquement réel mais propose de fausses solutions. Or, il faut le dire clairement cette solution est inapplicable, inefficace et contreproductive.
Incohérent, le rapport lui-même fournit des éléments démontrant l’inutilité de la mesure et prouve par là qu’il ne s’agit que d’un nouveaux coup de communication.
- UNE MESURE INAPLICABLE
Déjà le ministre souhaite utiliser une procédure d’amende forfaitaire délictuelle dont l’application est suspendue à la publication d’un arrêté, qui ne peut lui-même être pris tant que les applications métiers n’auront pas été adaptés.
En outre, si tant est qu’on admet la logique du Gouvernement (ce qui n’est pas le cas) pour que cette mesure soit effective, il faudra nécessairement renforcer les moyens mis à la disposition du parquet de Rennes, seul compétent pour recevoir les requêtes de demande de consignation.
Pour résumer : on imagine l’usage d’une procédure pour l’heure inapplicable et donc pour laquelle nous ne disposons d’aucun recul sur ses potentiels effets, c’est écrit noir sur blanc dans le rapport : “Faute de mise en application, les pouvoirs publics ne disposent à ce jour d’aucune donnée relative à la portée de l’amende forfaitaire délictuelle”. C’est honnête mais complètement ubuesque !
- UNE MESURE INEFFICACE
Faisons preuve de fair-play et imaginons un instant que les conditions soient réunies pour que la procédure d’amende forfaitaire puisse être mise en œuvre. Cette dernière aura une portée extrêmement limitée, elle ne peut s’appliquer ni aux mineurs, ni aux personnes ayant commis plusieurs infractions, ni aux récidivistes. Résultat : les gains de temps pour les magistrats et les forces de police seront extrêmement limitées.
Pour ce qui est de l’objectif de libérer du temps pour les magistrats et les policiers c’est donc raté !
- UNE MESURE CONTRE-PRODUCTIVE
Mais il y a plus grave ! Puisqu’on exclut les récidivistes et les mineurs du dispositif, la mesure s’appliquera uniquement aux primo-interpellés majeurs.
Premier problème, c’est justement pour ces personnes que la procédure est déjà la plus rapide.
Deuxième problème, l’amende forfaitaire délictuelle ne permet pas de proposer simultanément un stage de sensibilisation ou l’orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, or c’est pour les primo-interpellés que ces mesures alternatives sont les plus adaptées.
Troisième problème, le primo-interpellé risque d’être sanctionné plus sévèrement que le récidiviste. On marche sur la tête, le primo-interpellé va devoir s’acquitter d’une amende d’un montant avoisinant les deux cent euros, alors que le récidiviste a de bonnes chances de se voir notifier un simple rappel à la loi.
La position pragmatique de la France insoumise : adopter une approche différenciée de l’usage des stupéfiants et centrée sur l’aspect sanitaire.
Face à l’hypocrisie de la majorité, qui propose une mesure dont elle sait qu’elle ne règlera rien, il faut être pragmatique et réaliste en prenant en considération l’ensemble des enjeux de cette problématique, via une approche différenciée de l’usage des stupéfiants.
Tout d’abord il convient de se saisir du sujet de l’usage du cannabis, ce que le gouvernement ne fait pas en maintenant une politique indifférenciée à l’égard des différents types de stupéfiants. Au même moment, de nombreux pays font évoluer leur législation en la matière. Le cannabis est un produit stupéfiant qui mérite un traitement particulier, notamment en raison de sa moindre dangerosité sanitaire et du caractère massif de son usage.
La France insoumise souhaite que l’Etat apporte une réponse systémique, en encadrant de la production à la consommation, en passant par la distribution de cannabis.
Ce changement de paradigme présente de nombreux avantages, il permettra de libérer réellement un temps précieux pour nos magistrats et nos forces de polices, qui pourront se concentrer sur la lutte contre les trafics illégaux. En outre la légalisation mettra fin à un marché noir, estimé à un milliard d’euros profitant largement au grand banditisme, et dégagera des recettes publiques, qui seront réaffectées en faveur de programmes de lutte contre les addictions et à une politique de prévention et d’aide à la désintoxication.
La légalisation marque un tournant et même un retour à l’esprit de la loi du 31 décembre 1970, car la priorité sera donnée au traitement sanitaire de cette problématique. Dans cet état d’esprit nous apporterons une attention particulière aux publics et usages à risques de stupéfiants. Luttons effectivement contre la vente de cannabis aux mineurs et pour la mise en œuvre de politiques de prévention spécifiques. Maintenons l’interdit de la consommation de cannabis avant de prendre le volant ou sur son lieu de travail. En parallèle, mettons en place des dispositifs permettant de détecter les pratiques à risques. Gardons l’objectif d’orienter les usagers toxico-dépendants vers des structures de prises en charge sanitaire, sociale et professionnelle.
En ce qui concerne les autres stupéfiants la logique est toujours de privilégier l’approche sanitaire, plutôt que répressive. La France insoumise souhaite instaurer la contraventionnalisation pour l’usage des stupéfiants autres que le cannabis. Une progressivité en fonction des différentes catégories de stupéfiants sera mise en œuvre et encore une fois cela permettra aux forces de l’ordre de se focaliser sur la lutte contre le trafic des drogues dérivées de l’opium, de la coca et des nouvelles drogues de synthèse. La lutte contre les trafics qui gangrènent notre société démocratique doit être au cœur du dispositif et il ne faut pas avoir un discours sibyllin en la matière : notre démarche est claire, le trafic de drogue demeure illégal, mais les consommateurs sont considérés comme des personnes toxicomanes (malades) plutôt que des criminels.
Loin des caricatures dont elle est souvent l’objet sur ce sujet, la France insoumise propose la seule solution politique réaliste et responsable.
Ugo Bernalicis, Député France insoumise du Département du Nord
David Pailleret, Attaché parlementaire