La mise en place par l’actuel ministre de l’éducation nationale de Teach for France est symptomatique d’un malaise plus profond dans l’éducation nationale. Certains concours sont désertés par les candidats, et des postes restent vacants au CAPES comme dans certaines agrégations. Faute de candidats en nombre suffisant, l’éducation nationale a recours de plus en plus souvent à des contractuels pour combler les manques. Ces contractuels sont trop souvent recrutés dans l’urgence et après un entretien sommaire, souvent sans la moindre formation initiale, et mis devant des classes en attente d’un professeur. Quoique d’innombrables contractuels soient parfaitement compétents, ce mode de recrutement ne peut garantir un enseignement de qualité. Plus encore, les personnels contractuels sont souvent enfermés dans ce statut précaire.
M. Bastien Lachaud alerte M. le ministre de l’éducation nationale au sujet de l’expérimentation « Teach for France » menée dans l’académie de Créteil depuis 2016. Cette expérimentation vise à apporter une réponse à deux problèmes. Il s’agit tout d’abord de faire face aux difficultés du ministère à recruter des enseignants en nombre suffisant ; à ce titre, elle s’inscrit dans le cadre général d’un recours de plus en plus fréquent et hautement problématique au personnel contractuel au sein de l’éducation nationale. Cette expérimentation vise en plus à lutter contre les inégalités scolaires en permettant à des élèves issus de milieux populaires de bénéficier d’un enseignement dispensé par des personnes dont le cursus supérieur s’est déroulé le plus souvent dans de grandes écoles. La conception de cette expérimentation est problématique à plus d’un titre. Tout d’abord, elle sous-traite le recrutement et la gestion d’une partie non négligeable des ressources humaines d’un rectorat à une entité privée dont la capacité à former des enseignants n’est pas attestée et fragilise la filière de recrutement par concours, cadre républicain normal garantissant aux aspirants professeurs une maîtrise académique suffisante et un égal accès au métier. D’autre part, elle postule que la simple fréquentation d’enseignants issus de parcours sélectifs est en mesure d’apporter une réponse au profond problème d’inégalité qui mine l’éducation nationale. Par ailleurs, elle place les enfants sous la férule de maîtres dont la neutralité est problématique eu égard notamment à la place laissée aux entreprises dans le processus de sélection des candidats. Enfin, elle confie la formation d’enseignants et in fine l’éducation des élèves à une entité privée affiliée à une « association mère » américaine, Teach for all, dont les objectifs ne peuvent coïncider avec les missions que la République donne à l’éducation nationale. À cet égard, la conservation d’un nom anglais pour cette association française a valeur de symbole. Considérant les faiblesses de ce dispositif et l’urgence dans laquelle se trouve l’éducation nationale de susciter de nouvelles vocations d’enseignants, il souhaiterait savoir quelles mesures il entend prendre afin de substituer à cette expérimentation, opaque, inutilement coûteuse et qui ouvre une brèche dangereuse dans le service public d’éducation, une politique ambitieuse et efficace qui permette le recrutement pérenne d’enseignants formés et a minima l’accompagnement des contractuels recrutés régulièrement par le rectorat.
Retrouvez ici la question sur le site de l’assemblée, publiée le 04/10/17.
Voici la réponse du ministère (MAJ le 16/01/18)
L’académie de Créteil est, depuis plusieurs années consécutives, confrontée à des difficultés persistantes de recrutement. De telles difficultés ont pu être notamment palliées par la mise en place, depuis la session 2015, d’un concours supplémentaire de professeurs des écoles. En revanche, dans le second degré l’existence d’un recrutement national ne permet pas de prendre ce type de mesure. Dans ce contexte, le ministère de l’éducation nationale encourage les initiatives tendant à développer les candidatures aux concours de recrutement des enseignants titulaires ainsi que les candidatures à des postes d’enseignants contractuels dans le premier degré et pour les disciplines déficitaires du second degré. Cela a donc conduit l’académie de Créteil à recruter un nombre important de contractuels aux profils variés et à mettre en place une politique volontariste et qualitative en la matière. L’académie de Créteil, à l’instar des autres académies, veille à ce que ses besoins en enseignants soient pourvus dans le respect de certaines conditions, notamment de diplôme, de nature à garantir la qualité de l’enseignement dispensé. En effet, si le recrutement de professeurs contractuels relève de la compétence de chaque recteur d’académie, il convient de rappeler qu’il s’exerce dans un cadre réglementaire qui doit permettre de garantir une harmonisation des pratiques académiques de gestion des contractuels (décret no 2016-1171 du 29 août 2016 et circulaire no 2017-038 du 20 mars 2017). Sur ce fondement, l’académie de Créteil a mis place une politique d’accompagnement des professeurs contractuels qui va de l’accueil pédagogique de ces personnels par les inspecteurs à l’accompagnement par l’équipe pédagogique, l’organisation de sessions de formation tout au long de l’année s’adressant particulièrement aux nouveaux contractuels. A cela s’ajoute des formations d’adaptation à l’emploi dispensées par l’ESPE. En outre, l’académie de Créteil met en œuvre le dispositif des étudiants apprentis professeurs (EAP) depuis la rentrée scolaire 2015. Il permet d’identifier des étudiants qui souhaitent devenir enseignants en les familiarisant aux premiers gestes professionnels. L’apprentissage permet à l’étudiant de suivre une formation pratique et théorique sanctionnée par un diplôme et d’acquérir des compétences professionnelles pour l’exercice du métier enseignant, tout en percevant une rémunération. Un dispositif en alternance en première année de master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (M1 MEEF) a également été mis en place. Dans ce contexte, une convention tripartite a été conclue le 13 janvier 2017, pour une durée de cinq ans, entre le ministère de l’éducation nationale, l’académie de Créteil et l’association Teach for all, dont Teach for France est la branche française. Le recours à cette association intervient dans le respect du principe d’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires posé à l’article 3 du titre Ier du statut général qui suppose le caractère dérogatoire du recrutement d’agents contractuels strictement encadré par le titre II du statut général. Il ne fragilise donc pas la filière de recrutement par la voie du concours. En revanche, il permet une diversification du recrutement des agents contractuels en contribuant à attirer des talents et répond à un objectif de vocations multiples qui fait la richesse de l’école. L’association établit chaque année ses objectifs quantitatifs de sélection sur la base des possibilités d’accueil fixées, chaque année, par l’académie de Créteil. Ces agents sont recrutés et formés par l‘académie de Créteil, la participation de l‘association se limitant, d’une part, au repérage de ces talents, essentiellement dans les disciplines sous tensions, et à un travail de promotion des métiers de l’enseignement dans les grandes écoles, d’autre part, à la délivrance de formations complémentaires. Le recrutement par voie contractuelle d’enseignants, y compris issus de ce vivier, de bénéficiaires du dispositif des contractuels alternants ou de celui des EAP, permet à l’académie de se constituer un vivier conséquent, enrichi par la variété des parcours d’études et expériences professionnelles qu’il représente. Ce vivier bénéficie de l’attention particulière des services du rectorat qui veillent à ce que les agents contractuels ayant vocation à exercer le métier d’enseignant soient dûment accompagnés pour passer les concours de recrutement que le ministère organise chaque année. A cet égard, il convient de noter que près d’un tiers des contractuels issus du partenariat avec Teach for France s’est inscrit et a réussi les concours de l’enseignement au cours de la première année. Dans un cadre plus général, les résultats des concours de recrutement 2017 soulignent la nécessité d’engager une action de fond pour que le métier de professeur retrouve son attractivité auprès des jeunes étudiants. Dans ce contexte, le ministère va engager une politique de pré-recrutement ambitieuse, qui saura attirer les talents et les vocations professorales multiples. Cette politique sera prioritairement mise en oeuvre dans les académies et les disciplines déficitaires.