TRIBUNE - Les « experts » macronistes contre les smicards

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Le 23 août 2017, le premier ministre a nommé un « groupe d’experts sur le SMIC ». Les profils étaient soigneusement sélectionnés parmi les adversaires du salaire minimum, afin de s’assurer de conclusions Macron-compatibles. Cela n’a pas manqué : le voici qui délivre le matin du 5 décembre un rapport à la commission nationale de la négociation collective recommandant de supprimer 70€ par an aux salariés payés au niveau du SMIC. Une attaque misérable alors que la pauvreté progresse parmi les actifs !

 

Faux experts et vrais militants

 

L’attaque était prévisible. Le président de la commission, Gilbert Cette, a rédigé en 2008 un rapport intitulé Salaire minimum et bas revenus : comment concilier justice sociale et efficacité économique ? avec un autre membre, André Zylerberg. Ils y attaquent avec violence le SMIC, accusé de rater tous ses objectifs… alors que grâce à lui, nous n’avons en France que 7,5% de pauvres en emploi (un chiffre déjà insupportablement élevé) contre 9,5 % en moyenne dans l’Union européenne.

D’après les échos médiatiques des premières lectures, ils ont ressuscité dans leur nouveau rapport les préconisations qu’ils délivraient en 2008. En effet, ils souhaitaient déconnecter les hausses du SMIC de l’évolution du pouvoir d’achat des salariés, pour ne plus le revaloriser que du montant de l’inflation. A titre d’exemple, en 2016, le SMIC a augmenté de 0,6% automatiquement. Si seule l’inflation avait été prise en compte, et pas l’augmentation du pouvoir d’achat, cette hausse aurait culminé à 0,2 %, soit trois fois moins ! Avec la recette des docteurs Cette et Zylberberg, au lieu de grimper de 1458€ à 1467 € par mois, le SMIC n’aurait atteint que 1461€. Le gain annuel serait tombé de 108€ à 36€. Dit autrement, les deux économistes plaident pour retirer 70€ par an aux salariés les moins bien payés de ce pays !

Cette baisse de 70€ par an, à l’échelle de 2 millions de salariés au smic, représente 140 millions d’euros par an. Cent fois moins que les cadeaux faits aux plus riches avec la suppression de l’impôt sur la fortune ! Après la casse du code du travail, l’augmentation de la CSG, la baisse des aides au logement, la suppression de 160.000 emplois aidés, voici venue la tonte des smicards, orchestrée par des économistes aux ordres.

En effet, Gilbert Cette est proche d’Emmanuel Macron, qui lui remettait en 2014 comme ministre de l’économie (avec ses co-auteurs) le prix du « livre d’économie de l’année », en le qualifiant d’homme « complice d’une aventure qui a mené certains d’entre nous jusqu’ici ». En 2017, Gilbert Cette figurait dans la liste des économistes qui appelaient à voter pour l’actuel président. Cette commission n’est qu’un traditionnel renvoi d’ascenseur : un économiste militant politique (ce qui est bien son droit !) utilise son étiquette universitaire pour promouvoir le programme d’En Marche, c’est-à-dire démanteler l’Etat social français.

 

Des conclusions absurdes

 

Pour s’en prendre au salaire minimum, nos experts délivrent un coup classique : la comparaison internationale, pour montrer « ce-qui-marche-mieux-ailleurs-toutes-choses-égales-par-ailleurs ». Le salaire minimum français poserait problème car il est plus élevé que dans d’autres Etats membres de l’OCDE, comme les USA ou l’Allemagne – mais moins que la Nouvelle-Zélande, le Costa Rica ou la Colombie. Ces trois derniers pays seraient-ils agonisants sous le poids de leur salaire minimum ? Non, leur déficit commercial est inférieur par habitant à celui des Etats-Unis. Et de ces cinq pays, c’est bien l’Allemagne avec son faible SMIC qui a connu la croissance la plus spectaculaire de la pauvreté depuis 2012.

Ils nous enfument ensuite à partir d’études « sur le coût du travail pour les salaires proches du smic », qui auraient montré des « effets négatifs sur l’emploi ». Plus, le salaire minimum aurait un effet négatif sur l’emploi des moins qualifiés, et donc sur leur pauvreté. On espère que contrairement à son dernier ouvrage truffé d’erreurs (Le négationnisme économique), André Zylberberg est parvenu à lire correctement les résultats des études économétriques. Quoiqu’il en soit, on est impatient de lire comment les auteurs identifient un problème de « coût du travail »… si ce n’est au prix d’une impasse totale sur le coût du capital, qui a lui été multiplié par six depuis les années 1970 ! En effet, le capital sous sa forme improductive, c’est-à-dire financière (dividendes versées aux actionnaire et intérêts payés aux prêteurs), coûte extrêmement cher à l’économie – et aux smicards. Pas un mot de cela dans le rapport. Une fois déduits les risques pris par les apporteurs et les frais de gestion administrative de ces fonds, on atteint près de 100 milliards d’euros annuels payés par les salariés pour rémunérer les parasites de la finance. Lorsque les salariés produisent 100 euros de richesse, les entreprises nationales s’acquittent en moyenne de 150 euros, versés à des profiteurs qui s’enrichissent en dormant. Le voici le vrai coût qui pèse sur l’emploi : 50% de charge moyenne liée aux propriétaires lucratifs. Alors que chaque euro qui part en SMIC est consommé sur le marché national, et donc réinvesti dans la production.

Pourquoi défendre le SMIC ?

Le salaire minimum est une institution dans notre pays, c’est-à-dire une référence à partir de laquelle tout le monde se positionne. Il organise la vie de millions d’individus. En premier lieu, les salariés, notamment ceux payés au niveau minimal légal. Mais c’est aussi le cas de tous ceux qui sont mieux payés et dégringoleraient en cas d’abolition du SMIC. Salarié payé au-dessus du SMIC, ce dernier te protège tout de même !

Pour la retraite, l’existence dépend toujours du SMC, car toute baisse des salaires durant la vie active signifie une diminution des pensions. A l’inverse, une diminution des salaires actuels mettrait dans le rouge les caisses de cotisations sociales. Derrière le SMIC, il y a la Sécurité sociale et la couverture des risques salariés (accident, maladie, vieillesse, famille).

Par ailleurs, le SMIC français n’est pas particulièrement élevé. Il est ainsi encore inférieur à celui du Luxembourg, de Belgique, des Pays-Bas, d’Irlande, ou, en-dehors du continent européen, d’Australie. Dans de nombreux pays, l’heure de travail la moins qualifiée est mieux considérée qu’en France.

 

Le SMIC, pas un problème de compétitivité

 

Depuis des décennies, le SMIC français a au contraire dépéri. Alors que la productivité des salariés (ce qu’ils produisent en un temps donné) progressait de 30 % entre 1993 et 2011, le salaire minimum n’était augmenté que de 10 %. Les 20 % d’écart sont essentiellement partis dans les revenus financiers, vu que l’investissement a malheureusement stagné sur la période. La baisse du SMIC atteint des proportions telles, qu’un un salarié au SMIC en France est désormais moins payé, toutes cotisations sociales comprises et avec l’effet du CICE, qu’un salarié détaché de Roumanie, du Portugal ou de Pologne : respectivement 1609€, 1619€, 1697€ et 1756€ (chiffres donnés lors de la discussion du projet de loi de règlement du budget 2015 par la députée Valérie Rabault).

Ainsi, le discours catastrophiste qui règne parfois à propos du SMIC « trop haut » est délirant. En outre, seule 10 % de la main d’œuvre des PME françaises est rémunérée au SMIC, et 85 % des salariés travaillent dans un secteur sans aucune concurrence étrangère (l’hôtellerie, la restauration, les services à la personne, la police, l’hôpital… aucune boulangerie, aucun restaurant ou hôtel n’a jamais fermé sous prétexte que cela coûtait moins cher à l’autre bout du monde!).

Enfin, le SMIC est une institution de redistribution. D’après l’INSEE qui a analysé les dernières hausses du SMIC, une telle hausse conduit dans l’année à une réévaluation des salaires au-dessus du SMIC également. Pour tout salarié qui touche 1,5 SMIC, 1€ d’augmentation du SMIC lui procure 50 centimes de revalorisation. Pour 100€ de hausse du salaire minimum mensuel, son propre salaire progressera de 50€. De plus, toute hausse du SMIC profite aux petites entreprises plutôt qu’aux grandes, car le revenu additionnel est généralement dépensé dans le petit commerce, le commerce de détail ou de spécialité, ou dans des gammes supérieures. Les pâtes les moins chères dans le rayon le plus bas du supermarché sont déjà achetées, question de survie ; une hausse du SMIC permet de se faire plaisir et de consommer des produits d’une qualité supérieure, voire de quitter les grandes chaînes commerciales. De plus, les gammes comme l’alimentation biologique tirent également de nombreux bénéfices d’une hausse du SMIC, qui permet aux petits salaires d’opter pour des œufs ou du lait, par exemple, bien meilleurs pour la santé et l’environnement. C’est toute la société qui est protégée par le SMIC, et c’est tout notre avenir qui est garanti par sa hausse.

 

Faut-il réformer le SMIC ?

 

Pourtant, il y a bien des choses à redire au SMIC. Déjà, il ne s’applique pas forcément aux jeunes salariés, moins payés que leurs aînés pour le même travail s’ils ont moins de 6 mois d’expérience dans un secteur, ou sont sous contrat de professionnalisation. Les stages constituent un autre moyen de percer le plancher du SMIC, en versant à des personnes en emploi une « gratification » au lieu d’un salaire. Les assistantes maternelles, enfin, sont également rémunérées en dérogation au SMIC, avec un minima de 2,11€ net par heure. Institution républicaine par excellence, le salaire minimum garantit aux travailleurs des droits collectifs et un principe de citoyenneté au travail, en leur reconnaissant des droits égaux quelle que soit le secteur ou le lieu de leur établissement d’exercice. La défense du SMIC est une défense de toute la population.

 

Mathilde Panot

Députée du Val-de-Marne

Groupe La France Insoumise

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