Cette note répond aux arguments, souvent vite pensés, de Mme Imart-Bruno, vice-présidente du syndicat « Jeunes Agriculteurs » lors de l’émission Des Paroles et des Actes du 26 mai 2016, face à Jean-Luc Mélenchon.
« Je ne suis pas membre de la FNSEA. »
Qui est Cécile Imart-Bruno, qui se présenta jeudi 26 mai dernier comme défenseure de l’agriculture française « de qualité » et qui « fait des efforts environnementaux » ? Avant de devenir agriculture (heureuse reconversion !) elle fût, entre autres, directrice financière de M. Bolloré au Chili. Aujourd’hui, Mme Imart-Bruno est vice-présidente du syndicat « Jeunes Agriculteurs », qui adhére en tant que structure à la FNSEA et est représentée au sein des instances de ce syndicat dirigé par Xavier Beulin, par ailleurs président de la multinationale Sophiprotéol-Avril, qui s’engraisse sur le dos des paysan.ne.s français.e.s. Par ailleurs, JA et FNSEA présentent des listes et signent des plateformes communes pour les élections en Chambre d’agriculture. Les JA sont une sorte de branche « jeunes », pour les moins de 35 ans, de la FNSEA. Mme Imart-Bruno a, enfin, été personnellement nommée par l’arrêté du 4 août 2014 au Conseil national de la transition écologique, au titre de la FNSEA. La connivence entre Mme Imart-Bruno et l’agro-industrie est claire.
« En France, on est sur un modèle de type familial », et non « industriel. »
Peut-on opposer les adjectifs « familial » et « industriel » ? L’un définit qui travaille (nous n’osons pas dire « qui peut vivre » tellement les revenus sont faibles) sur l’exploitation agricole, l’autre les pratiques qui sont mises en œuvre. Le processus d’industrialisation de l’agriculture s’opère depuis les années 1950 : mécanisation, semences « sélectionnées » et chimie de synthèse ont spécialisé (sur les territoires, sur les fermes) et standardisé l’agriculture (monocultures, gestion en bande, etc.). La catastrophe bretonne ne sert donc pas de leçon à nos décideurs et à l’agro-industrie, qui enferme la France, l’Europe et les paysan.ne.s dans un « modèle » qui n’en est pas un ! Nous opposons « industriel » à « artisanal », « paysan », car ce sont deux modes de productions différents, l’un reposant sur l’artificialisation du vivant et des milieux de production par la chimie, l’autre sur des techniques agronomiques et zootechniques valorisant un « agroécosystème » cohérent. Cette production « à la chaîne », une sorte de taylorisme agricole, détruit les savoir-faire paysans et dégrade la qualité et la typicité des produits et des terroirs.
« [Cette agriculture] crée des emplois. »
Le résultat de l’industrialisation de l’agriculture : le nombre d’actifs et d’exploitations agricoles est en chute libre. La taille des exploitations agricoles augmente continuellement : d’après Agreste, en 2013, 22% des exploitations valorisaient 62% de la surface agricole utile. Plus de 55% des exploitations agricoles ont disparu entre 1988 et 2013. Les paysans représentaient 20% de la population française active en 1950, contre seulement 2% aujourd’hui. Il ne tient qu’à nous de changer la politique foncière et de subvention pour soutenir un modèle d’agriculture créatrice d’emplois : nous avons besoin d’au moins 300 000 emplois paysans de plus pour nourrir de manière pérenne notre pays.
« Les pesticides ont diminué de 45% depuis 1990. »
Depuis les années 1990, les tonnages bruts ont certes diminué (- 47% entre 1999 et 2011), mais d’une part les molécules et cocktails utilisés sont de plus en plus virulents et d’autre part, la quantité de substances actives (les molécules qui agissent sur les parasites) a augmenté de 5 à 9% par an depuis 2009 (rapport 2014 du Commissariat général au développement durable). Ceci correspond à un cercle vicieux entre utilisation des pesticides et mécanisme de bio-résistance à des derniers. Le triptyque engrais chimiques + pesticides + semences privatisées asservit les agriculteurs et menace notre environnement et notre santé, en particulier celle des agriculteurs. La France demeure le premier pays consommateur de pesticides de l’UE. Le plan « Écophyto » est un échec cuisant et repose uniquement sur des ficelles de communication. Nous devons avoir le courage et la volonté de planifier dès maintenant la sortie des pesticides et des engrais chimiques, dont les risques sanitaires et environnementaux sont de plus en plus alarmants : nous défendons un plan « Zérophyto », sur 10 à 15 ans, en prévoyant une interdiction immédiate des pesticides les plus dangereux. Nous devons et nous pouvons nous passer de la chimie de synthèse, les agriculteurs bio y parviennent déjà et innovent sans cesse : mettons la recherche agronomique et l’enseignement agricole publics au service de ce changement.
« L’élevage est un atout pour le changement climatique. »
De quel « élevage » parlons-nous ? De la ferme des « 1000 vaches » ? Des élevages paysans ? Mettons cela au clair. L’élevage conventionnel est responsable de 14,5% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, selon la FAO : non, l’élevage conventionnel, en partie hors-sol, qui importe du soja OGM d’Amérique latine pour nourrir le bétail ne bénéficie pas au changement climatique. Seuls les systèmes paysans, de polyculture-élevage et de pastoralisme, permettent de valoriser des surfaces en herbe qui seraient autrement inutilisables pour l’agriculture et qui demeurent de véritables puits à carbone. D’après les études Green Grass et CarbonEurope, reprises par l’Institut de l’élevage, seuls les systèmes paysans, économes en intrants et valorisant pleinement l’herbe, tendent effectivement à compenser entièrement les émissions de méthane. Au contraire, les productions conventionnelles, à coups et à coûts d’engrais chimiques et de pesticides, ont un bilan très négatif : par exemple, épandre 100 kg d’azote revient, du point de vue des émissions de GES, à parcourir 10 000 km en voiture.
« La qualité de l’eau s’améliore. »
Et c’est probablement pour cette « excellence environnementale » que la France a été condamnée en 2013 et en 2014 pour le non-respect de la directive « Nitrate » par l’Union Européenne (1991), aux ambitions pourtant insuffisantes. Si dans certains bassins la quantité de nitrates mesurée baisse, cette tendance, bien souvent due à l’instauration de l’agriculture biologique sur les zones à risques, est très disparate sur le territoire français et insuffisante face aux enjeux. Sur 35 392 captages, 8,5 % ne respectent pas les seuils autorisés : soit ils dépassent 40 milligrammes de nitrates par litre, soit leurs taux de pesticides excèdent 0,4 microgramme par litre (rapport interministériel de juin 2014). 63 % des points de surveillance des eaux souterraines métropolitaines et 93 % de ceux des rivières en surface contiennent des pesticides, au moins une dizaine de substances différentes dans la majorité des cas (rapport 2014 du Commissariat général au développement durable). La réponse ? Changer de modèle agricole ? Non ! En quinze ans, plus de 2 000 points de captage ont ainsi été fermés. De plus, la dépollution de l’eau coûte de plus en plus chère à la collectivité : les seuls surcoûts engendrés par la pollution de l’eau se situent entre 260 millions et 660 millions d’euros par an. Dangereuse et coûteuse : tournons la page de l’agro-chimie !
« Il faut favoriser l’installation de jeunes agriculteurs. »
Qui osera dire le contraire ? C’est le genre de phrases creuses qu’il faut analyser et auxquelles il faut opposer des faits. La politique voulue par l’Union Européenne, et soutenue par la FNSEA-JA, notamment au sein des SAFER, mène à l’agrandissement des structures et empêche le partage du foncier. Depuis les années 1990, le nombre d’installations en DJA diminue fortement : - 66% entre 1990 et 2014. Nous entendons refonder les SAFER en créant un Etablissement Public Foncier Rural, à même de mobiliser le foncier agricole pour le préserver et le partager, en installant de nombreux jeunes agriculteurs, sur des fermes à taille humaine. Nous augmenterons fortement les aides à l’installation et l’accompagnement technique pour les projets paysans, biologiques et valorisant localement les productions.