Tous les sites

Sélection à l’Université : plutôt qu’agrandir l’évier, on ferme le robinet aux plus défavorisés

pARTAGEZ

Après avoir soutenu les syndicats étudiants et des personnels ce matin devant l’Assemblée, j’ai défendu dans l’Hémicycle la motion de renvoi du texte introduisant la sélection à l’Université.

Un texte basé sur un double constat.

S’il fallait évidemment mettre un terme à l’injuste tirage au sort, celui ci était résiduel en ce qu’il a concerné que peu d’étudiants (10 000 sur 800 000 candidats). Pour cela, pas besoin de sélection. Il suffisait simplement d’ouvrir des places dans les filières en tension.

Ensuite, il y aurait 60% d’échec en licence. Sauf que ce chiffre martelé par le gouvernement est tout simplement faux car il comprend les réorientations entre la 1ère et la 2ème année, les étudiants qui s’inscrivent pour passer un concours, les redoublements, etc…

La vérité, c’est que 80% des étudiants sortent de l’Enseignement supérieur avec un diplôme soit 10 points de plus que la moyenne de l’OCDE.

Voilà les seuls arguments vaseux que le gouvernement emploie pour justifier sa réforme dont l’inspiration ne date pas d’aujourd’hui : De Gaulle, Devaquet, Bayrou et maintenant Vidal.

Les pics démographiques se succèdent et les solutions proposées sont les mêmes : au lieu d’agrandir l’évier, on ferme le robinet aux plus défavorisés.

 

 

Vous pouvez retrouver ci-dessous le verbatim de mon discours : 

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, avant de commencer mon propos, j’adresse tout mon soutien aux représentants des personnels universitaires, aux étudiants et aux lycéens venus ce matin de toute la France devant l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Je ne pense pas qu’ils ont traversé le pays pour simplement protester. Ils étaient là, madame la ministre, chers collègues, pour que vous puissiez les entendre, et pas seulement les écouter.

J’aimerais maintenant introduire mon exposé par une anecdote personnelle. Je n’ai pas d’abord rencontré les difficultés que vivent les acteurs du monde universitaire dans des rapports chiffrés, elles se sont présentées à moi peu de temps après ma prise de fonction. Lors de ma première permanence, un étudiant est venu me voir ; titulaire d’un BTS, il s’était vu refuser, pour la deuxième année consécutive, l’accès à l’université pour poursuivre ses études.

Ce constat d’injustice, nous le partageons tous ici. Cette motion de renvoi en commission offre à notre groupe une merveilleuse occasion de reprendre un débat de fond, trop souvent absent de cette assemblée ; ce débat porte sur les diagnostics et les motifs qui sous-tendent le projet de loi soumis à notre examen. Elle nous offre un temps pour développer les raisons de nos oppositions à la logique de vos projets, au-delà de tout procès d’intention. Je me réjouis donc de ce renvoi en commission et propose ici d’esquisser les axes de ce futur échange.

Mais avant de rentrer dans le contenu de ce projet de loi, permettez-moi, madame la ministre, chers collègues, un préalable qu’il me tient à cœur de partager à nouveau avec vous, en l’approfondissant. Comprenez que notre opposition n’est pas, comme on aime à le faire croire, systématique ou partisane. C’est une opposition de fond. N’en ayons pas peur, toute démocratie ressort grandie d’un débat libre, contradictoire et argumenté. Néanmoins, il s’agit là d’un sujet suffisamment grave – l’avenir de la jeunesse – pour que nous puissions dépasser les clivages habituels ! Pourquoi divergeons-nous alors ? Nous défendons un projet de société au service de tous les êtres humains, auquel aucun d’entre nous ne peut être indifférent. Et, bien sûr, nous n’avons pas en la matière le monopole du cœur.

Ce projet est fondé sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, qu’exprime notre devise républicaine et que vous partagez, j’en suis sûre. Mais du mot à la chose, d’une devise abstraite à sa traduction concrète, il y a un abîme dans lequel beaucoup trébuchent. Ainsi, trouvez-vous notre société fraternelle, alors qu’on ne cesse de parler de compétition ? Peut-on encore parler d’égalité, quand on organise la sélection ? C’est cette réaffirmation de nos valeurs républicaines qui servira de fil rouge à la contestation de ce projet de loi par mon groupe.

Pour rappel, ce projet de loi, relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, s’occupe, d’une part, des modalités d’accès à l’université et, d’autre part, d’offrir de nouvelles conditions à la vie étudiante. Comme évoqué en commission, seul le titre de cette loi nous convient. Comment, en effet, ne pas adhérer à la nécessité d’aider la jeunesse à s’orienter, d’autant que le monde est dans une totale désorientation ? Comment ne pas souscrire à l’idée de la réussite de tous les étudiants, en précisant que, pour la circonstance, la réussite dont nous parlons réside dans l’obtention d’un diplôme sanctionnant certaines connaissances, des savoirs et des aptitudes.

Mais le titre consensuel de cette loi ne saurait nous abuser sur son contenu, auquel nous disons « non », trois fois « non ». Non à l’interprétation des constats qui la motive, et donc aux remèdes que vous proposez. Non à sa faisabilité au regard des moyens alloués. Non au projet de société et aux valeurs qu’elle sous-tend.

Le premier constat est l’augmentation de 40 000 étudiants par an pendant trois ans. Cette année, elle a nécessité la mise en place de l’injuste tirage au sort dans les filières en tension et laissé sur le carreau plus de 3 000 lycéens. Difficile de nier ce constat. Mais quand il tombe sous le sens commun que, pour éviter le tirage au sort, il suffit d’augmenter le nombre de places, vous, vous préférez opérer une sélection sur dossier.

Le second constat est que 60 % des jeunes inscrits en première année de licence ne poursuivent pas dans la filière choisie en seconde année. Face à ce constat, que vous interprétez comme un échec, vous orchestrez un tri, même dans les filières sans tension, c’est-à-dire que vous conditionnez l’inscription de certains bacheliers à leur acceptation de modules de remise à niveau. Un « oui » pour les uns et un « oui, mais » pour les autres, en fonction de prérequis liés à l’obtention d’une mention au baccalauréat, aux bulletins de notes, aux avis des professeurs principaux, etc. Pour être tout à fait honnête, ce « oui, mais » se pratique déjà dans les faits, et des universités refusent des dossiers qui reçoivent un « oui » par ailleurs.

Le projet de loi n’invente donc rien et aggrave la sélection ; il l’installe partout et, surtout, il la sanctuarise, en rayant d’un trait ces phrases inscrites dans l’article L. 612-3 du code de l’éducation : « Tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix (…). Les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection ».

La messe est dite !

Et maintenant que l’on peut « appeler un chat un chat », voyons en quoi la sélection n’est pas la bonne solution pour la réussite des étudiants.

D’abord, elle est fondée sur une interprétation peu rigoureuse de statistiques par ailleurs incomplètes. En effet, sur les 60 % d’étudiants de première année de licence – L1 – qui ne s’inscrivent pas en L2, 24 % redoublent, 11 % se réorientent après avoir exploité cette première année pour préparer des concours, par exemple. Seuls 25 % abandonnent ou sortent définitivement, ce qui est déjà trop, me direz-vous. Mais ces chiffres, constants depuis 1960, sont également loin d’être synonymes d’échec : pour la plupart des étudiants, cette première année de licence – parce qu’elle est ouverte à tous – leur permet une sorte d’auto-orientation et un ajustement par l’expérience et non par la sélection a priori(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Enfin, il est bien de rappeler que 80 % des étudiants de l’université française en sortent avec un diplôme quand la moyenne de l’OCDE est de 70 %.

Ensuite, la sélection n’empêche pas l’abandon. Ainsi, dans les filières sélectives, on compte par exemple 10 % de sortie en BTS, 15 % en IUT, 22 % en classes préparatoires et 37 % dans les grandes écoles.

Enfin, la production de licences modulables – certaines avec des cours de remise à niveau, des stages ou des cours en ligne, d’autres avec les unités d’enseignement classiques de la filière – revient à organiser des licences à plusieurs vitesses. Et pour ceux qui souhaitent prolonger leurs études, c’est les préparer à l’exclusion des masters désormais sélectifs.

Bref, la sélection dès l’entrée à l’université, et sur la base d’un parcours scolaire déjà sélectif, organise un tri entre l’excellence et la seconde zone, entre les universités d’excellence avec des licences puis des masters d’excellence, et les universités déclassées délivrant des diplômes déclassés.

Madame la ministre, chers collègues, pour des personnes qui prônent la liberté individuelle et la liberté de choix, cette manière de canaliser des jeunes dans des parcours prédéterminés, presque préconstruits, est surprenante ! Quelle liberté de choix ? Quelle égalité des chances quand les enfants sont placés sur les rails du déterminisme social ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

Car tout le monde le sait bien ici, la sélection à l’université ne fait que prolonger et conforter une discrimination sociale déjà existante dans l’enseignement primaire, puis secondaire. L’école échoue, en effet, à rompre avec les déterminismes socio-économiques et culturels. Et il me semble important de préciser que c’est le système scolaire qui échoue, non les jeunes ou les enseignants ! Quelques chiffres illustrent ce constat : en bout de course, 12,7 % d’enfants d’ouvriers étudient en licence et à peine 6 % atteignent le doctorat. Certes, cela ne date pas d’aujourd’hui, mais cette loi va relayer, conforter voire amplifier cette discrimination sociale dans l’enseignement supérieur. Je dirais même plus : elle grave cet état de fait dans le marbre. Car ce qui est certain, c’est que ce sont les lycéens des classes populaires qui, une fois de plus, seront touchés.

Provenant de lycées peu prestigieux, ils vont être les premiers à subir le « non » dans les filières sélectives, ne disposant pas d’un environnement familial ou personnel sachant construire le dossier adapté aux attendus des universités. Ils seront encore les premiers à voir leur dossier tamponné d’un « oui, mais » dans les filières non sélectives, ce qui les fera entrer dans une sorte de cursus low cost. Et qu’en sera-t-il quand il n’y aura plus qu’un bac au lycée, comme vous le préparez avec la réforme du baccalauréat ?

Aussi, nous sommes persuadés qu’au lieu de remettre à niveau les lycéens, ces dispositifs d’accompagnement risquent d’en décourager plus d’un. Quant à ceux qui sont obligés de travailler pour assurer leur quotidien, ces parcours personnalisés ont de fortes chances de les conduire vers une licence en quatre ou cinq ans. À raison de 10 000 euros le coût de l’année universitaire, les étudiants les plus défavorisés seront forcément enclins, si ce n’est contraints, à s’arrêter en licence. Voilà pour la sélection qui n’ose jamais dire son nom.

Quant aux articles concernant le basculement de la sécurité sociale étudiante vers un régime général et la mise en œuvre de la contribution sociale étudiante, ils suscitent en nous plusieurs réflexions : une remarque positive et trois interrogations.

Nous sommes favorables au fait que les étudiants de moins de vingt ans puissent disposer d’un régime de sécurité sociale autonome de celui de leurs parents. Nous sommes conscients que cette autonomie administrative permet une émancipation de la tutelle parentale. En revanche, nous doutons que cette mesure, couplée à celle de la contribution sociale étudiante, produise pour tous l’effet annoncé d’un gain de pouvoir d’achat.

Pour rappel, les étudiants de moins de vingt ans n’avaient déjà pas à cotiser au régime général de la Sécurité sociale. Quant aux doctorants, souvent salariés, ils sont déjà pris en charge par le régime général. Par conséquent, alors que ces jeunes étaient jusqu’alors exonérés, ils auront maintenant à payer cette fameuse contribution. Quid du gain de pouvoir d’achat pour ces étudiants ?

Par ailleurs, nous restons circonspects quant à la qualité des actions de prévention qui seront mises en place par le régime général. À ce jour, rien ne nous garantit la mise en place de cette expertise qu’avaient acquise les mutuelles étudiantes. De la même manière, nous resterons vigilants sur la reprise totale des personnels qui géraient le régime étudiant, n’ayant à ce jour guère plus de certitude que vos engagements en la matière.

Enfin, nous restons perplexes quant à la différence de prix de la contribution sociale entre les licences, les masters et les doctorats. Pourquoi le fixer respectivement à 60, 120 et 150 euros ? Quelle comptabilité compliquée derrière cette mesure !

Quoi qu’il en soit, il nous semble que ce serait à l’État de financer la mise en place d’actions dédiées aux activités sportives et culturelles, que l’État devrait être le véritable garant d’une égalité d’accès à l’ensemble des services publics au sein de l’université.

Madame la ministre, chers collègues, pour clore ce premier axe de mon exposé, je voudrais vous assurer avoir bien compris que tout le monde aura une place au chaud à l’université, du moins je l’espère, car j’ai appris ce matin même que l’université de Picardie réduisait son offre de formation de 25 %, et que les universités de Paris 8 et de Toulouse actaient la perte de postes et de moyens. La liste s’allonge chaque jour.

J’ai cependant bien compris également que tous les jeunes, dans leur diversité, comme vous le dites vous-même, n’auront pas accès à la formation de leur choix. Ceux qui en seront exclus ou qui seront découragés dans leur poursuite d’études, ce seront les jeunes issus des classes populaires. Quant à l’année sabbatique qui leur est proposée dans ce projet de loi, ce sera là encore à géométrie variable, avec néanmoins une constante : pas pour les plus défavorisés.

J’en viens maintenant à la deuxième raison de dire non à cette loi : sa faisabilité à moyens quasiment constants.

Non, madame la ministre, je n’ai pas oublié les 15 ou 20 millions d’euros supplémentaires que vous avez négociés avec Bercy pour la mise en œuvre de ce projet de loi. Toutefois, en refaisant le calcul, je me suis rendu compte que cette obole serait tout simplement insuffisante, voire ridicule. Laissez-moi vous en faire la démonstration.

Lors de l’étude du projet de loi de finances pour 2017, je notai que seuls 194 millions d’euros sur la hausse de 700 millions d’euros octroyée étaient destinés à l’enseignement supérieur. J’entendis également que cette hausse allait couvrir le fameux GVT – le glissement vieillesse technicité –, qui a mis au bord de la faillite un bon nombre d’universités. Mais pensez-vous vraiment que cette augmentation permettra d’accueillir en masse les étudiants supplémentaires, d’ouvrir les classes nécessaires et de recruter un nombre suffisant d’enseignants ?

Pour ma part, je pense, comme bon nombre de personnes concernées, que c’est insuffisant, et je crains déjà, car elle est connue d’avance, la recette que vous allez appliquer : des cours en amphithéâtre bondés à la place de travaux dirigés, au cours desquels les enseignants peuvent justement prendre le temps d’accompagner les étudiants ; des QCM, comme me le signalait dernièrement un étudiant en économie, à la place des dissertations, commentaires ou exposés. Ici, pas besoin de remise à niveau. La recette inclut aussi l’appel à des vacataires payés 30 euros de l’heure, et parfois rétribués un an après la prestation réalisée.

Enfin, dernier ingrédient magique de nos recettes, libérer les énergies. La belle formule ! Alors que les enseignants, titulaires ou non, sont au bord de l’épuisement, et vous le savez, madame la ministre, il va leur falloir dédier le peu d’heures complémentaires consacrées à la recherche à concevoir des parcours, des MOOC – cours en ligne ouverts à tous et gratuits –, des modules, à analyser les dossiers, à rédiger des réponses motivées, à suivre l’orientation, etc. C’est d’ailleurs déjà le cas.

Madame la ministre, chers collègues, quand on prétend à la réussite des jeunes et à l’excellence, tout cela n’est pas raisonnable.

Concernant l’orientation, qui figure dans le titre du texte, à défaut de paraître dans son contenu, quels moyens avez-vous prévu de déployer avec votre partenaire le ministre de l’éducation nationale ? Pour rappel, dans mon département, la Seine-Saint-Denis, que j’évoque souvent, un tiers des CIO – centres d’information et d’orientation – ont disparu en dix ans. L’ONISEP – Office national d’information sur les enseignements et les professions – nous a alertés sur ces baisses de moyens humains depuis 2013 alors que ces services font face à une hausse considérable du nombre d’appels depuis l’annonce de cette réforme.

Enfin, pas un mot ne figure dans le texte sur le rôle des conseillers d’orientation-psychologues, pourtant incontournables sur ces questions. Il semblerait que vous préfériez fabriquer des solutions avec des bouts de ficelle. Vous proposez par exemple de consacrer deux semaines dans l’année à l’orientation ; la belle affaire quand on sait qu’il s’agit d’un processus qui se construit au long cours. Une autre proposition est de nommer un deuxième professeur principal par classe, ce qui existe d’ailleurs déjà dans les ex-ZEP – zones d’éducation prioritaires. Les deux professeurs principaux rempliront les fiches avenir pour lesquelles, de leur propre aveu, ils n’ont été ni préparés ni formés. Ce n’est pas bien sérieux non plus.

Revenons-en maintenant à cette fameuse plateforme APB, rendue injustement responsable des dysfonctionnements de la rentrée dernière, car comme vous l’avez rappelé, et tout le monde en est d’accord, APB fonctionnait bien. En 2015, 93 % des premiers vœux exprimés ont été satisfaits par la plateforme. Ce qu’il manque, en vérité, ce sont simplement des places à adapter aux souhaits des lycéens. Et ces souhaits sont facilement prévisibles : en 1996, ils étaient déjà 35 000 candidats pour 7 000 places en STAPS, la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives.

Mais qu’importe ce constat. En réalité, remplacer APB par Parcoursup permet de réduire de 24 à 10 le nombre de vœux possibles de l’étudiant tout en supprimant leur hiérarchisation. Finies pour les lycéens les stratégies de classement qui leur ouvraient la perspective d’obtenir au moins une formation au plus proche de leur aspiration. En outre, et aux dernières nouvelles, cette absence de hiérarchie des vœux risque d’entraîner de graves embouteillages dans l’obtention finale d’une formation. Espérons que ces problèmes d’algorithmes soient réglés le 15 janvier prochain, selon votre calendrier, madame la ministre.

À ce propos, je tiens à renouveler mon étonnement : la loi n’est pas encore adoptée que les enseignants travaillent déjà à sa mise en place. Comment devons-nous interpréter cette précipitation, cette mise en marche forcée ? Le débat démocratique ne serait-il que pure formalité ? En tout cas, vous en faites ici la preuve.

Au-delà de ce déni de démocratie, la mise en place précipitée et sans moyens de cette loi organise assurément le cafouillage, l’embrouille, la surcharge de travail pour tous, et la réussite pour personne. Rien que pour cette seconde raison, il me semblerait plus sage de renvoyer cette loi en commission.

Nous avons néanmoins une troisième raison de dire non à cette loi : elle tient au projet de société qui l’inspire et qu’elle s’emploie à construire.

Pour comprendre cela, je vous propose de prendre un peu de recul et de regarder le processus d’évolution de l’université depuis une cinquantaine d’années, en partant de trois citations et d’une devinette.

Première citation : « À l’insuffisante efficacité interne de l’université, caractérisée par des pourcentages d’échec évidemment inacceptables, s’ajoute l’insuffisante efficacité de l’ajustement entre le système d’enseignement et la vie active. »

Deuxième citation : « Il est actuellement inquiétant de constater le scepticisme croissant au sujet de nos diplômes universitaires, alors que le prestige des grandes écoles, dont le système repose sur la sélection, non seulement se maintient, mais croît. »

Troisième citation : « Université : pourquoi tant d’échecs ? […] Chaque année, des dizaines de milliers de jeunes sont laissés sur le bord de la route après avoir passé quelques mois ou quelques années à l’université. Alors que [la ministre] présente son plan pour la réussite en licence, l’Étudiant s’est penché sur les causes de l’échec massif à l’université. »

Et voici la devinette : de quand datent ces trois citations ?

Respectivement de 1968, 1973 et 2007. Pourtant, ces lignes auraient pu être écrites hier par vous-même, madame la ministre. Finalement, depuis cinquante ans, les gouvernements font toujours le même constat : l’université est la voiture-balai de l’enseignement supérieur, elle échoue à insérer les diplômés dans la vie professionnelle, elle génère abandon et échec en premier cycle. Et depuis cinquante ans, ils appliquent les mêmes recettes : la sélection, la professionnalisation, « l’adéquationnisme ».

Cette interprétation des faits et des remèdes à y apporter, qui découle d’une vision libérale de la société, permet en vérité de justifier des réformes qui désengagent progressivement l’État. Et cela s’est concrétisé en deux temps : d’abord par la mise en place de l’autonomie des universités et de leur régionalisation, puis, dans un mouvement apparemment contradictoire, par le regroupement autour de pôles d’excellence. Il y a néanmoins une constante dans ce processus libéralisant : l’entrée progressive du grand capital dans le monde universitaire.

Oui, il faut bien appeler un chat un chat !

Ainsi, du désir d’autogestion de 68 à l’autonomie promise par la loi Edgar Faure, de l’autonomie pédagogique à l’autonomie de gestion, les rêves de liberté ont pavé la voie à la compétition généralisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Et tandis que le démembrement du cadre national ne cesse de s’accélérer, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU, et le financement par projets incitent les établissements à se constituer à vitesse grand V en pôles d’excellence.

La compétition de tous contre tous à l’échelle internationale, entre pays européens, entre régions, entre universités, entre filières et finalement entre étudiants, tel est le projet de société qui sous-tend cette réforme, voilà ce qui nous mène tout droit dans le mur.

Nous sommes nous aussi pour l’excellence, mais pour tous. Nous sommes nous aussi favorables à l’autonomie, mais à celle qui garantit à l’étudiant, par le biais d’une allocation, de s’émanciper des contraintes familiales et financières. Voilà ce qui nous distingue.

L’université ne doit plus – et je n’ai pas dit « ne doit pas » – reproduire les inégalités existantes. Elle doit permettre à chacun de s’épanouir en réalisant la voie la plus conforme à ses aspirations. C’est cela le chemin progressiste du XXIsiècle.

Et c’est tout le sens des amendements que nous avons déposés en séance. Nous proposerons par exemple de ne pas conditionner l’entrée dans le supérieur à une remise à niveau. Pour nous, seul le résultat à l’examen sanctionne la pertinence du choix de l’élève. Un autre amendement tend à permettre à tous, notamment aux boursiers, de prendre une année hors université pour mener à bien un projet professionnel ou citoyen.

C’est aussi le sens du projet chiffré que nous portons pour l’université : gratuité totale de l’université, recrutement de 5 000 enseignants avec titularisation des précaires, augmentation du budget jusqu’à atteindre 2 % du PIB et allocation d’autonomie de 800 euros pour les 18-25 ans sous condition de revenu.

Je finirai en citant un extrait du plan d’éducation nationale de Lepeletier de Saint-Fargeau. « Entre citoyens égaux d’une même république, il faut que ces divers avantages de l’éducation soient répartis à tous : car on a beau dire, ces nuances, lorsqu’elles existent, créent d’incalculables différences, et établissent de trop réelles inégalités entre les hommes. […] Diminuer les nécessités de l’indigence, diminuer le superflu de la richesse, c’est un but auquel doivent tendre toutes nos institutions […]. »

Ce noble républicain ne s’adressait pas seulement aux contemporains du XVIIIsiècle finissant ; il parlait à toutes les lumières de tous les siècles, à toutes les forces de progrès qui ne renoncent pas. Et comme Sisyphe, inlassablement, nous continuerons chaque jour à réaliser ces valeurs. Parfois oubliées dans les méandres de l’histoire, celles-ci n’en constituent pas moins le repère de notre projet politique pour l’avenir.

Rechercher