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Loi Rilhac : nous sommes contre la mise en place d’une école managériale !

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Retrouvez l’intervention de Michel LARIVE dans le cadre du texte visant la « Création de la fonction de directrice ou de directeur d’école ».

« Pour commencer, je tiens à exprimer mon soutien aux personnels de l’éducation nationale venus en nombre manifester leur opposition à votre loi, aux abords de l’Assemblée nationale. J’ai participé à leur action collective. Ils défendent leur cadre actuel de travail, c’est-à-dire le conseil des maîtres et des maîtresses, et refusent la mise en place d’une école managériale ! Ils peuvent compter sur le groupe parlementaire de la France insoumise pour relayer leurs revendications au sein de cet hémicycle.

Lors de nos débats en 1ère lecture sur cette proposition de loi, vous me contredisiez lorsque j’assurais, qu’in fine, ce texte aboutirait à la création d’un nouveau statut pour les directeurs d’école. A l’époque, je vous alertais sur le rejet massif de la création de ce statut par la profession elle-même, puisqu’elle est dénoncée par plus de 89% des directeurs d’école, selon différentes enquêtes d’opinion. 

C’est le Président de la République qui a fini par assumer vos intentions et me donner raison. Le 2 septembre dernier à Marseille, Emmanuel Macron a annoncé une « grande réforme de l’école du futur » avec l’ambition d’un nouveau statut pour les directeurs d’école. J’ai écouté son discours attentivement. Ce qui nous attend si on ne change pas de cap rapidement, c’est une libéralisation encore plus grande du service public de l’enseignement, à commencer par la conversion des directeurs d’école en DRH. En effet, le Président Macron a annoncé que dans « L’école du futur », les équipes seraient recrutées par les directeurs devenus chefs d’établissement, que des dérogations seraient possibles concernant les rythmes scolaires nationaux, qu’un mixage des équipes pédagogiques sera mis en place entre les personnels enseignants (éducation nationale) et ceux non-enseignants (employés communaux ou départementaux) etc. Bref, après le Code du travail par entreprise, le Président Macron nous promet un système éducatif inégalitaire entre les différents établissements scolaires et donc entre les territoires. Le texte que nous étudions aujourd’hui créant la fonction de directeur d’école, n’est pour moi qu’un tremplin aux projets destructeurs du Président de la République et de Monsieur Blanquer en matière d’éducation.

Cette fonction de directeur d’école, aucun syndicat d’enseignants ne la demande telle qu’elle est présentée dans ce texte. L’intersyndicale, avec laquelle j’ai discuté sur le parvis de l’Assemblée nationale, réclame l’abandon du texte et davantage de moyens, plutôt que davantage de hiérarchie. Malgré cela, vous persistez à poser les jalons d’un statut des directeurs d’école qui menace l’égalité républicaine et le principe d’uniformité du service public de l’éducation sur l’ensemble du territoire national.

Contrairement à ce que Monsieur Blanquer sous- entendait lors de nos débats en 1ère lecture, nous ne voulons pas abolir toute hiérarchie dans l’Éducation Nationale. Nous pensons qu’il faut une hiérarchie dans le premier degré, qu’elle existe et qu’on ne doit pas la modifier. Nous considérons que le cadre hiérarchique est assuré par l’inspecteur de l’éducation nationale, qui est le supérieur des professeurs des écoles comme des directeurs, eux-mêmes professeurs des écoles, et qu’il faut que cela reste ainsi.

Preuves, s’il en fallait une, de votre volonté de hiérarchiser l’école : Vous prévoyez que le directeur bénéficie d’une délégation de l’autorité académique « pour le bon fonctionnement de l’école qu’il dirige ». En donnant la délégation de l’autorité académique aux directeurs, ces derniers deviennent des « managers » dans leurs écoles. Pourtant, le décret de 1989 instaure que le directeur « représente l’institution auprès de la commune et des autres collectivités territoriales ». Nous considérons que cela est bien suffisant pour qu’il assure ses missions. Or, dès le premier paragraphe de l’exposé des motifs, il est déploré que le directeur soit « sans réel pouvoir de décision » et il est suggéré qu’il soit « décisionnaire lors des débats ». Votre finalité, c’est donc la suppression du fonctionnement collégial de l’école primaire ! 

De plus, vous souhaitez mettre en place une modification du code de l’éducation pour que le directeur ne donne plus simplement son avis mais entérine les décisions du conseil d’école et les mette en œuvre. Avant même d’avoir voté le texte, la collégialité de la décision a été entérinée par un communiqué du Ministère de l’Éducation nationale du 2 juillet 2021. Ce dernier indique que les directeurs pourront à présent « décider de la répartition des 108h ». Ces heures, dues par les enseignants en plus des 24h d’obligation de service hebdomadaire devant élèves, seront donc réparties sans aucune consultation du conseil des maitres. Ainsi, les directeurs pourront décider seuls de l’organisation de temps de travail des enseignants de l’école, qui ne seront donc plus ses « pairs ». 

Concernant la rémunération des futurs directeurs-DRH d’école, vous envisagez un régime spécifique de salaires qui créera, de fait, un corps séparé des enseignants. Actuellement, tous les directeurs bénéficient de 8 points de nouvelle bonification indiciaire (NBI) et de points de bonification indiciaire (BI) en fonction de la taille de l’école. Ils perçoivent également une indemnité de sujétion spéciale pour la direction (ISS), qui se compose d’une part principale commune à toutes les écoles et d’une part variable liée à la taille de l’école. Au total, les directeurs perçoivent une rémunération mensuelle brute supplémentaire de 240 et 445 euros, qui est majorée en RPE et REP+. Or, dans l’exposé des motifs de la PPL, vous évoquez une augmentation de l’indemnité de direction de 150 à 300 € brut par mois. Selon la CGT éducation, cela correspondra à 50 à 120€ nets par mois, ce qui va sans dire, est tristement dérisoire. Nous préfèrerions une bonification indiciaire, qui serait prise en compte dans le calcul des retraites actuelles.

A propos de la nomination des directeurs, je tiens à profiter de cette prise de parole pour marteler que le directeur ne doit pas être nommé par l’Inspecteur Académique, comme cela était prévu dans la rédaction initiale de la proposition de loi. La fonction de directeur pourrait ainsi lui être retirée selon le bon vouloir de l’Inspecteur. C’est un moyen de pression inacceptable. Je considère, comme les syndicats, que le fonctionnement actuel est satisfaisant. Le directeur est inscrit sur la liste d’aptitude après avis de la commission administrative paritaire départementale. Ensuite, le directeur participe au mouvement et il est affecté en fonction d’un nombre de points cumulés pendant sa carrière. Un directeur peut se voir retirer son emploi, toujours après avis de la commission administrative paritaire départementale. Ce fonctionnement garantit une relative transparence dans l’attribution des postes, avec le contrôle des syndicats. Nous souhaitons le conserver.

Je souhaite également vous alerter sur la responsabilité juridique que vous voulez faire peser sur les épaules des directeurs d’école.  En leur transférant une partie de cette responsabilité, je crains que la hiérarchie de l’éducation nationale puisse parfois se défausser des siennes. Je regrette que ces responsabilités juridiques soient renvoyées au domaine règlementaire. C’est un sujet important qui, selon moi, aurait mérité un débat législatif entre parlementaires. Le flou entretenu dans la rédaction actuelle du texte me laisse également penser que votre but est de vous laisser toute latitude pour faire des directeurs d’école des « managers », chargés de recruter les enseignants et autres membres de l’équipe éducative, afin de répondre aux désidératas du Président Macron. 

En résumé, cette proposition de loi ne permet en rien de répondre aux difficultés des directeurs d’école pointées au sein de l’exposé des motifs. Je le répète : Créer cette fonction de directeur d’école et instaurer plus de hiérarchie à l’école ne résoudra pas les problèmes de charges administratives, de gestion de la sécurité, de l’accès à l’école, du temps de décharge insuffisants ou encore des trop faibles rémunérations pour les personnels directeurs, comme pour leurs collègues d’ailleurs. De plus, les décharges prévues en 1ère lecture, bien qu’elles ne concernaient que 25% des écoles, ignorant totalement les directeurs des zones rurales, ont été supprimées. Celles octroyées par circulaire par le Ministre ne sont pas à la hauteur et les postes de remplaçants, permettant aux directeurs de prendre leurs jours de décharge, ne seront jamais en nombre suffisant tant que de nouveaux postes payés décemment ne seront pas ouverts au concours. 

Chers collègues, à quelques mois de l’élection présidentielle, nous constatons que l’école et les conditions de travail et de rémunération des enseignants occupent le débat public. Je considère que c’est une bonne chose. Seulement, cette proposition participe d’une vision de l’école calquée sur le modèle de l’entreprise dont je ne veux pas. Je préfère défendre le service public de l’école et le fonctionnement collégial et démocratique de l’école primaire. Face à la surcharge de travail et au manque de moyens, nous considérons que l’État doit prendre ses responsabilités en augmentant les décharges, y compris en milieu rural, et en fournissant les aides humaines et matérielles nécessaires. Or, ce texte et la stratégie qui l’accompagne sont en totale contradiction avec ces ambitions. Avec la loi 4D devenue la loi 3DS et celle-ci, ce sont encore les territoires ruraux et les quartiers populaires qui pâtiront de vos politiques libérales visant à différencier les territoires dans leur accès aux services publics. C’est la raison pour laquelle, chers collègues, je vous demande d’entendre la demande de l’écrasante majorité des 1ers intéressés. Abandonnons ce texte et votons cette motion de rejet. »

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