Deux visions idéologiques s’affrontent : une vision de l’école émancipatrice et une vision de l’école libérale qui ne dit pas son nom.
« Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Madame la Rapporteure, chers collègues,
Les directeurs et les directrices des écoles primaires sont aujourd’hui en grandes difficultés faute de moyens et de considération.
Hélas, ce n’est pas votre proposition de loi qui répondra à leurs besoins. Opportunément, vous saisissez l’occasion de mettre en œuvre votre vision managériale et libérale de l’école, sans toutefois l’assumer ouvertement, ce qui fausse les débats.
Mais les professeurs des écoles ne sont pas dupes. Plusieurs syndicats, ont appelés à se rassembler aujourd’hui devant l’Assemblée nationale, devant les permanences parlementaires et les Directions des Services Départementaux de l’Éducation Nationale, pour protester contre votre proposition de loi.
Les revendications des directeurs sont pourtant concrètes. Que veulent-ils ? Ils demandent : une aide administrative statutaire dans chaque école, un réel allègement des tâches administratives, une augmentation des quotités des décharges de direction et une décharge hebdomadaire.
En réponse, vous créez une “autorité fonctionnelle” qui implique en réalité une “autorité hiérarchique” qui ne dit pas son nom et dont les principaux concernés ne veulent pas.
Une consultation lancée en novembre 2019 par le Ministère de l’éducation nationale auprès des directeurs d’école le confirme, seuls 11 % d’entre eux se sont dit favorables à la création d’un statut et seulement 3 % ont manifesté un besoin de plus d’autonomie.
Un directeur d’école ce n’est pas un chef d’établissement. C’est un enseignant chargé de la coordination des équipes pédagogiques, un pair parmi ses pairs, garant d’une collégialité pédagogique.
En ce qui concerne la charge de travail, vous leur attribuez des missions et des responsabilités supplémentaires, dont le cadre parfois est flou.
Ainsi, ils se verront déléguer des fonctions auparavant du ressort de l’autorité académique et auront en charge la formation et la coordination.
Désormais donc, les directeurs participeront aussi à l’encadrement du système éducatif, c’est-à-dire que le ministère pourra leur confier des missions d’évaluation, par exemple lors de l’entretien du rendez-vous de carrière, en utilisant simplement la voie réglementaire.
De plus, ces nouvelles missions, définies en concertation avec l’inspection académique, passeraient donc par une négociation individuelle. Cela brise le cadre statutaire, individualise les missions de chaque directeur et les laisse seuls face à leur hiérarchie, sans le regard des syndicats.
Vous allez donc de fait alourdir leur charge de travail en leur confiant des missions qu’ils ne demandent pas.
Et ce n’est pas un hasard si cette proposition de loi est débattue au moment où le Président de la République annonce une expérimentation de l’école du futur à Marseille. Elle permettra, une fois cette expérimentation entérinée, de la généraliser plus rapidement sur tout le territoire. C’est donc un préalable.
La vision de l’école entreprise que vous prônez va être mise en place dans 50 établissements à Marseille. Pour l’heure, les écoles ne se bousculent d’ailleurs pas pour y participer, ce qui devrait vous interroger. Les professeurs d’écoles espéraient une rénovation des 174 établissements délabrés, encore une fois vous répondez à côté.
Avec cette expérimentation, un directeur d’école aura la possibilité de repenser les projets d’apprentissage, les rythmes scolaires, les récréations, la durée des cours et la façon d’enseigner avec les équipes pédagogiques, titulaires ou non, qu’il aura lui-même recruté.
Ce qui se joue avec cette expérimentation, c’est la fin du mode d’affectation actuel des enseignants et à travers lui du lien entre le concours et le poste.
En somme, c’est le statut de fonctionnaire des enseignants qui est attaqué. En effet, si cette expérimentation était généralisée, les écoles publiques fonctionneraient alors comme les écoles privées sous contrat. Les enseignants qui réussiraient le concours, devraient ensuite démarcher l’établissement dans lequel il souhaite enseigner.
Non nous ne sommes pas dans la politique-fiction chère collègue, nous sommes dans la ligne idéologique de ce que le gouvernement veut mettre en place et vous vous prêtez à ce jeu, il est donc très important de le préciser.
Votre proposition de loi qui est donc un préalable à cette vision de l’école que le gouvernement veut mettre en place est cohérente avec l’idéologie libérale du gouvernement.
Cette vision est déjà à l’œuvre dans l’enseignement supérieur et la recherche et il n’est pas surprenant que vous souhaitiez l’étendre à l’école élémentaire.
La mise en concurrence entre les établissements, les professeurs, le personnel administratif et les agents des écoles sera tout aussi nocive que la mise en concurrence des universités et des chercheurs l’a été pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Votre proposition de loi ne répond pas aux problématiques des directeurs d’école et ouvre la boîte de pandore.
C’est pourquoi, bien évidemment, nous voterons contre ce texte.«
Muriel Ressiguier