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Tribune | La culture et la liberté sont les deux facettes d’une humanité consciente

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Tribune rédigée par Michel Larive, député LFI de l’Ariège, auteur de Res cultura, res publica. Manifeste pour une politique culturelle ouvrage publié aux éditions Bruno Le Prince et Gilles Kujawski, ancien libraire et cadre d’édition.
Publiée dans Marianne.

Face au reconfinement, le monde de la culture a répondu par une contestation des plus véhémentes. Professionnel(le)s du spectacle vivant, du cinéma, de la musique, intermittent(e)s, et tous les métiers en lien avec la culture, ont dénoncé les approximations du gouvernement et les décisions arbitraires qui en découlent. Aucun corporatisme là-dedans, pour les libraires en particulier, la protestation est largement relayée par la population.

Un reconfinement bâclé comme celui du 28 octobre, en frappant d’inactivité les secteurs culturels quand tant d’autres pouvaient fonctionner normalement, témoigne seulement d’une idée choquante au sommet de l’État : la culture n’est pas de « première nécessité ». Au nom de quoi les professionnels (le)s, fortement touché(e)s par la précarité avant-même les crises du Covid, vont affronter des contraintes supplémentaires insupportables, sous le regard incrédule d’une bonne part de l’opinion publique.

Et donc, sous le prétexte de protéger les publics des contaminations, on ferme tout, théâtres, cinémas, musées, librairies. Dans le même temps les lignes 4, 5, 7 et 13 du métro parisien continuent d’être bondées, les grandes surfaces commerciales ouvrent grandes leurs portes…. Et la fermeture des librairies ouvre de nouveau, une opportunité commerciale inespérée à Amazon.

Il ne s’agit pas ici de distinguer entre activités économiques, celles qui seraient « utiles » et les autres, pour réclamer un privilège pour la culture. On pourrait objecter pourtant que le poids économique de la culture s’évaluait en 2018 à plus de 47 milliards d’euros, loin devant l’industrie automobile… Mais l’essentiel n’est pas là.

L’essentiel, manifestement étranger au discernement de MM. Macron et Castex, c’est que la culture ne se quantifie pas, ni ne se qualifie de plus ou moins « nécessaire ». Un corps social privé de culture meurt, car la culture est une alimentation, comme les autres. Qu’elle s’adresse à l’esprit, non à l’estomac, n’enlève rien à son impératif, au contraire : elle ne relève pas, ou pas seulement, du matériel, elle est un air que nous respirons, un flux plus ou moins visible qui traverse les corps, et les emmène de leur être individuel aux bonheurs de la découverte partagée. La salle de théâtre ou de cinéma, le regard d’une toile dans un musée, la découverte des livres en librairie, sont les lieux où cette rencontre se produit à tout moment. La culture est l’affirmation de soi et l’ouverture aux autres. En cela, elle porte une part de notre humanité : pour cela, elle a besoin de l’engagement résolu de la puissance publique, et avec elle, de toute la société.

À accoler le terme de « produit de nécessité » à la culture, on lui méconnaît cette dimension pourtant essentielle. Et rien alors ne la sépare d’un bien de consommation courant bénéficiant de son rayon de supermarché, au même titre que l’entretien de la maison ou la biscuiterie. Eux, par contre, restent en vente libre.

Ce voisinage malheureux de la culture et de la nécessité, la possibilité d’étouffer la première au nom de la seconde, nous révèlent crûment le maquis d’ignorance dont nous sommes à tout moment menacés. Et cela, quel qu’en soit le prétexte, sanitaire ou de quelque autre nature. Face à ce double péril, posons clairement le statut de la culture dans la société : elle ouvre à la liberté et à l’émancipation, il n’est pas de liberté sans culture ! À cette aune, la décision de reconfiner en privant la culture de ses moyens d’exister donne des sueurs froides.

Car la culture et la liberté sont les deux facettes d’une humanité consciente. La culture est découverte, ouverture, esprit critique : elle est l’outil sine qua non de lutte contre les obscurantismes religieux ou politiques, qui prennent la République pour cible, comme on l’a si tristement vu tout récemment encore. De là à penser la culture comme vitale, il n’y a qu’un pas. Nous appelons à le franchir d’urgence !

C’est pourquoi il faut affirmer qu’elle est un droit. Droit à la création, à sa diffusion, à la transmission et à la mémoire, pour une création permanente, pour une perspective d’émancipation. Ainsi, et pas autrement, se bâtira une humanité héritière des lumières : par la culture qui imprime son rythme et son mouvement à la société.

Les professionnel(le)s de la culture, les libraires avec eux, ont fait preuve d’une mobilisation exemplaire, pour la mise en place des gestes protecteurs et le respect des consignes sanitaires. Pas un établissement culturel, théâtre, salle de cinéma, musée, jusqu’aux librairies, n’a fait le choix du chiffre d’affaires contre la santé des usagers. Le moment est venu de réaliser quel danger d’asphyxie recèle la privation de culture, de faire confiance aux professionnel(le)s et de les aider à passer d’un danger de mort à une dynamique de vie. Il faut, enfin, en direction des publics et en lieu et place du cafouillage du moment, déployer une pédagogie digne de ce nom, adulte, responsable et forte, sur les enjeux individuels et collectifs de la sécurité sanitaire. Il faut de toute urgence rouvrir les lieux culturels.

Il est temps aussi de reconnaître aux serviteurs de la culture une place aussi essentielle dans la société que la culture elle-même, comme le sont les personnels hospitaliers et la santé publique. Il est temps de conforter la création et les créatrices et créateurs.

Que la crise en cours libère les imaginations et les esprits créatifs : sortis de l’épidémie, bifurquons vers une autre société qui privilégiera l’humanité et la culture contre le temps court, les absences de pédagogie, d’anticipations, et de planifications, et un marché dérégulé qui n’entend rien ni à la culture ni à la santé.

L’objectif de la République est de faire des citoyennes et des citoyens. Sa démission en la matière a été trop longue et trop violente. La crise du Covid 19 ne peut servir de prétexte à la prolongation de ce scandale.

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