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Une majorité de Français·es est contre la publicité ciblée à la télévision : le gouvernement vient de l’autoriser ! 

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enfant télévision

Article rédigé par le groupe thématique « Numérique » de la France insoumise.

Le gouvernement vient encore de tourner le dos au « monde d’après ». Alors que les enquêtes se succèdent depuis plusieurs années pour montrer que les Français·es en ont marre de la publicité, que la Convention Citoyenne pour le Climat appelle à agir contre la publicité et qu’une étude en particulier montrait l’opposition des Français·es à la publicité ciblée à la télévision, le gouvernement vient de l’autoriser par son décret du n° 2020-983 du 5 août 2020 portant modification du régime de publicité télévisée paru le 6 août dernier au Journal officiel.

De quoi s’agit-il ?

Le décret autorise les chaînes de télévision à proposer des publicités différentes suivant la localisation du foyer. L’objectif : faciliter le financement de la télévision par l’augmentation des possibilités de revenus ainsi générés en démultipliant les créneaux de publicité sur le territoire. Bien sûr, on nous promet des garde-fous : la segmentation ne serait que géographique ; ces spots d’un genre nouveau n’auront qu’une durée limitée ; les téléspectateurs et téléspectatrices devront donner leur accord explicite et surtout, il y aura un rapport d’évaluation ! Tout cela semble facile et évite de se poser la question du financement des médias audiovisuels. Les problèmes d’influence de la publicité sur l’indépendance des médias ne sont pourtant plus à prouver et ont fait l’objet de propositions alternatives.

Mais la publicité n’est-elle pas indolore ?

Non. C’est essentiellement un appel à la consommation et une manipulation des désirs des gens. À l’heure de la crise climatique, alors que la crise sanitaire nous a rappelé la grande fragilité de nos sociétés centrées sur l’économie et le profit, est-ce vraiment le moment de continuer la fuite en avant vers toujours plus de consommation ? Aurore Bergé, grand soutien des publicitaires, parcourt les médias pour le dire : « 1 euro investi dans la publicité rapporte 7,85 euros de PIB ». Non seulement, ce n’est pas prouvé dans les faits, mais on ne peut qu’être atterré par le manque total de renouvellement de l’univers mental de nos dirigeant·es, incapables d’inventer une quelconque alternative au système actuel pourtant clairement dysfonctionnel. 

Qu’a-t-on à faire de l’augmentation du PIB quand les priorités du moment sont de lutter contre une pandémie, de permettre à chacun·e de surmonter la crise et d’éviter que notre planète ne se transforme en fournaise invivable ? D’autant que la publicité ne profite nullement à toutes les entreprises : comme le rappelle l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), « en France, 0,02% des entreprises françaises sont à elles seules responsables de 80% des investissements publicitaires. » Regardez autour de vous : ce ne sont pas les PME locales de votre ville qui occupent l’espace publicitaire ! Ce ne sont pas elles qui profiteront d’hypothétiques regains d’activité avec cette publicité ciblée.

La fuite en avant vers toujours plus de profilage

Le gouvernement et l’industrie publicitaire font tout dans leur communication pour amoindrir les conséquences de ce décret notamment en parlant de « publicité segmentée » pour insister essentiellement sur une simple variation des publicités par « segments » géographiques. Pourtant il y a tout lieu de croire qu’il ne va pas s’agir juste de cela. Théorie du complot ? Il y a pourtant une bonne source : M. Franck Riester, ancien ministre de la Culture lui-même, porteur de la réforme, annonçait en février dernier sur France Inter qu’il s’agissait bien de permettre à la télévision de faire jeu publicitaire égal avec internet en matière de ciblage publicitaire (et donc de profilage). Grâce à l’avènement de la TNT et surtout de l’IPTV (télévision par internet, qui concerne deux tiers des français·es), il est tout à fait possible d’imaginer un profilage des téléspectateurs et téléspectatrices qui dépasse la segmentation géographique : les fournisseurs d’accès internet (FAI) savent bien plus de choses sur vous que les chaînes de télévision. Il suffirait d’accords entre les deux pour un profilage plus exploratoire… comme celui qu’Orange et France Télévisions viennent d’annoncer.  D’ailleurs, le décret ne dit pas qu’il autorise la télévision segmentée par secteurs géographiques : il fait sauter, à quelques exceptions près, l’obligation de diffuser la même publicité sur l’ensemble du territoire national. Donc toute variation est théoriquement possible. Les possibilités de profilage sont très larges.

Alors certes, Orange et France Télévisions rappellent que tout cela se fera « dans le strict respect de la règlementation des données personnelles ». Mais, à l’image de ce qui se passe sur internet, on ne sait que trop comment cela va se concrétiser : les FAI glisseront dans leurs conditions générales d’utilisation illisibles des clauses permettant de couvrir la réutilisation commerciale des données personnelles de leurs usager·es en proposant à ces derniers un choix simple : accepter la totalité des clauses ou ne pas accéder au service. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le mythe du consentement libre des citoyen·nes face à des clauses rédigées par une armée de juristes, mais cela nous emmènerait trop loin. En bref, on peut suivre Franck Riester : la réforme permet de faire mettre la télévision au même niveau qu’internet en matière d’espionnage commercial de nos vies.

Nous voyons le mal partout ? C’est le principal lobby représentant les régies publicitaires des chaînes de télévision, le SNPTV (Syndicat national de la publicité télévisée), qui, après voir loué la réforme, se plaint de son manque d’ambition : « C’est une micro-mesure, ça va nous permettre de ne pas perdre de parts de marché, mais ça ne va pas non plus nous en faire gagner. » On est pleinement rassuré sur leur capacité à être raisonnable dans leur appétit de données personnelles car, plus ils pourront définir précisément nos modes de vie, plus ils pourront augmenter les créneaux publicitaires différents et donc les profits. 

Quand nos dirigeant·es nous proposeront-ils de changer d’imaginaire ? D’arrêter de faire rêver nos enfants au prochain smartphone à la mode ou à de la bouffe industrielle ? De porter une véritable alternative comme celle dessinée par les nombreuses propositions de loi déposées par le groupe parlementaire de La France insoumise à l’Assemblée nationale depuis 2017 ? Pour la Macronie, il faut innover à condition de garder un objectif unique bien en tête : faire le maximum de fric. L’Humain passera éventuellement ensuite, s’il est rentable.

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