Depuis le 1er juillet 2019, l’encadrement des loyers à Paris est à nouveau en vigueur et le gouvernement tout comme la majorité municipale parisienne s’en félicitent. Mais en réalité de quoi se félicitent-ils ? D’avoir mis en place une mesure permettant aux personnes travaillant à Paris sans avoir des revenus mirobolants de se loger convenablement dans la ville ? Certainement pas. De faire un coup de com’ sans froisser les propriétaires, tout en préservant un marché immobilier totalement démesuré et dérégulé ? C’est ce qui semble le plus probable en regardant d’un peu plus près cette mesure.
Un système déséquilibré entre des propriétaires tout-puissants et des locataires qui peinent à faire valoir leurs droits
La mesure mise en œuvre d’encadrement des loyers à Paris sera très peu effective. En effet, il n’est prévu la possibilité pour les locataires de demander une révision à la baisse de leurs loyers uniquement un mois après la signature du bail (pour les baux signés après le 1er juillet 2019) ou au moins 5 mois avant le renouvellement du bail ! Ces règles limitent considérablement les occasions pour un·e locataire de contester son loyer et garantissent la tranquillité au propriétaire voyou pour plusieurs années.
Prenons un exemple : un·e locataire ayant signé le 30 juin 2019 un bail pour un logement vide avec un loyer supérieur au loyer réglementaire ne pourra demander une diminution de son loyer que dans le cadre du renouvellement de son bail en 2022. Même en 2022 il ne pourra obtenir une diminution de son loyer qu’en respectant scrupuleusement certains délais : faire une demande en diminution du loyer au moins 5 mois avant l’échéance du bail, puis, si son propriétaire ne répond pas, saisir la commission départementale de conciliation (sous autorité du Préfet) au moins 4 mois avant la fin du bail. Dans le cas où aucun accord ne serait trouvé devant la commission de médiation, c’est au locataire de saisir le juge, à ses frais, avant l’échéance de son bail pour demander une diminution de son loyer, sans quoi le contrat de bail sera reconduit dans des conditions similaires de loyer.
Au-delà de cette procédure qui rend les droits des locataires presque totalement inapplicables, les modalités prévues de sanction financière des propriétaires voyous viennent une fois de plus rendre la mesure d’encadrement des loyers inefficace. En effet, si le Préfet constate un écart de loyer, il met en demeure le bailleur de mettre le bail en conformité et de verser les trop perçus au locataire. Dans le cas où le bailleur n’obtempère pas dans les deux mois, alors le Préfet a la possibilité de décider d’une amende maximale de 5 000€ pour un bailleur physique et de 15 000€ pour un bailleur moral. Outre le fait que la sanction financière n’est pas automatique, c’est ensuite au locataire d’introduire un recours en justice pour demander la diminution de son loyer !
Dans un contexte du marché immobilier où l’insuffisance de l’offre par rapport à la demande de logement crée un déséquilibre des forces entre les propriétaires et les locataires, une mesure d’encadrement des loyers, qui ne repose que sur la contestation par les locataires des conditions de leur bail et sur la bonne volonté des bailleurs, est vouée à l’échec. Comme nous l’a encore montré récemment l’affaire de l’appartement de De Rugy à Orvault, les bailleurs ne sont pas les plus scrupuleux lorsqu’il s’agit de respecter la loi, et vont continuer à fixer des loyers non réglementaires, impunément, pour la grande majorité. Il suffit aujourd’hui de faire un tour sur les sites d’annonces immobilières à Paris pour se rendre compte que de nombreuses annonces présentent des loyers supérieurs aux loyers réglementaires.
Pour une mesure en faveur des locataires il est nécessaire que la force publique investisse dans des moyens de coercition réelle des bailleurs. Il pourrait être envisagé un système similaire aux autorisations préalables à la location prévues par la loi ALUR dans les zones à fort taux de logement insalubres, ou encore sanctions envers les agences immobilières qui publient des annonces ne respectant pas les loyers réglementaires mais tout cela nécessite des moyens. Or, il faut croire que ni le Gouvernement ni la majorité municipale parisienne ne sont décidés à attribuer des moyens pour inverser le rapport de forces entre locataires et bailleurs et forcer ces derniers à respecter la loi.
Le sous-dimensionnement du parc social à Paris : un facteur qui renforce la toute puissance des propriétaires :
Cette relation déséquilibrée entre les bailleurs privés et les locataires est d’autant plus forte qu’il n’y a pas de réelle alternative au logement privé (ou à habiter loin de la ville où ils et elles travaillent) pour les locataires du fait du sous-dimensionnement criant du logement social à Paris. Ce sous-dimensionnement peut être illustré par plusieurs éléments :
- dans le cadre de la mise en œuvre du Droit au Logement Opposable, il est estimé qu’à Paris, le délai d’attente d’un logement social est qualifié d’« anormalement long » lorsqu’un ménage dépasse 6 à 10 ans d’attente selon la taille de logement demandé ;
- au 31 décembre 2018 il y avait plus de 187 600 demandes de logement social à Paris pour un parc social de moins de 260 000 places ;
Ce constat ne risque pas de s’améliorer avec la politique de casse du modèle du logement social en France menée actuellement par le gouvernement. Déjà en 2018 à l’échelle de l’Ile-de-France on peut observer un recul de la production de logements sociaux de 4,3 %, alors que les demandes ne cessent d’augmenter.
Bien qu’ « encadrés » des loyers qui empêchent les ménages modestes de se loger à Paris
Dans l’optique, certes peu réaliste, où la mesure d’encadrement des loyers serait respectée par les bailleurs elle pourrait, à terme, remplir son objectif de limitation de la hausse des loyers à Paris grâce aux mesures limitant les possibilités pour les propriétaires d’augmenter un loyer entre deux locataires. Cependant, cette mesure n’a pas, et n’aura jamais, l’objectif de permettre aux personnes et ménages modestes de se loger à Paris et, ainsi, vivre dans la ville où ils travaillent.
Tout d’abord, le « loyer de référence au m² » utilisé dans le cadre de l’encadrement des loyers n’est pas calculé en fonction des possibilités financières des ménages mais à partir des loyers déjà pratiqués dans un secteur donné, selon le nombre de pièces du logement et l’année de construction de l’immeuble. Le loyer de référence au m² est le loyer médian hors charges pratiqué par catégorie de logement et les propriétaires peuvent réglementairement proposer un loyer jusqu’à 20 % au-dessus de ce loyer de référence. Dans un contexte parisien où le déséquilibre de l’offre et de la demande de logement et l’absence de normes imposées aux propriétaires ont tiré les loyers vers le haut, le loyer de référence est loin d’être un loyer abordable. L’encadrement des loyers ne remet aucunement en cause la logique de marché qui a expulsé les classes populaires et moyennes de Paris.
Si l’on prend en compte les loyers de référence majorés, loyers maximum légaux pour les propriétaires, dans les 6 quartiers les moins chers (sur les 80 du découpage parisien), pour des immeubles construits entre 1971 et 1990, et le fait que les propriétaires exigent des locataires des revenus nets équivalents à 3 fois le montant du loyer charges comprises :
- il est impossible pour une personne seule gagnant 1 500€ nets mensuels de se loger dans un studio non meublé de plus de 18 m² ou dans un studio meublé de plus de 16 m² (en estimant un niveau de charges locatives à 50 € mensuel) ;
- il est impossible pour un couple gagnant 2 500€ nets par mois (un peu plus du SMIC pour deux personnes à temps plein) de louer un T2 de plus de 35 m² par mois non meublés (en estimant un niveau de charges locatives à 80 € mensuel).
Ainsi, même dans les immeubles et quartiers les moins chers, l’encadrement des loyers ne permettra pas aux ménages travaillant à Paris de s’y loger, si tant est que les propriétaires acceptent leurs dossiers.
Pour faire baisser le coût du logement à Paris et ailleurs et permettre à chacun de se loger il est impératif de faire changer de cap aux politiques du logement. Dans ce cadre, La France insoumise s’est opposée à la loi Elan, qui permet notamment la vente à la découpe du parc locatif social et demande à ce que le gouvernement augmente le budget alloué au logement, plutôt que de le réduire chaque année. Les aides au logement doivent également être revalorisées pour permettre à chacun de se loger dignement. Enfin, pour faire baisser le coût du logement, la France insoumise propose par exemple de réquisitionner les logements vides pour augmenter l’offre de logement et d’allouer les moyens nécessaires à la lutte contre les pratiques illégales des propriétaires voyous.