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Question écrite sur la dissuasion nucléaire dans le traité d’Aix-la-Chapelle

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Le 5 février, Bastien Lachaud interrogeait Mme la ministre des armées sur la place de la dissuasion nucléaire dans le traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle. En effet cette question n’a été que très peu abordée malgré la volonté de l’Allemagne d’intégrer la stratégie de défense nucléaire à son programme militaire.

M. Bastien Lachaud interroge Mme la ministre des armées sur la place de la dissuasion nucléaire française dans le traité entre la République française et la République Fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes. Le texte du traité signé le 22 janvier 2019 à Aix-La-Chapelle peut en effet susciter des interrogations légitimes quant à l’impact que la « coopération » renforcée en matière de sécurité et défense, définie à l’article 4, pourrait avoir sur la dissuasion nucléaire française.

En vertu de l’article 4-1, la France et l’Allemagne se lient par une clause de défense mutuelle, qui vient redoubler les dispositions similaires prévues par les traités multilatéraux dans lesquels les deux pays sont déjà engagés (article 5 du traité de l’Atlantique Nord du 4 avril 1949 ; article 42-7, du traité sur l’Union européenne du 7 février 1992, modifié par le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne).

La formulation employée, le texte spécifie que la France et l’Allemagne « se prêtent aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée, en cas d’agression armée contre leurs territoires » comporte cependant une certaine ambigüité quant au statut de la dissuasion nucléaire, que la presse n’a pas manqué de relever. Si les « intérêts vitaux » des deux nations, formule qui renvoie d’usage à la dissuasion nucléaire, ne sont pas évoqués, des sources françaises auraient déclaré de façon officieuse à la presse que l’expression « tous les moyens dont ils disposent » inclut « évidemment » la dissuasion nucléaire. Un tel flou ne peut que faire question. Il fait par ailleurs d’autant plus question que les dispositions de l’Allemagne quant à la dissuasion nucléaire semblent avoir évolué au cours des dernières années, passant du tabou à l’intérêt.

A l’heure où les atermoiements des États-Unis peuvent paraître remettre en cause le cadre otanien et la garantie que le « parapluie nucléaire » de Washington représentait historiquement pour Berlin, de nombreuses voix se sont faites entendre outre-Rhin pour plaider en faveur de l’intégration de la dissuasion nucléaire à la stratégie de défense allemande - près de deux cents articles sont parus à ce sujet dans la presse allemande au cours des deux dernières années. Cependant, dès lors que l’opinion allemande se montre réticente à une augmentation des dépenses militaires, et que l’Allemagne a ratifié le traité de non-prolifération signé en 1968, l’acquisition de la dissuasion nucléaire par l’Allemagne ne pourrait se faire, de façon réaliste, que dans un cadre franco-allemand et européen. Et de fait, des signaux ont été envoyés dans ce sens. En 2017, un député appartenant à la majorité gouvernementale au parlement fédéral allemand a ainsi demandé une étude juridique sur la possibilité pour l’Allemagne de financer des armes nucléaires étrangères, qui s’est soldée par une réponse positive.

Les intentions exactes du gouvernement allemand sur cette question, et la portée qu’il entend donner à la clause de défense mutuelle incluse dans le traité signé le 22 janvier 2019, n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune explicitation. Les implications d’une introduction de la dissuasion nucléaire dans le cadre de la coopération militaire franco-allemande seraient naturellement considérables, les choix technologiques, le contrôle des armes, la chaine de commandement, se trouvant potentiellement mises en question. De tels enjeux ne peuvent demeurer l’objet de non-dits ou de suppositions. C’est pourquoi il souhaite apprendre de Mme la ministre la portée exacte de la clause de défense mutuelle contenue dans le traité franco-allemand signé le 22 janvier 2019, et l’effet de cette clause sur la dissuasion nucléaire française.

Voici le texte de la question publiée le 05/02/2019.

Il n’est pas question, dans le Traité d’Aix-la-Chapelle, de perte de souveraineté en matière de défense mais d’approfondir la coopération déjà existante entre nos deux pays et de concourir à une capacité d’action autonome de l’Europe. Cette démarche reprend l’esprit du traité de l’Élysée, signé en 1963, tout en l’actualisant au vu des orientations décidées depuis dans le cadre de la construction européenne. 

Le traité d’Aix-la-Chapelle s’inscrit dans le cadre des engagements qui lient la France et l’Allemagne en vertu de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord et de l’article 42-7 du traité sur l’Union Européenne, en rappelant ainsi que nos deux pays se doivent de se prêter « aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée, en cas d’agression armée contre leurs territoires ». Il prévoit également la mise en place de consultations « afin de définir des positions communes sur toute décision importante touchant les intérêts communs de la France et de l’Allemagne et d’agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible ». Toutefois, le rappel de cet engagement et cette volonté de concertation et de solidarité ne remettent nullement en cause l’indépendance de décision de la France, et ne modifient en rien sa doctrine de dissuasion nucléaire. 

Pour mémoire, et comme le rappelle la Revue Stratégique de 2017, la dissuasion nucléaire française « contribue, par son existence, à la sécurité de l’Alliance atlantique et à celle de l’Europe ». Notre doctrine de dissuasion repose en effet sur la capacité à infliger des dommages inacceptables à un adversaire potentiel qui menacerait de s’en prendre à nos intérêts vitaux. La Revue Stratégique précise que « ces intérêts vitaux ne sont jamais définis avec précision, car il est de la responsabilité ultime et unique du chef de l’État d’apprécier en toute circonstance leur éventuelle mise en cause et de décider, au cas par cas, de la nature de la réponse qu’il convient d’y apporter ». 

Si l’intégrité de notre territoire et la sauvegarde de notre population en constituent le cœur, « la définition de nos intérêts vitaux ne saurait être limitée à la seule échelle nationale, parce que la France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le domaine nucléaire ». L’Allemagne n’est donc pas spécifiquement prise en compte, mais bénéficie de la contribution de la dissuasion nucléaire française à la sécurité de nos partenaires européens, Il ne s’agit donc pas d’un partage de la dissuasion mais de la liberté d’action que celle-ci procure en toute circonstance au Président, y compris pour garantir que la France sera en mesure d’honorer les engagements qu’elle a pris au sein de l’OTAN et de l’Union Européenne.

Voici le texte de la réponse publiée le 18/06/2019.

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