La semaine dernière a vu la pérennisation du mouvement des « gilets jaunes ». La compréhension à leur sujet a beaucoup progressé je crois. Les premières semaines ont été marquées par deux batailles idéologiques. Elles avaient toutes les deux le même objectif : empêcher le mouvement de se rabougrir et au contraire lui donner la possibilité de féconder le débat public. Pour cela il fallait donner à voir la diversité des origines et des points de vue de celles et ceux qui y participaient. Il fallait surtout ne pas dissuader le plus grand nombre de venir participer. Cela supposait donc de ne pas laisser la peur dominer. Concrètement, il fallait empêcher l’extrême-droite de s’approprier la colère puisque l’exclusion est le cœur même de sa politique. Laisser assimiler les gilets jaunes à elle aurait d’abord fonctionné comme un repoussoir. Cela revenait aussi bien sûr à donner un brevet d’honneur à ce courant politique qui œuvre systématiquement pour la division du peuple et contre les droits sociaux.
Le peuple plutôt que l’étiquette
Évidemment, ceux qui ne voulaient pas que le mouvement ne prenne de l’ampleur ont tout fait pour que chaque incident causé par des « fachos » soit monté en épingle. Pour de nombreux médiacrates, cela correspond si parfaitement à l’idée insultante qu’ils se font du peuple, qu’ils peuvent calomnier en toute bonne conscience des dizaines de milliers de personnes.
Mais dans les médias, les nôtres ont fait un travail utile au mouvement en refusant obstinément cette espèce de campagne de diffamation. Ils ont systématiquement rappelé combien les personnes mobilisées le font pour des raisons sociales et aussi avec le souci de l’urgence écologique. C’était le moindre des respects. Il est apprécié partout.
L’arrivée au point « Qu’ils s’en aillent tous ! »
Pour les insoumis·e·s les choses sont claires. Depuis si longtemps nous avions observé la grève civique de l’abstention. Depuis si longtemps nous avions observé que les drapeaux des partis, les étiquettes, les logos inspiraient plus de dégoût que d’espérance… Tout l’enjeu pour nous, depuis le début, avant même le lancement de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2016, c’est d’être en phase avec ce jugement du peuple. Rappelons-nous le livre « Qu’ils s’en aillent tous ! » Il était clair déjà que le bouleversement dont notre pays a besoin n’épargnerait personne… C’est toute la difficulté d’un mouvement politique qui présente des candidat·e·s à des élections tout en soutenant que ces élections ne sont qu’une étape vers le dépassement du système.
Alors, logiquement, nous avons choisi de nous effacer : il faut laisser venir dans l’arène politique toutes celles et ceux qui sont rétifs aux formes anciennes de la politique. Ils ont bien vu que les dés sont pipés. À présent qu’ils et elles s’assemblent par milliers pour le dire, leur nombre même empêche qu’on les récupère.
Être utiles, toujours
Nous entrons dans une nouvelle phase. Les gilets jaunes ne sont plus récupérables : tant mieux ! En revanche, je le dis avec humour et sérieux, nous sommes disponibles pour être récupérés. Ils ont commencé puisque les revendications du mouvement sont en résonance évidente avec le cœur de notre programme, l’Avenir en commun. Ce cœur, c’est bien sûr l’Assemblée constituante pour une 6e République.
Par quel autre moyen, ce mouvement inédit pourrait-il se faire entendre. Le ras-le-bol face à la tambouille, à la politique professionnelle, face aux médias qui ne représentent jamais la société telle qu’elle est, le sentiment de voir la vie « normale » méprisée, tout ça exige que le peuple se refonde lui-même en même temps que les institutions. Voilà des années que le diagnostic est posé. Les élections présidentielles de 2012, puis de 2017 ont permis de faire progresser cette idée. Nous savions bien qu’elle aurait besoin de la force propulsive d’un mouvement social d’ampleur pour s’imposer. Ne nous a-t-on pas assez reproché d’attendre le « grand soir » ? Nous répondions alors que nous n’attendions pas le grand soir mais un « événement fortuit » qui ferait que tout s’écroulerait. Jean-Luc Mélenchon avait pris la peine de le dire dans l’Ère du peuple également. Nous rappelions que toutes les révolutions citoyennes sont nées d’un grain de sable pris dans la machine : une hausse minime du prix du ticket de bus avait suffi au Venezuela.
Par conséquent, pour nous, de voir la colère s’élever à propos des prix du gasoil avait quelque chose d’évident. C’est une récompense pour n’avoir jamais varié, avoir tenu une ligne stratégique « populiste » qui nous avait valu tant d’injures et de procès d’intention venus de celles et ceux qui pensaient qu’il suffirait de dire « gauche » pour que les classes populaires se mettent à voter en cadence… Nous ne voulions pas parler à des électeurs et des électrices. Nous voulions parler à des citoyen·ne·s.
J’ai entendu mon camarade François Ruffin se réjouir du mouvement des gilets jaunes en disant à peu près : « cela faisait si longtemps que j’attendais ça ! » Je crois qu’il exprime bien notre sentiment. Nous savions bien que nous serions « débordés » : aucun problème ! Si le fleuve sort de son lit, aucune chance qu’un parti politique quelconque puisse en dévier la course. Le vieil objectif des partis d’avant-garde - « encadrer les masses » - n’a jamais été le nôtre. Au contraire, notre objectif - « fédérer le peuple » - suppose de donner des outils au mouvement populaire pour aboutir : des mots d’ordre qui peuvent le rassembler et élargir encore son audience. D’où le choix de créer un mouvement, un véritable « parti sans mur » tout entier tourné vers l’action : pas d’exclusive, pas de cotisation, pas de gage à fournir à quiconque autre que la volonté de défendre le programme l’Avenir en commun.
Décréter l’état d’urgence sociale et écologique
C’est donc dans ce moment de la lutte que nous sommes entrés. Plus personne ne croit que les gilets jaunes soit un mouvement d’extrême-droite. Les énergumènes qui l’ont entaché de leur haine n’en changeront pas la nature.
Il est aussi acquis que la France insoumise respectera la volonté d’autonomie de ces hommes et femmes qui se mobilisent pour une vie meilleure. Un lien de confiance a commencé de se nouer au fil des jours et nous pouvons dire simplement, respectueusement, à quoi ressembleraient pour nous les moyens de faire cette vie meilleure. Il faut décréter « l’état d’urgence social et écologique ». De quoi cela aurait-il l’air ? Cela commence bien entendu par la suspension des hausses des taxes sur les carburants et le rétablissement de l’ISF. Ces deux mesures peuvent être prises immédiatement puisque l’Assemblée nationale discute en ce moment-même du budget. Pour immédiatement améliorer la situation : il faut augmenter le SMIC et les minima sociaux. Pour attaquer de face le problème des inégalités, il faut que l’impôt sur le revenu soit vraiment progressif, c’est-à-dire qu’il respecte le principe simple : le plus riche paie le plus ! Pour cela créer 14 tranches d’impôts sur le revenu permettrait que chaque ménage paie une somme juste.
La justice sociale et fiscale s’articuleront en supprimant les niches fiscales anti-écologiques : au lieu de taxer les particuliers obligés de se déplacer, il faut retaxer le kérosène, le fioul des bateaux de croisière, le gazole routier…
Pour reprendre le contrôle sur les infrastructures du pays et mettre fin à la gabegie, il faut renationaliser les autoroutes et sauver la SNCF. Leur privatisation a représenté une aubaine faramineuse qui n’a bénéficié qu’aux actionnaires.
Les 40 milliards du CICE doivent être utilisés pour la transition écologique et en particulier l’isolation des 7 millions de logements « passoires ». Un si vaste chantier relancerait l’activité, créerait des emplois, améliorerait la vie des Français.e.s, ferait baisser leurs factures et diminuerait la pollution en déchets nucléaires et gaz à effet de serre !
Enfin, la démocratie exige qu’une délégation des gilets jaunes puissent être entendue directement à l’Assemblée nationale.
Faire sauter le couvercle
Bien sûr, tout cela, le gouvernement ne le proposera pas. Celles et ceux qui le composent sont si loin de la réalité qu’ils ne comprennent même pas ce qui ne va pas dans la société française. Ils ont de la pauvreté une idée abstraite. Ne pas se chauffer, ne pas se déplacer, ne pas manger pour nourrir ses enfants, c’est à peine s’ils en ont entendu parler. Pour Gérald Darmanin, le sommet de la misère consiste à devoir payer un déjeuner au restaurant pour 100€ par personne… Évidemment, avec ce genre d’idées fausses, on peut considérer qu’il est plus important de respecter les ordres de Bruxelles et de ne pas faire de déficit.
Je parle d’un ministre mais un autre dirait la même chose : ils sont tous faits de la même façon et ils sont agglutinés sur la République comme un couvercle qu’il faudra bien faire sauter. Pour obtenir ce dont il a besoin, le peuple ne pourra pas seulement « demander ». Il faudra prendre, et pour cela revenir aux sources de la démocratie et de la légitimité. Les gilets jaunes défilent au cri « Macron démission » et demandent déjà que le peuple soit consulté par referendum. C’est pour faire face à une situation comme celle-ci que la France insoumise défend depuis sa création l’instauration d’un referendum révocatoire. S’il existait aujourd’hui dans notre droit il permettrait de démettre le président de ses fonctions. Et au lieu de lui chercher un remplaçant miraculeux, c’est une assemblée constituante qu’il faudra convoquer.
Seule une assemblée constituante permettra de rendre le pouvoir à celui qui en est le seul détenteur légitime. Aujourd’hui, les gilets jaunes se donnent des porte-parole ; les conditions se créent pour que leurs revendications se heurtent à l’incompréhension et au refus des nouveaux aristocrates qui gouvernent. Une fois cette incapacité à prendre la mesure et faire face au problème, c’est le pouvoir lui-même que les gilets jaunes réclameront. C’est dans l’ordre des choses. Les blocages continuent, les oppositions se tendent, le soutien populaire est évident. Samedi prochain sera une nouvelle étape. Cette fois encore, nous serons là.