Sur le plateau de « C’est à vous », face à Yannick Jadot, Patrick Cohen s’est acharné à défendre l’innocuité du glyphosate sur la santé, c’est-à-dire l’absence de danger. Pour cela, il a asséné de manière péremptoire que « c’est faux, le glyphosate n’est pas cancérogène (…) toutes les études épidémiologiques d’envergure concluent à l’absence de danger ». Ses propos ressemblaient à s’y méprendre à un communiqué de la firme Bayer-Monsanto…
Un vrai travail journalistique aurait pourtant dû le conduire à recouper ses sources et à ne pas occulter les informations essentielles pour comprendre les controverses actuelles et le discrédit dans lequel sont plongées les agences d’évaluation des risques sanitaires.
Retour sur les omissions et la présentation fallacieuse de certains arguments :
- Les études avançant une innocuité du glyphosate, sur lesquelles les agences de sécurité sanitaires se sont fondées pour rendre leur avis sur l’autorisation du glyphosate, émanent en premier lieu de données transmises par les firmes, de recherches qu’elles financent et de leur propre sélection d’articles scientifiques qui portent sur la question.
- Les Monsanto papers ont révélé que plusieurs études utilisées dans l’évaluation du glyphosate ont été manipulées. Monsanto aurait fait appel, contre rémunération, à des scientifiques prête-nom pour publier leurs articles dans des journaux scientifiques (pratique du « ghostwriting »). Elle aurait également fait pression sur des journaux scientifiques pour retirer des articles indépendants et contraires à ses intérêts. Les Monsanto papers ont jeté le discrédit sur les procédures d’évaluation des risques des agences de sécurité sanitaire.
- En septembre 2017, l’agence européenne évacue tout risque de perturbation endocrinienne lié à l’utilisation de glyphosate. Mais outre des données manipulées, on apprendra que certains éléments de preuve d’un effet cancérogène du glyphosate sur les animaux de laboratoire ont été écartés dans la synthèse des études réalisée par l’agence européenne.
- L étude épidémiologique Agricultural Health Study, conduite aux Etats-Unis d’Amérique auprès de plus de 50 000 agriculteurs entre 1993 et 2001, conclut « qu’aucun lien n’est apparu entre le glyphosate et toute tumeur solide ou lymphome ». Mais cette étude présente plusieurs limites, notamment pour évaluer réellement l’exposition des différents agriculteurs au glyphosate. Même les épidémiologistes de Monsanto partageaient ce constat, anticipant des biais dans les conclusions de l’étude (constat révélé dans les Monsanto papers). Soit dit en passant, Patrick Cohen omet de dire que cette étude conclut quand même « qu’un risque accru de leucémie myéloïde aiguë au sein du groupe le plus exposé (au glyphosate) a été mis en évidence et demande à être confirmé ».
- L’étude du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui conclut au caractère cancérigène probable du glyphosate, est dénigrée par Patrick Cohen. Or, le CIRC ne se fonde que sur les études publiées dans la littérature scientifique et écarte toute recherche menée par les industriels, non-divulguée au grand public pour des raisons de confidentialité. Contrairement à ce qu’indique Patrick Cohen, le CIRC ne s’est pas contenté d’analyser des études portant sur des rats de laboratoires. Selon l’agence, « des études cas-témoins d’exposition professionnelle (au glyphosate) conduites en Suède, aux Etats-unis et au Canada, ont montré des risques accrus de lymphome non hodgkinien (c’est-à-dire un cancer du sang) ».
- En outre, le CIRC s’est intéressé aux dangers des produits intégrant le glyphosate, et non à ceux de la seule substance glyphosate (contrairement aux approches retenues par les agences européennes). Cela permet de vérifier la dangerosité d’une substance en interaction avec d’autres substances (et donc la dangerosité des produits mis sur le marché). Plusieurs études ont d’ailleurs démontré que les adjuvants utilisés dans les préparations commerciales étaient toxiques.
- Patrick Cohen évoque une étude française indiquant que les agriculteurs français ont une espérance de vie supérieure à d’autres catégories professionnelles pour évacuer tout le problème des pesticides sur la santé des agriculteurs. Un peu rapide ! Déjà, leur espérance de vie est équivalente à celle des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, et derrière les professions intermédiaires ou les cadres. En outre, c’est celle qui a le moins progressé chez les hommes en trente-cinq ans : +15% entre 1984 et 2013, contre +18% dans l’ensemble de la population (et +21% chez les employés). De plus, il est désormais établi que certains cancers (hémopathies, cancers cutanés, cancer de la prostate, tumeurs cérébrales, tumeurs gastriques) sont rencontrés en excès chez les agriculteurs, et plus particulièrement chez ceux qui utilisent des pesticides. Deux pathologies (maladie de Parkinson et le lymphome non hodgkinien ont été récemment classées maladies professionnelles et indiquent expressément la responsabilité des pesticides.