Alors que Xavier Bertrand, dans les pas d’Emmanuel Macron, passe à l’offensive pour la mise en concurrence de la SNCF et que la presse locale ouvre ce débat, il convient de rappeler quelques éléments.
L’Europe néolibérale a tranché il y a plusieurs années la question : les États devront ouvrir le transport ferroviaire à la concurrence, comme bien d’autres secteurs, car elle serait la seule voie en laquelle tout le monde devrait croire. Après plusieurs campagnes de dénigrement contre la SNCF, l’heure est maintenant à l’ode à la privatisation : La compagnie publique couterait trop cher, ses cheminots seraient des privilégiés, et toutes ses difficultés - des pannes d’aiguillages aux ralentissements dues aux intempéries - seraient résolues de façon magique par l’arrivée de multiples compagnies privées. Si le débat doit avoir lieu, il faut alors arrêter les mensonges et rappeler certaines réalités : la fameuse dette de la SNCF est d’abord celle de son réseau ferré. La SNCF en a hérité lors de sa création en 1938, au moment du rachat des compagnies privées. La dette n’est donc pas l’apanage de l’entreprise publique, mais bien un héritage du privé et le résultat d’un pilotage désastreux par ses gestionnaires.
Le fameux régime dit « spécial » dont on nous rebat les oreilles pour dépeindre les cheminots en affreux privilégiés date lui aussi des compagnies privées d’avant la SNCF : Pour attirer une main d’œuvre qualifiée vers un métier difficile, il fallait proposer de justes compensations. Ce statut qui suscite tant d’hostilité est resté depuis une garantie de qualification et de normes de sécurité dont tous les usagers bénéficient. Et depuis que l’âge de départ à la retraite a été aligné, en 2008, sur le reste du secteur public, il est beaucoup moins « avantageux » d’être cheminot qu’auparavant, et il faut toujours cotiser davantage. C’est d’ailleurs l’un des seuls régimes excédentaires de notre modèle social.
Les horaires changeants qui nuisent à la vie de famille, la mobilité forcée et la répression syndicale sont des réalités avérées de la condition de cheminot. Décrire ce corps de personnel qualifié et compétent comme un ramassis de privilégiés est mensonger et scandaleux. Plutôt que d’aligner les poncifs sur les vertus fantasmées de la mise en concurrence généralisée, ses partisans feraient mieux de s’intéresser à la situation réelle du transport ferroviaire français, à ce à quoi il ressemblait quand il était privé, et à ce que la privatisation provoque au-delà de nos frontières : En Angleterre, concurrence dans le rail rime avec pagaille dans les gares, tarifs exorbitants et accidents. On y organise désormais la renationalisation, une façon de tourner la page d’une expérience douloureuse dans laquelle on veut nous emmener.
La mobilisation en cours des cheminots n’est pas une lutte sectorielle pour la défense d’intérêts particuliers. Face aux défis auxquels nous faisons face, au premier duquel se trouve le changement climatique, la défense d’un service public du rail fort est une lutte d’intérêt général. Il n’est pas acceptable que la pagaille organisée par l’ouverture à la concurrence dans certains secteurs stratégiques ne vienne désormais concerner ce point d’appui essentiel qu’est la SNCF.