Les fonctionnaires français détachés s’alarment de la mise en place d’une double imposition en France et en Grèce pour l’année 2021 avec effet rétroactif jusqu’aux revenus de 2014.
Ils s’appuient notamment sur le fait que leurs traitements sont assurés par une dépense du budget de la France, en l’occurrence de recettes fiscales françaises, et qu’une imposition de l’État grec serait indue.
Par ailleurs, plusieurs entités internationales ont émis des avis à ce titre. Ainsi selon l’OCDE, « le principe selon lequel un droit exclusif d’imposition est accordé à l’État qui paie les rémunérations est conforme à la notion de courtoisie internationale et au respect mutuel entre États souverains ».
Concernant les retraités de la fonction publique, les recommandations de l’OCDE vont dans le même sens. L’organisation signale aussi que ce principe « figure dans un si grand nombre de conventions qu’on peut dire qu’il est déjà internationalement accepté ». Dans son propre modèle de convention fiscale (pages 442 et 443), l’ONU propose le même article pour les rémunérations publiques.
Ce changement d’interprétation de la convention de façon unilatérale par la Grèce pose ainsi question par rapport à une certaine pratique communément acquise. En outre, l’article 21.A de ladite convention indique explicitement que les revenus de source publique grecque ne sont pas imposables en France. Ce changement d’application contreviendrait donc au principe de réciprocité internationale, principe pourtant à la base de tout traité et de toute convention. Ainsi, les revenus de source publique ne seraient pas traités de la même manière selon qu’ils sont de source grecque ou française.
L’ensemble de la situation et notamment le fait que la Grèce ne commence à imposer ces revenus qu’à partir de 2020 sur l’année 2014 interroge nombre de fonctionnaires français concernés par cette nouvelle interprétation. Lors d’un entretien en juillet 2021, Jean-Yves Leconte, sénateur représentant les Français établis hors de France, aurait indiqué à M. le ministre avoir été informé que les autorités fiscales grecques avaient édité en 2010 une circulaire explicitant leur compréhension de la convention fiscale et justifiant leur droit à imposer les revenus français des résidents en Grèce. Or il n’aurait été retrouvé aucune trace de cette circulaire à ce jour.
À la mi-décembre 2020, plusieurs enseignants, ou ex-enseignants, du lycée franco-hellénique d’Athènes ont reçu des redressements fiscaux sur les revenus de 2014. Le délai d’imposition de ces revenus étant fixé au 31 décembre 2020, les autorités grecques ont effectué ces redressements dans l’urgence et, semble-t-il, dans la méconnaissance de la convention et des articles correspondants. Et surtout, l’imposition est calculée comme si les destinataires de ces redressements étaient imposables uniquement en Grèce alors que l’article 21 est très clair à ce sujet et impose la déduction du montant calculé selon le système d’imposition grec, le montant déjà payé sur ces revenus en France.
Lors de la session de mars 2021 de la commission des finances, du budget et de la fiscalité de l’Assemblée des Français de l’étranger, l’adjointe au chef du bureau E1 des règles de fiscalité internationale, négociation et interprétation des conventions fiscales (DLF, DGFiP) a été auditionnée et a présenté l’interprétation de la convention par le fisc français. L’argumentaire a été entaché d’erreurs. À titre d’exemple, l’article 21 de la convention ne présente aucune ambiguïté sur le fait que « la Grèce peut comprendre dans les bases de ces impôts toutes les catégories de revenus imposables ». Pourtant, la représentante de la DLF signale qu’un fonctionnaire « doit payer des impôts en Grèce », ceci afin de justifier la rétroactivité demandée par la Grèce.
Le ministère français chargé des comptes publics a déjà été saisi par deux fois d’une question écrite, par un député et un sénateur. Ce ministère considère que « la Grèce est également fondée à imposer ces mêmes rémunérations sous réserve de déduire l’impôt français du montant réclamé ».
Or Mme la députée a été alertée par les fonctionnaires français détachés en Grèce car les taux d’imposition y sont très supérieurs à la France et le système fiscal grec (absence de parts fiscales, d’abattement de 10 % ou de frais réels, de déductions diverses etc.) fait que le montant de l’impôt en Grèce a toujours été très supérieur à celui en France. L’arriéré d’impôt demandé aux concitoyens place ceux-ci dans une situation économique extrêmement critique. Il serait demandé individuellement au minimum 8 000 euros pour la seule année 2014.
Mme la députée est très étonnée que ces Français ne reçoivent aucun soutien de la part de leur représentation ou du ministère des comptes publics face à ce changement d’application particulièrement abusif de la part de la Grèce.
Au regard de l’ensemble de la situation, des textes internationaux disponibles, d’une circulaire grecque de 2010 introuvable, d’erreurs d’interprétation notamment par les services de M. le ministre du seul texte qui prévaut en la matière, la convention fiscale entre les deux pays de 1963, elle lui demande quelles mesures concrètes il compte engager pour obtenir le retrait de cette rétroactivité de l’imposition sur les revenus jusqu’en 2014 des fonctionnaires français détachés en Grèce, afin de mettre fin à cette violation conventionnelle.
Bénédicte Taurine