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Cynique réforme de l’assurance chômage : pour lutter contre les contrats courts, le gouvernement pénalise ceux qui les subissent !

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QUESTION ECRITE AU GOUVERNEMENT

Mme Muriel Ressiguier alerte Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion sur la réforme de l’assurance chômage.

Le projet de loi  “pour la liberté de choisir son avenir professionnel” déposé en 2018 à l’Assemblée nationale prévoit notamment une réforme de l’assurance chômage. Depuis sa genèse cette réforme est très critiquée que ce soit par les partenaires sociaux, l’UNEDIC qui a publié un rapport alarmant, par les intermittents qui réclament son abrogation, et même le Conseil d’Etat qui a retoqué à deux reprises des mesures de cette réforme en novembre 2020 et en juin 2021.

La crise sanitaire que nous traversons a un impact économique et social catastrophique ; chute de l’activité, plans sociaux, fermetures de sites, … Dans son dernier avis du 22 juin 2021, le Conseil d’Etat a suspendu provisoirement les nouvelles modalités de calcul de l’allocation chômage, le SJR, jugeant la situation économique “incertaine”. En effet, 715 000 emplois ont été détruits au premier semestre 2020. On dénombre ainsi 6 642 790 demandeurs d’emploi dans les catégories A,B et C au mois de mai 2021. Le nombre de bénéficiaires du RSA a franchi la barre symbolique des 2 millions en décembre 2020. Selon le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, près de 12 millions de personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté à la fin d’année 2020. Malgré une situation d’urgence sociale vous choisissez de maintenir cette réforme de l’assurance chômage qui aura pour conséquence d’affaiblir ceux qui étaient déjà précaires et ceux impactés par la crise.

Parmi les mesures controversées de cette réforme, il y a celle du nouveau mode de calcul du Salaire Journalier de Référence qui devait entrer en vigueur dès le 1er juillet. Selon le dernier décret du 30 mars 2021 “portant diverses mesures relatives au régime d’assurance chômage”, le SJR ne sera plus calculé sur une période de référence de 12  mois, mais sur les 24 derniers incluant dorénavant les périodes non-travaillées. Ce nouveau mode de calcul pénalisera les plus précaires qui alternent des contrats courts et des périodes d’inactivité : comme les intérimaires, les saisonniers, les guides conférenciers, les extras de l’hôtellerie-restauration, les étudiants, ou même ceux qui travaillent en même temps que leur période de chômage pour maintenir leurs droits. Une étude de l’UNEDIC prend l’exemple d’une personne qui a contracté 2 CDD de 3  mois sur les 24 derniers mois payés au Smic. Actuellement il pourrait percevoir une allocation de 975 euros par mois pendant 6 mois. Avec la nouvelle réforme, il touchera 659 euros par mois pendant 24 mois soit une baisse de 32 %. Comment fait-on pour vivre avec une allocation près de 30% inférieure au seuil de pauvreté établi à 1015 euros par mois ?

Selon une étude de l’Unédic réalisée à la demande de Force ouvrière parue le 7 avril 2021, 1,7 million de personnes seront touchées par cette réforme de l’assurance chômage. 1,15 million d’entre eux verront leur allocation réduite de 17 % en moyenne, avec une baisse pouvant aller jusqu’à 43%. En effet, la première version de la réforme retoquée en novembre 2020 par le Conseil d’Etat prévoyait des baisses allant jusqu’à 80%. La haute juridiction administrative estimait que le projet introduisait une « différence de traitement (…) manifestement disproportionnée » entre les assurés.

Le décret du 30 mars 2021 devait par ailleurs neutraliser certaines périodes d’inactivité comme les congés marternité, les congés maladie, ou les activités partielles ; lesquelles selon les simulations de l’Unédic n’étaient compensées que de manière superficielle, entraînant une baisse significative de l’allocation chômage. Le gouvernement a opéré un rétropédalage en rédigeant un projet de décret rectificatif en mai dernier qui n’a pas été encore publié. Ce dernier prévoit de considérer les salaires à son niveau habituel pour les périodes qui doivent être neutralisées, en créant un salaire fictif, sur la base d’un salaire moyen anciennement perçu, hors prime et indemnités. Selon la CGT « On passe de l’incompétence mathématique à l’incompétence juridique ». L’Unédic a dores et déjà réagi en évoquant un calcul qui serait « illégal” à partir d’un salaire reconstitué qui n’a jamais été perçu par l’intéressé et donc non soumis aux contributions d’assurance chômage ». Selon le Syndicat FO, cela ne change rien au fond du problème « il s’agit d’une correction à la marge, car le mode de calcul qui pénalise les travailleurs alternant contrats courts et périodes de chômage reste inchangé ». 

Présentée comme un progrès social, l’actuelle réforme de l’assurance chômage prévoit un allongement de la période d’indemnisation de 11 à 14 mois. Selon le gouvernement, le capital chômage acquis ne varie donc pas. Les assurés toucheront moins mais plus longtemps. Selon Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques, c’est « une stratégie du gouvernement pour faire des économies, car les allocataires vont rarement au bout de leurs droits ». L’Unedic le confirme dans une note de mars 2019 : 63 % des personnes qui ont ouvert cinq mois de droits reprennent une activité au bout de trois mois.

Autre mesure pénalisante, l’ouverture des droits au chômage est repoussée. Il faudra désormais travailler 6 mois sur les 28 derniers mois pour ouvrir des droits, contre 4 mois sur 24 mois actuellement. En 2017, 40 % des CDD duraient moins d’un mois et un tiers des CDD ne duraient qu’une journée, et la tendance ne s’est pas inversée depuis. Toujours selon l’étude de l’Unédic, le passage à six mois conduira à retarder l’ouverture de nouveaux droits d’un an ou plus pour 190 000 demandeurs d’emploi et de cinq mois en moyenne pour 285 000 personnes.

Par ailleurs, le décret du 30 mars 2021 ne prévoit pas à l’heure actuelle de bonus-malus censé sanctionner les entreprises qui abusent des contrats courts comme cela avait été annoncé. En somme, le gouvernement souhaite lutter contre les contrats courts en pénalisant ceux qui les subissent.

Cette réforme devrait permettre d’économiser 2,3 milliards d’euros par an. Tel est son véritable objectif.  Elle fait partie d’un plus vaste plan d’austérité à échéance 2027, présenté dans le programme budgétaire de la France mi avril 2021 à la Commission Européenne. Si la France souhaite bénéficier des 40 milliards d’aides du plan de relance de l’Union Européenne, elle doit montrer allégeance à la politique libérale de la commission qui impose des contreparties austéritaires. L’objectif est de rembourser la dette publique en diminuant de façon drastique la dépense publique, au lieu de mener une politique de justice fiscale et sociale, et de lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale qui représente en France  60 à 80 milliards d’euros par an.

Alors que nous vivons dans une société où les inégalités se creusent de manière criantes et insupportables, au lieu de réfléchir à la protection des plus fragiles en renforçant notamment l’assurance chômage et la sécurité sociale dans son ensemble, vous vous obstinez à mener des réformes qui attaquent toujours un peu plus, les droits des plus précaires. Récemment, 13 associations et syndicats, dont la CGT, le Secours catholique, et Emmaüs France, ont dénoncé dans une tribune, une réforme de l’assurance chômage “ injuste, absurde et indécente”. Partout les gens sont vent debout contre cette réforme. Vous-mêmes, vous avez dû retarder sa mise en œuvre, tant son contenu injuste est indéfendable. Madame la Ministre, allez-vous enfin entendre raison et retirer votre réforme de l’assurance chômage ?

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