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Webinaire : science, éthique et progrès : quel apport au bien-être de l’humanité ? (extrait M. LARIVE)

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Webinaire organisé par l’Union interparlementaire (UIP) le mercredi 17 mars 2021.

En novembre 2018, le député de l’Ariège Michel Larive a proposé la création d’un groupe de travail international « Sciences et Technologies » au sein de l’UIP.
L’objet de ce groupe de travail vise à considérer les impacts et le rôle de la science et de la recherche sur nos vies. Ses 1ers travaux porteront sur l’élaboration d’une charte éthique internationale sur l’utilisation des techno-sciences.

« Je suis très heureux d’intervenir aujourd’hui dans le cadre de ce Webinaire consacré aux ponts entre la science et les parlementaires pour le bien des sociétés humaines. Il s’agit d’une étape importante dans le travail que nous menons depuis plusieurs années pour parvenir à la création d’un groupe science et technologies au sein de l’Union Interparlementaire.

En tant que représentants légitimes de nos peuples respectifs, nous parlementaires, nous avons l’immense honneur et surtout la lourde responsabilité de contribuer à l’élaboration des règles de droit qui s’appliquent à chacun, quelle que soit sa condition ou sa fortune. A mon sens, ce qui doit toujours nous guider dans notre travail, c’est la recherche de l’intérêt collectif humain. Nous devons certainement ajouter aujourd’hui aussi la nécessité de préserver notre planète, car si les fragiles équilibres naturels viennent à être définitivement brisés, c’est la survie de toute civilisation sur Terre qui est menacée.

Afin de pouvoir mener à bien notre tâche, nous qui ne pouvons être des spécialistes de toutes les questions, nous avons besoin de nous forger un opinion dans les différents domaines que nous sommes conduits à aborder. C’est pourquoi pour chaque problème que nous devons traiter, il est nécessaire que nous nous construisions un avis éclairé qui s’appuie sur une synthèse des différentes approches du problème que nous pouvons trouver qu’elles soient scientifique, économique, sociologique, philosophique ou profane.

L’urgence nous pousse parfois à nous satisfaire de quelques analyses sommaires ou biaisées, plutôt que d’adopter une démarche rationnelle et méthodique susceptible de nous fournir une vision complète des multiples aspect que revêtent la plupart du temps les grands enjeux pour lesquels nous devons légiférer. Mais c’est un écueil dangereux, dont les conséquences peuvent être catastrophique pour les populations concernées et parfois même pour l’intégrité des Nations.

Je voudrais formuler devant vous aujourd’hui la problématique qui justifie d’après moi la construction de ces ponts entre parlementaires et scientifiques, et pour laquelle il me semble urgent que les parlements du monde entier construisent des outils réglementaires partagés. Il s’agit du développement fulgurant des nouvelles technologies, et de ses conséquences actuelles et futures sur nos sociétés.

L’humain moderne est le fruit d’une co-évolution avec son environnement. De l’empirisme symbiotique, au désir d’émancipation par rapport à la nature, les techniques employées conviennent d’une démarche anthropologique. 

Il est indéniable que le développement des sciences et des technologies qui les accompagnent, contribue à l’amélioration des qualités de la vie des êtres humains. Mais cet accroissement exponentiel profite, de façon sélective à l’humanité. Au-delà des barrières de l’ignorantisme, c’est la loi du marché, et le profit que certain peuvent tirer des découvertes scientifiques, qui décident des bénéficiaires de ses avancées technologiques. Le cas est flagrant dans le domaine de la santé. Alors que les pandémies ignorent les frontières, l’accès aux vaccins est différencié selon que l’on soit riche ou pauvre.

L’anthropocène dévoile les modifications profondes des conditions géophysiques dans lesquels les sociétés humaines se développent. La crise climatique générée par les excès de l’activité humaine, provoque des bouleversements géopolitiques profonds et génère notamment une augmentation croissante des flux migratoires. La confrontation de la nécessité de la survivance des uns, et de l’avidité frénétique des autres ne peut qu’aboutir à une déflagration de grande ampleur si des solutions humanistes ne sont pas proposées.

Aujourd’hui, le déterminisme scientifique qui engendre la singularité technologique rompt les codes du mythe prométhéiste. Comment améliorer les capacités sensorielles, motrices et cognitives des êtres humains et œuvrer à l’extension du prolongement de sa vie ? Même si l’approche initiale tend à utiliser la technologie pour soigner, voir « réparer » les êtres humains, il existe un véritable danger de déviance idéologique qui pourrait confiner à un nouvel obscurantisme.

Julian Huxley, inventeur et propagandiste du transhumanisme, promouvait en son temps des thèses eugénistes que son frère Aldous détaillait dans son fameux roman d’anticipation « Le meilleur des monde ». Nous ne pouvons, ni ne devons, entraver la marche du progrès scientifique, mais nous devons protéger les populations d’un possible futur dystopique généré par une deshumanisation systémique. Le corps, devenant patrimoine génétique, pourrait être considéré comme territoire impersonnel et relever de la propriété privée et des règles du commerce qui en découlent.

S’agit-il ici, d’une humanité augmentée ou d’un humain simplifié ? Qu’en serait-t-il si un jour la science parvenait à concevoir ou même prédire la conscience ? Quel serait alors le statut ontologique d’un tel « produit » technologique ? De sa reconnaissance d’être de conscience découlerait des droits et des devoirs qui lui serait dû, légitimement. La technologie lui permettrait de développer une pensée critique et d’émettre ainsi une opinion, puis d’accéder au statut « d’être de culture ». Dans la continuité de ce déterminisme, il pourrait s’organiser en société bouleversant ainsi les schémas humains, sociaux et sociétaux actuels. Il pourrait advenir alors un monde où l’homme renoncerait à l’humanité.

Les enjeux sont gigantesques. Il est donc nécessaire de réguler les usages des technosciences par le biais d’un arsenal juridique d’un niveau international. 

Nous connaissons le rôle diplomatique que joue l’Union Interparlementaire. Nos Assemblée et nos groupes de travail associent tous les pays à part égale. La création d’un nouveau groupe science et technologie permettrait d’aborder les questions relatives au développement des nouvelles technologies dans un cadre permettant la prise en compte des divers points de vue existant à ce sujet. C’est pourquoi une telle instance pourrait être l’instrument qui nous conduirait en particulier à rédiger la première charte éthique internationale de l’usage des technosciences.

Ce travail devrait associer dans la réflexion toutes les composantes de la société : parlementaires, scientifiques, techniciens, mais sans oublier aussi les philosophes, les artistes et la société civile dans son ensemble. En association avec d’autres organisations reconnues comme par exemple l’UNESCO, nous pourrions parvenir à rédiger un texte qui fasse largement consensus dans le monde.

Personnellement je pense que nous devrions nous appuyer sur les chartes et autres documents existants, comme la déclaration des Droits de l’Homme, la charte UNESCO sur la bioéthique et la protection du génome humain, etc.

Je défends la nécessité de protéger les droits fondamentaux et de prévenir tous risques de discrimination et d’exclusion, induits par l’usage des nouvelles technologies. La transparence des processus et la sécurité, en particulier celle des données, me semblent aussi essentielles.

Nous devrons exiger des garde-fous afin de nous prémunir par exemple contre la possibilité que l’intelligence artificielle et ses applications, notamment dans le domaine de la robotique, n’échappent à notre compréhension ou qu’elles deviennent défaillantes. Il nous faudra aussi trancher les questions relatives à la responsabilité juridique en lien avec ces nouvelles « entités ». Nous devrons poser la question de la pertinence ou non de créer une personnalité juridique pour l’IA et les robots. 

Comme un certain nombre de rapports d’information l’ont déjà préconisés, il nous faudrait instaurer un principe de vigilance/réflexivité, c’est-à-dire le fait de questionner régulièrement, de façon méthodique et délibérative, les nouveaux objets que sont les algorithmes et notamment l’IA. Il serait judicieux à mon sens d’exiger que les processus employés restent toujours explicables et que le contrôle humain soit possible en toutes circonstances.

Je soutiens que les technologies complètent les capacités humaines mais ne devraient pas les remplacer. Il nous faut travailler pour une plus grande équité entre les peuples dans l’accès aux nouvelles technologies. Le marché ne doit pas décider seul de la manière dont ces nouveaux outils doivent se déployer. Il me semble essentiel, dans ce domaine, de privilégier les démarches de coopération et de partenariat, plutôt que la compétition entre les nations.

Voilà les quelques pistes de réflexion que je souhaitais vous soumettre aujourd’hui. Je vous remercie pour votre attention et je me tiens à votre disposition si vous avez des questions ou si vous souhaitez des précisions. »

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